Louise Dény Pierson

18 avril 1917

Le long de la grande allée centrale des parois de planches délimitaient des chambres où les familles trouvaient un peu d’intimité.
A côté de nous, couchaient des gendarmes et pour cette première nuit, il y eut chez eux un certain remue ménage qui nous tint éveillés.
Une de leurs patrouilles amenait un soldat d’un uniforme inconnu ; c’était un Russe et il fallait trouver un interprète, c’était un officier logé plus loin. Ce Russe faisait partie d’une division de l’armée du Tsar amenée à grands frais sur le front français. Pourquoi ? Mystère !
Peut-être pour remonter le moral de nos troupes qui était bien bas après l’échec de nos offensives des 16 et 17 avril…

A la fin de l’après-midi, le train blindé, ses canons repliés, est reparti vers Rilly-la-Montagne où il trouve un abri très sûr dans le tunnel. Il n’en a pas de même pour nous qui avons commencé à recevoir la riposte des Allemands dont les obus tombent un peu partout.
Alors que j’arrive à la porte de la maison, un sifflement très proche me surprend. Au lieu de me jeter à terre, comme on nous l’a appris, je m’élance dans le couloir en claquant la porte derrière moi, geste machinal qui ne m’aurait pas sauvée de l’obus mais peut-être des éclats et qui ne valait pas un rapide plat ventre ..
Nous sommes gratifiés, dans notre quartier, de deux variétés d’obus : l’Allemand dont on entend bien le sifflement avant l’explosion et l’Autrichien qui explose avant qu’on ait pu l’entendre venir, bien plus dangereux que l’autre.
Heureusement, si l’on peut dire, qu’il arrive plus d’obus allemands que d’autres. Pour cette nuit et les suivantes, qui menacent d’être agitées, nous quittons la maison de la vigne pour nous réfugier dans les caves Walfart plus solides et bien organisées pour recevoir les habitants voisins.

Ce matin, nous avons eu une surprise : un train que nous appelions peut-être à tort, blindé, est arrivé dans la nuit. Il est venu prendre position dans la grande tranchée du chemin de fer, tout en haut des vignes (Sur la photo, l’endroit est aujourd’hui le pont Franchet d’Espèrey).
Ce sont deux pièces d’artillerie de marine montées sur des wagons métalliques très longs, dont les bouches impressionnantes émergent de la tranchée.
Dès les premiers coups, c’est la panique parmi les travailleurs de la vigne, d’autant plus que des morceaux de cuivre rouge, arrachés de la ceinture des obus tombent çà et là. Un ouvrier a voulu en ramasser un et s’est brûlé les doigts.
Notre surveillante a voulu nous répartir aux deux extrémités de la vigne et continuer le travail mais un officier de la batterie est apparu en haut du talus et d’un ton sans réplique, s’adressant à la surveillante : « Je ne veux voir personne en avant des pièces, sortez tous immédiatement ou je ferai exécuter une évacuation totale et définitive du personnel civil travaillant sur ce terrain ».
Bon gré, mal gré, la surveillante a dû bien exécuter cet ordre et nous avons été répartis dans d’autres services des caves Walfart.

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

Louis Guédet

Mercredi 18 avril 1917

949ème et 947ème jours de bataille et de bombardement

11h matin  Temps gris brumeux, glacial, de la neige fondue, du grésil, de la pluie, sale temps. Nuit tranquille dans notre quartier. Mais boulevard Lundy, bombardement vers 2h du matin, tir de barrage. Pierre Lelarge a encaissé pour son compte 6 obus, Lorin rue de Bétheny un, etc…  etc…

Hier soir j’ai reçu la visite du bon R.P. Desbuquois, charmant homme, beaucoup de cœur, et qui me comprend très bien et sent mes souffrances auxquelles il compatit en même temps (rayé) qu’il n’est pas surpris de leur (rayé) cruauté même envers (rayé). Causé longuement, il reviendra me voir puisqu’il est revenu habiter rue de Venise au Collège, dans la crainte des gaz asphyxiants, rue St Yon où il habitait seul. Il était plus raisonnable pour lui de se trouver avec les collègues, c’était du moins plus prudent. Je pourrai ainsi aller le voir plus facilement.

Ce matin le calme. La bataille continue dans le lointain, toujours vers Berry-au-Bac, mon pauvre Robert !!!! Été à la Poste, trouvé lettre du Père Griesbach retirant sa plainte contre Dupont, son insulteur, et mis une lettre pour Madeleine. Été à la Ville, rien de saillant, on est sans nouvelle de la bataille. Les employés de la Ville sont toujours heureux de me voir, ainsi que les agents de Police.

Repassé chez Mazoyer, mes lettres d’hier ont été prises par lui. Çà va bien !! Ce soir j’en remettrai une pour ma chère femme. Rencontré en route Lesage, pharmacien, casqué comme un vrai poilu. Il a bonne tête là-dessous, cela lui va !! Il est las comme nous tous !! Rentré à la maison par un brouillard tombant frais ! On est glacé. Aussi bien physiquement que moralement. Il serait pourtant bien et temps que notre martyr cessât ! On est au bout de tout, forces physiques et morales, on vit en loques !

6h soir  A 2h été prendre mon courrier, reçu lettre de ma pauvre femme, toujours aussi angoissée. Je lui réponds de mon cabinet de juge. Elle me disait qu’elle avait reçu une lettre du 10 de Robert qui allait bien et disait que de la hauteur où il était il voyait les allemands qui en…  prenaient pour leur rhume !..

Carte de Charles Defrénois, du Répertoire Général du Notariat, très gentille et admirant ma conduite. Je lui réponds pour le remercier et lui dire que je ne pourrais lui régler les frais de légalisation, procuration Heidsieck qu’il me retournait que lorsque la Poste recevra le mandat Poste.

De là je vais à la Ville, monte avec Charbonneaux au campanile de la Ville, où je retrouve Lenoir député, le Maire et Sainsaulieu, architecte de la Ville. Nous contemplons le champ de Bataille de Brimont, malheureusement la pluie ne nous permet guère de bien voir quelque chose. Je termine ma lettre à Madeleine dans la salle du Conseil, et vais porter mes lettres à Mazoyer que je rencontre sous les loges (de la place d’Erlon). Il me dit qu’à l’État-major on est satisfait de la bataille.

Nous sommes au Mont Cornillet, Mont-Haut, Moronvilliers où je chassais. Le Mont Cornillet ! Quels souvenirs, c’est là où mes 2 grands artilleurs ont tué leurs 1ers lapins. Rentré à la maison, rencontré en route le Commissaire Central Paillet. Vraiment crâne ! Avec moi il se gausse de la fuite lâche de Speneux, commissaire du 3ème canton, de Mailhé, commissaire spécial près la Place, encore un crâneur celui-là, des employés des Postes, des bureaucrates, etc…  etc… « Tous foutu le camp ! M. Guédet » me dit le Brave Paillet. Nous nous quittons, et je lui dis : « on devra cingler après la Guerre ces peureux-là !! » Lui me reprend : « Oui, mais je dis on devrait !! car on n’osera pas !! » Moi de répondre : « Nous verrons bien !! »

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

18 avril 1917 – Au cours de la nuit, bombardement ; les obus sont tombés boulevard Lundy. Rien dans la journée. Le soir, forte canonnade, surtout par les 75, qui claquent bien.

La place Amélie-Doublié que j’ai tenu à revoir, aujourd’hui, a changé beaucoup d’aspect depuis une dizaine de jours. Là comme ailleurs, on a maintenant une impression de désolation, de des­truction qui, toutefois est bien pire encore avenue de Laon où les premières maisons de gauche sont entièrement détruites, de même que celles situées à droite et comprises entre la rue Lesage et le local de la poste. En passant, j’y ai remarqué un incendie en pleine intensité, brûler sans pouvoir être combattu, les maisons nos 7 et 9.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Mercredi 18 – + 2°. Toute la nuit combats au loin autour de Reims. Obus. Visite du Général Lanquetot (venu pendant ce temps-là à la maison) dans les caves Walfard où les bureaux sont installés. Notes pour la presse approuvées par lui (sur les bombardements de la Cathédrale) et de la ville. Visite aux Sœurs de Saint Vincent de Paul. Familles Walfard et Bec­ker, à M. le Curé. On nous prévient que l’opération qui délivrera Reims sera dure et longue. Les Français ont attaqué du côté de Moronvillers : les objectifs assignés sont tous pris(1). Allemands résistent avec acharnement ; 2 400 faits prisonniers dans leurs défenses ou cernés. Visite du Général de Mondésir qui avait envoyé hier demander de nos nouvelles. Comme le général Lanquetot, il dit : « Vous n’avez rien vu ! Reims peut passer de très mauvais jours(2). » Il craint surtout les incendies et les obus asphyxiants.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Les sommets des monts de Champagne qui dominentla plaine de la Vesle sont effectivement entre nos mains (le Mt Cornillet, le Casque, le Téton, le Mt Haut, le Mt Perthois, le Mt sans Nom, le Mt Blond)
(2) Le général Pierron de Mondésir a malheureusement raison puisque les destructions de Reims atteindront leur pont culminant au printemps 1918, alors que la ville est heureusement évacuée en totalité.

Mercredi 18 avril

Au nord et au sud de l’Oise, activité intermittente des deux artilleries. Nos patrouilles ont ramené des prisonniers.

Entre Soissons et Reims, nos troupes se sont organisées sur les positions conquises. Dans la région d’Ailles, une forte contre-attaque allemande sur nos nouvelles lignes a été brisée par nos barrages et nos feux de mitrailleuses qui ont fait subir des pertes élevées aux assaillants.

D’autres contre-attaques ennemies dans le secteur de Courcy ont également échoué. Le temps continue à être très mauvais sur l’ensemble du front.

En Champagne, nous avons attaqué à l’ouest d’Auberive, sur un front de 11 kilomètres en enlevant la première ligne ennemie et, sur certains points, la seconde. Cette avance nous a valu de faire 2500 prisonniers.

Sur le front, entre Soissons et Reims, où les pertes allemandes ont été très considérables, le chiffre de nos prisonniers atteint à 11000.

Les ouvriers de Berlin se sont mis en grève pour protester contre le rationnement, qui est devenu insupportable. Des bagares sanglantes ont eu lieu, de même qu’à Leipzig.

Les aviateurs anglais et français ont accompli un raid aérien de représailles sur Fribourg-en-Brisgau.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour