Lois Guédet

Jeudi 29 mars 1917

929ème et 927ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 soir  Temps glacial, pluie, ondées, on souffre du froid humide après le froid sec. Lequel des deux le meilleur ? ni l’un ni l’autre !

Je travaille, j’écris, je déblaie fiévreusement toute la matinée. Y arriverai-je ? J’en ai des moments de découragement !! Plus j’en abats plus j’en ai à faire ! Au courrier d’aujourd’hui lettre de Labitte qui me rassure un peu sur le sort de mon pauvre enfant Robert. J’envoie cette lettre à Madeleine, la pauvre femme en sera peut-être un peu réconfortée. A 2h1/2 Réquisitions militaires, auparavant je vais à l’Hôtel de Ville porter mes 70 dossiers d’Allocations militaires en commission d’appel, réglés hier. Retiré ma carte de sucre pour moi et ma domestique. A l’audience de réquisition je vois le fils Veith qui me raconte le bombardement qu’ils ont subi hier. 150 obus sur son usine, la rue Goïot et l’asile de nuit. Son usine a des dégâts, mais elle peut remarcher. Ils étaient en 2ème caves, la machine a marché durant tout le bombardement et pour cause, c’est que le contremaître a voulu aller arrêter les feux et la marche, mais il n’avait pas compté sur les 150 et les 210 qui pleuvaient par 3 d’un coup.

André Veith (1894-1977) l’a empêché d’y aller à nouveau. L’asile de nuit n’est plus qu’une ruine, la rue Goïot est entièrement défoncée, avec des trous de 6m de diamètre !! Les batteries allemandes cherchent une batterie de nos 75 qui sont chez mon client Pol Leduc (Membre de la Société des amis du vieux Reims), boulevard Henry Vasnier n°90 et ne la trouvent pas, alors ce sont les voisins qui écopent !! Le fils Veith était vraiment courageux, et c’était avec beaucoup de simplicité qu’il me contait ses angoisses, ses impressions et ses craintes pour ses ouvriers toujours aussi courageux, si braves, travaillant sous les bombardements continuels et brassant à la barbe des allemands !! C’est beau tout de même. Et Dieu sait la quantité d’obus qu’ils ont reçus, affrontés…  C’est du courage froid, calme et noble, et il faut une réelle volonté et force de caractère pour qu’André Veith arrive à tenir tout ce monde, et il fait cela très simplement, comme tous les braves et les vaillants !! Je suis heureux d’écrire ces lignes pour l’histoire de Reims, pour ces humbles qui travaillent pour alimenter leurs concitoyens. Je crois que je puis me permettre de faire ce compliment, cet éloge. Je crois en avoir le droit !

Rentré chez moi ensuite, finir mon courrier qui n’est pas terminé, ce sera fini demain, à moins que…

Nos nuits sont blanches ou à peu près, on se bat formidablement de 2h à 4h à peu près régulièrement, et ajoutez à cela les bombardements comme ceux d’hier !! avec victimes à la clef. Aujourd’hui bataille terrible vers Berry-au-Bac, Le Godat. Quelques obus, des gros, assez près d’ici. J’arrête, j’ai encore ma simple police à voir, mais (rayé) et Cie la clique. J’ai juste 7 procès nouveaux avec 5 anciens = 12 !!! Non ! (rayé) et les bruits (rayé) et les hauts galonnés qui les commandent. Je réclame (rayé) !!! Les Gendarmes et les brutes de (rayé) qui (rayé) font grève !! Je crois que je les ai trop bien dressés…  à la grande joie de mes chers justiciables et surtout de leur tranquillité.

9h  Calme ce soir.

9h1/2  Voilà la sarabande qui recommence. Vais-je pouvoir dormir… ?…  Je suis cependant bien fatigué, mais avec ce tintamarre…  on dort mal, on dort comme dans un cauchemar…  toujours en éveil quoique dormant. Singulière impression, on dort mais le moindre bruit d’obus sifflant ou tapant de plus près, on l’entend, on pourrait appeler notre sommeil du sommeil en éveil, ce ne peut être du repos.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

29, 30, 31 mars 1917 – Bombardement chaque jour.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 29 – + 2°. Nuit tranquille, sauf vers 3 h. 1/2, violente canonnade française. Voyage de M. Compant à Binson pour les reliquaires du Car­mel. Mgr Neveux confirme à . Visite de M. Abelé pour son discours à l’Assemblée Constitutive de l’Association des Amis de la Cathédrale. Vers minuit, un bombardement a lancé des obus : 2 à Mencière ; 1 près de M. le Chanoine Renaud.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Clinique Mencière

Jeudi 29 mars

Entre Somme et Oise, grande activité des deux artilleries, notamment sur le front Essigny-Benay. Nos tirs ont dispersé des travailleurs ennemis au sud de Saint-Quentin. Aucune action d’infanterie.

Au sud de l’Oise, ainsi que dans la région au nord de Soissons, escarmouches de patrouilles et vives fusillades en de nombreux points du front.

En champagne, à la suite du violent bombardement dirigé sur nos positions a l’ouest de Maisons-de-Champagne, les Allemands ont lancé une forte attaque et ont pu prendre pied dans quelques-uns de nos éléments de première ligne. Toutes les tentatives sur Maisons-de-Champagne ont été brisées par nos feux qui ont infligé des pertes sanglantes à l’ennemi. Deux coups de main sur nos petits postes à l’est de la route de Saint-Hilaire, Saint-Souplet et au nord de Tahure ont complètement échoué.

Sur la rive gauche de la Meuse, tirs de destruction efficace sur les organisations du secteur cote 304-Mort-Homme.

En Macédoine, nous avons brisé une attaque ennemie à l’ouest de Monastir. Le total de de nos prisonniers pour les derniers jours est de 2104.

Des torpilleurs allemands ont tiré une soixantaine de projectiles sur Dunkerque. Le bombardement a fait deux victimes. Les torpilleurs se sont retirés à grande vitesse.

Un destroyer britannique a été coulé.

Source : La Grande Guerre au jour le jour