Louis Guédet
Samedi 7 avril 1917 Samedi Saint
938ème et 936ème jours de bataille et de bombardement
5h3/4 soir Quelle fin de soirée tragique hier. J’en suis encore atterré. Je me demande si je ne vis pas dans un cauchemar. Hier soir avais-je fini ces lignes précédentes, et mangé ma soupe à la cuisine, que nous fûmes obligés de descendre dans la cave. Bombardement terrible sur notre quartier. Une bombe tombe à 7h35 chez M. Floquet au 56. On n’entend rien. Jacques, le pauvre malheureux, s’inquiète. Il veut aller voir, je tâche de le retenir, il ne m’écoute pas et le voilà parti…
Plusieurs, puis 2 bombes coup sur coup. 5 minutes, 10 minutes se passent, pas de Jacques, on s’inquiète, on monte, on cherche et ma brave Adèle apprend que Jacques est tué, et son corps est au 35 de la rue Hincmar, chez Edouard Benoist. J’y vais et je trouve là la dépouille de ce brave et dévoué serviteur de Maurice. Tué d’un éclat d’obus au foie. C’est l’avant-dernière bombe qui l’a tué, au moment où il se trouvait au coin de la maison avec le gardien de la maison Hébert, 54, rue des Capucins. Je suis atterré, brisé, broyé, anéanti. Je rentre après avoir fait mettre ce cher cadavre à l’abri par le poste de la Croix-Rouge militaire qui est cantonné là. Nuit horrible, monter et descendre de et à la cave. Je suis comme un fou. Melle Payard, Melle Colin et Adèle tâchent de me réconforter, peine inutile. Je ne sais ce que je fais. Ce matin je revois en pensée Jacques pas encore enlevé. Je me traîne à la Ville à travers les décombres de toutes sortes.
L’Hôtel de Ville n’a plus de vitres ni de tuiles, très abîmé. C’est un spectacle lamentable. La statue de la Vigne de Saint-Marceaux qui, au milieu du rondpoint de la cour d’honneur est penchée et tient par miracle d’équilibre. Je vois Raïssac très ému, je m’entends avec lui ainsi qu’avec la police pour qu’on mette en bière ce pauvre garçon, on doit l’inhumer aussitôt avec les autres victimes. On me préviendra si l’on peut, grand ordre est donné d’enterrer les victimes de suite. Je reste délabré. Je mange un peu, et puis la sarabande recommence. A la cave depuis 2h nous y sommes encore. C’est terrible, je crois que je tomberai malade si cela continue. Je m’occupe, j’écris mais je n’ai la tête à rien !! Quel martyr, quelle agonie. Mes 2 bonnes sont courageuses, Adèle et Lise, et une voisine, Melle Marie sont là et m’encouragent. Je ne sais plus, je n’ai plus de courage. Ma femme, mes enfants, les reverrai-je ?? Mon Dieu ! ayez pitié de moi.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
7 avril 1917 – L’Éclaireur de ce jour, publie une nouvelle information dont voici les termes :
Avis à la population.
En raison de la situation, le gouvernement se voit dans la pénible nécessité d’évacuer ceux des habitants de Reims dont la présence n’est pas absolument indispensable.
Les enfants et les femmes seront envoyés à l’arrière, où ils seront reçus par les comités et où ils recevront tous les soins désirables. La population est donc invitée à faire sans retard ses préparatifs de départ.
Ceux qui n ‘ont pas de lieu de refuge chez des parents ou amis seront placés par les soins de l’administration dans des communes situées en dehors de la zone réservée, où le gouvernement assurera à tous le nécessaire. Les personnes qui se trouvent dans ce cas sont priées de se faire inscrire au commissariat de police de leur canton.
Le maire de Reims, J.B. Langlet, Le sous-préfet, Jacques Regner.
— Le bombardement, avec gros calibres est encore très violent ce jour, vers le boulevard de Saint-Marceaux et particulièrement l’usine des Anglais, dont ce qui subsistait de la grande cheminée est abattu.
Les rues du Barbâtre et de l’Université sont aussi très fortement éprouvées. Parmi les victimes, se trouve M. Fourrier, habitant cette dernière rue, qui a été mortellement blessé.
Le Grand Séminaire, installé dans les bâtiments occupés antérieurement par la congrégation de Notre-Dame, prend feu et, en passant, à 18 h 1/2, je vois brûler sa chapelle, rue de l’Université, en face du lycée de garçons.
Le journal Le Courrier de la Champagne a cessé de paraître aujourd’hui.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Samedi-Saint – Samedi 7 – + 5°. Visite : Place de l’Hôtel-de-Ville. La statue du Roi aux bas-reliefs de la façade, et le cheval ont la tête brisée ; façade meurtrie ; vitres brisées ; rideaux et lambeaux de papier des tapisseries flottent au vent par les fenêtres béantes ; rue des Consuls, incendie de la maison de Tassigny ; boulevard de la République, Clinique de la rue Noël, rue Thiers et autres, caves Werlé. Nous étions partis pour aller porter nos condoléances à Monsieur le Curé de Saint-Benoît ; nous le rencontrons avec M. Baudet vers la Patte d’Oie. Vu l’automobile où Madame Baudet a été tuée, au moment où elle venait de faire monter avec elle un soldat qui portait un blessé (vendredi soir, hier). Tous tués, excepté un civil blessé. Rencontré M. Dupuis et M. Baudet qui viennent voir la voiture tachée de sang. Cette semaine est vraiment la Passion de Reims. A Sainte-Geneviève : 5 personnes tuées au sortir d’une cave. A 10 h. 1/2, bombes sifflent (la matinée avait été très silencieuse jusqu’à 10 h. 1/2).
A 4 h. incendie du Grand Séminaire. M. Compant apporte le saint ciboire avec les saintes Hosties, en longeant les murailles, sous la rafale, dans notre oratoire. (1 200 obus, dit l’Echo de Paris du 10 avril). Les Allemands ont lancé des ballonnets sur la ville, disant : Nous partirons ; mais votre ville sera détruite (1). Le Séminaire brûle toute la nuit ; on m’empêche de sortir pour aller voir à cause du danger ; nuage rouge de feu au-dessus de l’incendie, nuage que je vois de mon lit installé dans mon cabinet de travail. Toute la nuit, tir régulier allemand intermittent sur le séminaire et ailleurs. Les pompiers sont réduits à l’impuissance : pas d’eau, on ne peut éteindre le feu ; les obus tombent 2 ou 3 par minute dans le brasier, impossible d’aller faire la part du feu. Les pompiers ont eu dans la nuit du 6 au 7, 2 tués et deux hommes ont eu les jambes cassées, nous dit leur chef pour expliquer son défaut d’activité devant l’incendie.
Cinquante et un (51) incendies dans la nuit du 7 au 8 avril (Éclaireur du 9 et 10 avril).
Obus de 190, 210, 305 millimètres, incendiaires ou asphyxiants (Éclaireur).
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) La propagande directe par tracs aériens, panneaux d’affichage, faux journaux, faux communiqués, fausses déclarations de prisonniers ou de déserteurs furent monnaie courante dans les deux camps. A Reims, les Allemands s’attaquaient en même temps au moral de la troupe et de la population, qui constituaient un mélange fragile et détonnant.
Samedi 7 avril
Entre Somme et 0ise et dans la région au nord de Soissons, lutte d’artillerie en divers points du front sans action d’infanterie.
Au nord-ouest de Reims, nous avons continué à progresser à la grenade à l’est de Sapigneul. Les Allemands ont violemment bombardé la ville de Reims.
En Argonne, un coup de main sur les tranchées ennemies de la Fille-Morte nous a permis de faire un certain nombre de prisonniers, dont 3 officiers.
Nos avions ont détruit deux ballons captifs allemands.
Les Anglais, continuant leur attaque vers Roussoy, au nord de Saint-Quentin, ont enlevé le village de Lempire. Un certain nombre de prisonniers et 3 mitrailleuses sont tombés entre leurs mains. Ils ont effectué une avance au nord-est de Noreuil, puis repoussé une contre-attaque. Ils ont réussi un coup de main sur les tranchées allemandes à l’est d’Arras et un autre en face de Wynschaete.
Leurs pilotes ont bombardé d’importants dépôts de munitions, aérodromes et noeuds de chemins de fer.
La Chambre des Représentants des Etats-Unis a voté la déclaration de belligérance par 373 voix contre 50. Le gouvernement américain demande 17 milliards et le service militaire obligatoire.
Source : La Guerre 14-18 au jour le jour