Abbé Rémi Thinot
VENDREDI 4 SEPTEMBRE ; 1 heure après-midi : Une matinée terrible.
Je me lève à 4 heures, cueille Poirier et nous allons Boulevard de la Paix voir s’ils arrivent ; personne !
Je vais dire ma messe.
A 9 heures -5, un coup de canon, deux coups ; ce sont les ennemis qui marquent leur entrée… d’autres coups, des sifflements hachés des éclats… Est-ce une canonnade à blanc ; est-ce un bombardement? Deux voisines accourent, affolées… les caves sont dangereuses… En sortirait-on ?
Je veux aller à la cathédrale, car c’est vraiment un bombardement. Je vais voir deux ou trois fois au grenier. Sifflements, éclats… Je ne distingue rien.
Je sors ; je marche sur des morceaux de fonte ; il n’y a plus de doute.
Je rentre à la salle-à-manger avec un matelas aux fenêtres ; les femmes tremblent… je fais descendre Melle Mathieu qui faisait mon lit. Nous prions… les sifflements ! le lourd tremblement du sol frappé non loin de nous !… C’est horrible.
Vers 10 heures 1/4, les coups s’espacent puis cessent. Le bombardement a duré une petite heure.
Je m’en vais par les rues désertes remplies d’effroi, parmi les persiennes fermées, jusqu’à la cathédrale. Partout des éclats devant la cathédrale, des débris de sculptures ; sur le parvis, un trou énorme… les pavés sont noirs tout à l’entour ; autre trou béant dans l’enclos du Palais de Justice. Une excavation remplie d’eau rue Robert-de-Coucy, en face Clignet, où les ingrédients chimiques répandus remplissent l’air d’une odeur inquiétante.
Là, l’obus est tombé sur une bouche d’eau. Le Courrier – la Coopérative – est criblé ; l’éclaireur de l’Est en ruines…
J’entre à la Cathédrale ; je tombe sur M. le Curé arrivé en pleine mitraille devant un parvis invisible sous la poussière. La cathédrale est remplie de poussière… les commotions de l’air ont été violentes. Les vitraux bas- côtés nord des petites nefs sont en écumoires. La grande rose a quelques trous, la petite (ouest) est plus atteinte. Le dernier vitrail de la galerie des Rois est éventré. Je ramasse les morceaux tombés pour les sauver.
Je fais un tour.
6 heures du soir ; spectacle lamentable, triste, triste ! Oh ! cet homme de la rue St.Pierre-les-Dames broyé avec son chien affalé sur ses genoux, parmi l’horrible désordre de la maison qu’un obus avait abordé en pleine porte cochère !
La tète broyée, vidée, les membres pantelants, dénudé jusqu’à la ceinture… ce pauvre chien éventré… un morceau couvert de poil en pleine rue… la cervelle du maître à côté ! J’ai pris le pauvre corps et je l’ai abrité au fond.
M. Landrieux[1] passait ; nous avons dit un De Profondis.
Puis, c’est le lugubre pèlerinage rue St.Symphorien… rue Eugène-Desteuque… et tant de morts çà et là. St. Remi, St. André éventrées. Ah !c’est miracle que Notre-Dame soit épargnée ; les côtés et l’arrière ne l’ont pas été !…
Vers 4 heures, les troupes allemandes défilent. Point d’arrogance, point de fatigue… de la bonhommie… de la courtoisie. Telle est l’attitude de l’officier supérieur saxon que j’aborde Place Royale à la prière de plusieurs pour le questionner. Je l’accompagne jusqu’au Lion d’Or à la tête de ses troupes et je lui demande ce que signifie le bombardement du matin.
Je suis content que vous me questionniez… je vous donne ma parole d’honneur que c’est un malentendu déplorant, pour vous comme pour nous… question des parlementaires que nous ne retrouvions pas… c’était une batterie… j’ai fait cesser le feu dès que j’ai vu l’officier arrivant agité et criant d’arrêter… Dites à la population que nous serons calmes, que s’il n’y a aucune hostilité, nous ne ferons aucun mal… »
Ne parlait-on pas déjà d’un nouveau bombardement vers 5 heures? Tout le monde s’affolait. Je rassure tout le monde. Cet officier m’a tendu la main ; je ne l’ai pas refusée ; il m’a paru très loyal.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Landrieux
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Juliette Maldan
Jeudi 3 septembre 1914
Toute la nuit, des troupes ont défilé sous nos fenêtres, et les lourdes roues des caissons d’artillerie ont fait résonner le pavé. Anna qui ne s’est pas couchée a passé la nuit à regarder avec angoisse ces troupes de toute arme, dont l’attitude hélas, sent trop bien la retraite…
Au début de l’après-midi, en rentrant du patronage, encore une fois expulsé, et que j’ai dû cette fois définitivement fermer, je rencontre l’abbé Andrieux qui m’arrête pour m’annoncer que la ville est rendue et que les allemands vont y faire leur entrée. Pendant la nuit, les forts ont été hâtivement désarmés, des émissaires allemands sont venus parlementer à la Neuvillette avec le drapeau blanc, et c’est chose faite. La ville s’est rendue sans coup férir… On a l’impression amère et lourde de s’enfoncer dans la honte…
D’où vient ce changement brusque, alors que tout était préparé pour une défense, et que des travaux considérables avaient été faits dans ce sens ?… Mystère…
Je me dirige vers la place de l’Hôtel de ville qui est noire de monde.
Une foule agitée se presse autour d’affiches hâtivement placardées… On commente, on discute, la tristesse des événements est dans tous les yeux…
On essaie de recueillir quelques détails… Une auto fend péniblement la foule, et un officier en descend, imposant silence pour lire une proclamation que je n’entends qu’à demi. Il termine en répétant que tous ceux qui possèdent encore des armes doivent, sous les peines les plus sévères, les déposer à la Caserne Colbert avant 4 heures. Garder une arme chez soi, c’est s’exposer à la peine de mort.
Des affiches collées partout annoncent que la ville est rendue. Il faut s’attendre à l’entrée des troupes ennemies pour ce soir ou pour demain matin.
4 A la cathédrale, après le Chemin de Croix, M le Curé dit quelques mots pour recommander le calme, le sang-froid, le courage et, malgré tout, la confiance.
Le même soir, cachée dans l’ombre d’une fenêtre du rez-de-chaussée, je vois passer dans la rue Cérès, la première patrouille de uhlans… Quelle douloureuse impression !… et que le pas de leurs chevaux résonne péniblement dans le cœur !…
Mais le gros des troupes ennemies n’a pas encore fait son entrée. Sans doute, on réserve cette démonstration pour demain, 4 septembre, anniversaire du jour où quarante-quatre années avant, les allemands sont entrés à Reims, après la bataille de Sedan.
Vendredi 4 septembre 1914
En sortant ce matin pour aller à la messe, il faut se résigner à côtoyer les uniformes ennemis… Quelques-uns de ces grands diables, sanglés dans leurs costumes réséda, rodent aux abords de la cathédrale. C’est aussi nouveau que douloureux comme impression.
L’assistance est nombreuse à la messe du Sacré-Cœur. M le Curé parle du « rôle de la souffrance dans l’Évangile », la souffrance, voie unique et nécessaire de rédemption, et il termine par quelques paroles d’actualité sur les souffrances présentes qui, il faut en avoir la ferme confiance, sont destinées à conduire notre cher pays vers la régénération… Mais les coups les plus douloureux ne dont sans doute pas encore frappés, et quand tout sera terminé, la France se retrouvera à genoux et en deuil sur des ruines !…
A neuf heures, les troupes allemandes n’ont pas encore fait leur entrée triomphale. Qu’attendent-elles donc ?… Seuls, quelques officiers passent, de loin en loin, emportés dans des autos à toute vitesse.
Je sortais quand maman me fait remarquer des détonations dans le lointain… Je n’y fis nulle attention, croyant qu’il s’agissait comme les jours précédents, de rails et de ponts que l’on continuait à faire sauter.
Les rues du reste sont pleines de monde, la foule circule sans méfiance, puisque maintenant, tout est terminé pour notre pauvre ville. Au bout de quelques minutes de marche, obéissant à je ne sais quelle impulsion que je ne puis expliquer, je retourne vers la maison… A peine ai-je franchi le seuil, que de violents détonations me laissent plus de doute sur ce qui se passe : la ville est bombardée !…
Nous nous dirigeons vers les caves. J’étais sur la première marche quand une effroyable détonation retentit, accompagnée du fracas de toutes nos vitres se brisant à la fois. Une bombe est tombée sur la maison d’en face !…
La commotion est si violente qu’il semble que les grosses murailles de pierre vont tomber sur nous. A tâtons, nous nous enfonçons dans l’obscurité de la cave. Anna nous rejoint avec une petite lampe, et là, toutes les trois agenouillées sur le sol, nous récitons notre chapelet, pendant que ce terrible orage gronde sur nos têtes. Les obus passent en sifflant presque sans arrêt, éclatent tout autour de nous. Que ravagent-ils ? Qu’atteignent-ils ? Angoissantes questions qui étreignent le cœur !
5 Puis surtout que s’est-il donc passé qui puisse justifier pareil traitement, alors que la ville s’était rendue et désarmée ? Les suppositions les plus angoissantes montent à l’esprit pendant ces terribles minutes.
Au bout de trois quarts d’heure environ, le bombardement cesse.
Je remonte en me frayant péniblement un passage à travers les débris de tous genres et les vitres brisées qui jonchent et encombrent la maison. Mais quelle scène alors autour de moi !
Sous le ciel d’un bleu si lumineux qu’il semble ironique, des nuages de poussières épaisses emplissent les rues. Des décombres, des pans de murs écroulés gisent partout. Puis ce sont des cris, des appels déchirants. On compte les victimes, on emporte les cadavres. Il y en a de nombreux dans les rues voisines. Rue Eugène Desteuque, une femme avec son petit enfant, s’est affaissée dans une mare de sang, sur le seuil de la maison des Cabanis, une autre femme est tombée, foudroyée, Hourlier a été tuée également, devant la porte de sa maison, alors qu’elle cherchait à se rendre compte de ce qui se passait. Toutes les maisons ont des brèches et sont criblées d’éclats d’obus.
La nôtre n’a plus une vitre du côté de la façade qui est criblée d’éclats d’obus. Le toit est comme une écumoire. Des éclats d’obus ont pénétré un peu partout, surtout au second étage où les livres d’une bibliothèque sont complètement pulvérisés.
Le calme se rétablit peu à peu après cette terrible secousse. On se renseigne et on se rassure sur le sort de ses amis.
Charles Heidsieck, venu tout de suite pour prendre de nos nouvelles, nous raconte qu’il était ce matin à l’Hôtel de ville, occupé à discuter les conditions de reddition de la ville avec le général allemand, quand le bombardement a éclaté. Le général a feint la surprise. « Si ce sont les français qui tirent, a-t-il dit en fronçant les sourcils, c’est une mauvaise affaire pour vous ! » – « Et si ce sont les vôtres ?… » – « Oh ! cela ne changerait rien à la question, c’est la guerre ! »
Un éclat d’obus ramassé, a pu lui prouver immédiatement que l’engin venait de chez lui… « C’est donc une erreur ». a-t-il conclu avec calme. Que penser de cette erreur, et de la bonne foi de ces gens dont dépend maintenant notre sort ?…
La foule recommence à circuler dans les rues, une triste foule, hélas, la lie de la population, qui, désœuvrée, privée de travail et de ressources, promène par la ville, avec sa misère, sa curiosité de mauvais aloi. Des femmes vêtues de nippes voyantes, toisent, le sourire gouailleur aux lèvres, les belles maisons endommagées : « C’est chez du bourgeois, mieux vaut chez eux que chez nous ! » Cette lamentable populace fera la honte de la ville les jours suivants.
Des allemands, mais en petit nombre, circulent dans les rues. C’est une auto rapide emportant des officiers supérieurs, quelques soldats cyclistes qui regardent d’un œil curieux et narquois, les maisons éventrées.
Encore une fois, que s’est-il donc passé ?… Pourquoi avons-nous été bombardé ?…
Les versions les plus contradictoires continuent à circuler sans qu’il soit possible d’y reconnaître la vérité. On prétend qu’un corps d’armée arrivant sur Reims a tiré sans savoir que la ville était rendue. Mais cette erreur si peu plausible ne trompe guère !… D’après une autre version, les émissaires qui se sont présents aux portes de la ville, c’est-à-dire à la Neuvillette, ont disparu après leur mission remplie. Léon de Tassigny, très ému, étant directement intéressé dans cette affaire, comme Maire de la Neuvillette, vient dire aux de la Morinerie que la ville est menacée d’un nouveau bombardement si les parlementaires ne sont pas retrouvés ce soir pour six heures. Léon s’est offert en otage et s’attend à tout. C’est sous l’impression de cette conversation que les Raymond de la Morinerie, l’oncle et la tante, et d’autres, viennent chercher asile à la maison. Toutes les heures de cet après-midi se passent donc encore dans une attente angoissante, mais six heures viennent enfin, et rien ne se produit…
A la nuit tombante, les troupes ennemies en grand nombre, font irruption dans la ville. Les rues résonnent sous le pas de leurs chevaux, et sous les lourdes roues de leur matériel de guerre.
Les officiers, très raides sur leurs chevaux, promènent autour d’eux, un regard vainqueur qui fait mal.
Dans l’ombre d’une pièce du rez-de-chaussée, nous les voyons passer, Hélène et moi. La main d’Hélène tremble dans la mienne, et je l’entends qui murmure : « Ce sont ceux-là qui tuent nos enfants ! … »
Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.
Louis Guédet
Vendredi 4 septembre 1914
9h matin Quelle nuit j’ai passé à songer aux miens. Ou sont-ils ? Souffrent-ils ? Ont-ils pu gagner leur refuge ? Ne les a-t-on pas molestés ? Oh ! Ce que je souffre ! Et que je me reproche de ne pas les avoir appelés près de moi ! Et cependant j’ignorais ce qui arrive. Que c’est dur de se sentir ici à peu près en sécurité au milieu de l’ennemi et de sentir que ses chers aimés sont en train de fuir où ? Comment ? Mon Dieu ! Sauvez-les. Protégez-les. Je souffre assez pour que vous ne m’accordiez pas cela.
Les allemands sont à l’Hôtel de Ville, 3 ou 4 officiers (cuirassier, hussard et hulans) se sont présentés hier vers 5h à la mairie pour l’occuper. Ils l’ont gardé toute la nuit. Ce matin affiche apposée sur les murs de la Ville signée du commandant de place, le capitaine Louis Kiener, promettant la sécurité et donnant jusqu’à ce soir 6h pour remettre toutes les armes, sous peine de la plus grande sévérité et de la dernière rigueur.
10h50 matin à 9h 1/2 – 9h 3/4 un obus éclate vers St Jacques. Comme j’expliquais un avenant notarié à faire pour 2h pour M. Bouxin rue du Docteur Thomas… Puis un autre obus puis un 3ème ou 4ème qui éclate derrière chez mon beau-frère Marcel Bataille 50, rue de Talleyrand. Je ferme les persiennes et en fermant celles de ma chambre j’aperçois un nuage de poussière derrière chez lui dans sa cour ou celle de M. Martinet au n°48. Je redescends, prends des bougies, allumettes et dis de descendre à la cave à Heckel, mon brave caissier et à mon petit clerc Gaston Malet 49, rue de Courcelles ainsi qu’à Adèle qui n’arrête pas de dire « Ah les cochons ! ah ! les cochons ! Je les fais descendre à la cave, pendant ce temps que je rallie tout le monde les obus éclatent autour de la maison. Comme je m’apprête à descendre le dernier à la cave, j’en entends un éclater près du mur du fond de mon jardin, dans la cour du Casino. Je regarde, ne vois pas grand-chose. Il est temps de descendre. Je retrouve mes 3 réfugiés et nous nous retirons dans la 2ème cave du fond, mais nous nous tenons dans le petit retrait qui forme à gauche un réduit près du soupirail qui donne sur le jardin entre la salle à manger et le salon.
Canonnade intense, on entend les obus siffler puis éclater un peu partout. Cela dure 1 heure environ pendant laquelle Heckel s’inquiète des siens. Le petit clerc pleure. Je me tais. Adèle, elle, continue son refrain : ah ! les cochons ! Durant cette canonnade nous n’arrêtons pas d’entendre des gens courir dans la rue. Enfin le silence se fait, nous attendons dix minutes, je donne une bouteille de Mesnil 1906 à Heckel et à Malet pour boire chez eux en l’honneur de notre baptême du feu. J’espère qu’ils retrouveront les leurs sains et saufs.
Nous remontons, peu ou pas de dégâts ! Dans mon cabinet 5 carreaux cassés, 3 à la fenêtre près de la bibliothèque, volet gauche, les 3 de cette fenêtre (dessin de l’emplacement des carreaux cassés) et 2 à la fenêtre près de mon bureau, 1 fenêtre gauche en haut et celui du milieu fenêtre droite (dessin de l’emplacement des carreaux cassés) Dans le cabinet du caissier et du principal clerc rien. Dans l’étude des autres clercs 1 carreau cassé volet côté gauche en haut (dessin de l’emplacement du carreau cassé). J’aurais du laisser mes fenêtres ouvertes. Rien ailleurs, sauf dans notre cabinet de toilette ou ma glace à pied qui me sert pour me raser qui est affalée sur côté vers la baignoire, mais heureusement reste suspendue par le ruban qui la retient à un clou.
Bref plus de peur que de mal ! Peur non ! Angoisse en entendant siffler l’obus qui passe, on se dit : « Est-ce pour nous ?… » A la fin j’entendais très bien le coup de canon, puis l’obus siffler au-dessus de la maison. En moi-même je me disais : « Pas pour nous, trop court… trop long » selon le sifflement et l’éclatement sec. Dieu soit loué et qu’il continue à nous protéger !!
Je vais tâcher de savoir ce qui est arrivé, je suppose que les allemands ont été obligés de se retirer de Reims et en guise de carte de visite P.P.C. (Pour Prendre Congé, indiquant un départ et que l’on ne veut plus rencontrer) ces messieurs nous ont envoyé quelques obus : c’est la loi de la Guerre comme disait hier un uhlan à mon Beau-père en tenant son révolver prêt à faire feu, pendant qu’ils parlementaient avec le Maire de Reims.
2h1/2 De 11h à 12h1/2 j’ai fait le tour de la Ville côté ouest. Mon voisin M. Legrand 39 ou 41 rue de Talleyrand a reçu un obus qui le met en communication avec le boulanger de la place d’Erlon. Dégâts oui, mais je puis dire que j’ai bien entendu claquer celui-là quand j’étais dans la cuisine au moment de descendre à la cave rejoindre mes réfugiés et que je regardais si ce n’était pas dans mon jardin. Je suis mon exode : rue du Clou dans le Fer maison Collomb saccagée, plus un carreau chez Camuset banquier, je débouche rue de Vesle. En face de Matot, au coin de la rue de la Salle, obus tombé avec trou de 50 centimètres au bord du caniveau. Incendie de sa maison et de celle du marchand de chaussures. On me dit : « Allez voir rue Libergier ». L’École Professionnelle criblée… une mare de sang. Premier sang humain versé, éclaboussures de cervelles aux murs et aux portes, une femme et un enfant tués là… En face à l’ancien couvent la maison de retraite a une porte criblée, traversée. Plus loin maison Mauclaire, syndic, rasée intérieurement, la bonne coupée en deux.
Rue Clovis 2 trous dans la loge du concierge de la synagogue, tout est fauché, la grille hachée. A 10 mètres plus loin, au 59 je crois, intérieur de la maison effondré. Je cours chez Maurice Mareschal. Bonnes un peu affolées, un obus a éclaté au fond du jardin au pied d’un pommier. Un trou et des pommes tombées les Pôves !! Je ramasse à 50 mètres de là dans le sable de l’allée derrière chez M. Hébert ancien Directeur de la Banque de France, la fusée du susdit obus. (Mise dans sa poche, le phosphore restant s’échauffa au contact de la chaleur de son corps, l’obligeant à la retirer et à la jeter précipitamment, témoignage de sa fille Marie-Louise en 1991).
Bref il y a eu erreur. Les allemands croyaient que leurs parlementaires étaient pris ou tués et 10h étant le dernier délai, le drapeau blanc n’étant pas arboré, les Prussiens n’avaient trouvé rien de mieux que nous bombarder. Morts, blessés, dégâts en attendant que j’aille voir ce qui est à l’Est et au Sud. Au premier obus les parlementaires allemands, eux-mêmes se sont parait-il demandé ce que cela voulait dire… puis Auguste Goulden en prit 2 avec lui et fila avec eux, le drapeau blanc volant, vers les lignes prussiennes qui canonnaient de l’Ouest. Est-ce vrai ? ou est-ce manœuvre pour nous effrayer et nous forcer à céder devant leurs seigneurs, tout est possible de la part de ces gens-là. En somme peu de chose, car je n’aurais jamais cru qu’on pourrait s’habituer aussi facilement au bruit des obus. La prochaine fois je les compterai. Combien en a-t-il été envoyés ? Je serais curieux de le savoir.
5h soir Vers 3h je suis sorti faire un tour du côté nord-ouest. Place des Marchés : obus rentré dans la cave Girardot, une baie large de 2 mètres et plus une vitre. Halbardier m’a dit que l’appartement de M. Girardot son beau-frère était saccagé. Je file rue de Mars, même dégâts, de là par la rue de Sedan (rue Albert-Réville depuis 1949) les caves Werlé ont un obus dans leur cellier. Je passe rue Andrieux chez Stroebel, une baie creusée par un obus au ras du trottoir et de son mur large de 4 mètres. Heureusement qu’il n’était pas là. Un peu partout de même en revenant par la rue Cérès. Aussi je ne continue pas mon calvaire, c’est trop triste.
En un mot toute la ville a été couverte d’obus pendant 3/4 d’heure, exactement 40 minutes. Erreur dira-t-on et a-t-on dit, singulière erreur qui coïncide à 44 ans de distance avec l’entrée des Prussiens à Reims le 4 septembre 1870. Ne serait-ce pas plutôt le don de joyeux anniversaire envoyé par ces Messieurs. 101 coups de canon, comme pour la fête d’un souverain avec les shrapnels en plus. C’est trop d’honneur !! pour une pauvre Ville, avec une population sans arme. En revenant je n’ai pu m’empêcher de passer à la Cathédrale. Plâtras, morceaux de sculptures, débris de verrière. Notre Grande Rose percée à jour par les éclats d’un obus tombé au coin du trottoir à l’intersection de la place du Parvis et de la rue Robert de Coucy, à 10 mètres du pied de la tour gauche du Grand Portail et de l’entrée où l’on entre habituellement. Simple coïncidence ?! Erreur ! sans doute ?
Or dans l’allée du milieu de la grande nef, quand je traversais la Cathédrale, au moment de dire un Ave Maria, je vis un grand allemand, un officier chauffeur à casquette plate qui était arrêté là au milieu, à l’endroit où se trouve la pierre commémoratrice du martyr de St Thimothée.
Celui-ci était arrêté, droit, face au Christ de douleur du Grand Autel et la tête haute il avait l’air de dire : Seigneur des Armées, je suis le Germain Vainqueur « Allgemeine über alles » !! Il me rappela l’Évangile du Pharisien et moi pauvre vaincu je me suis mis à prier en demandant, en disant à Dieu, au Christ des pauvres, des petits, des humbles, des affligés : « Mon Dieu ! ayez pitié de la France ! »
Qui sera exaucé de lui ou de moi, pauvre vaincu au cœur saignant ??
A 44 ans de distance, avoir vu Gambetta entrer à pareille heure (4h) au ministère de l’Intérieur à Paris lors de la proclamation de la République, et voir aujourd’hui à pareille date et à pareille heure l’allemand fouler de sa botte la Cathédrale de la Maison de France, c’est beaucoup. C’est bien dur ! Quel anniversaire !!
8h soir Quand on voit le calme de cette soirée d’automne (car dimanche à St Martin et hier soir le soleil couchant était bien sanglant !) on ne se douterait pas de ce qui s’est passé ce matin pendant 3/4 d’heure, 40 minutes m’a-t-on affirmé, de 9h3/4 à 10h1/2, plutôt m’a-t-on affirmé, de 9h1/2 à 10h1/4. Nous ne sommes sortis des caves que vers 10h1/2 – 10h40 de la canonnade que nous avons subie. (Deux soldats allemands passent en ce moment devant ma maison au milieu de la rue en faisant sonner leurs bottes sur le pavé : soudards !!) J’en reviens au bombardement de Reims car c’en est un, même quand ce ne serait qu’une centaine de coups de canon, bombardement il y a eu ! (Mes 2 soudards repassent pour bien faire entendre leurs bottes à coups de talons !!) Eh bien de ce bombardement je ne puis dire que ça a été un cauchemar ? non… à peine un léger mauvais rêve !! J’en fais de plus douloureux quand je pense aux miens qui sont… Dieu sait où !! Faites sonner vos bottes Messieurs les allemands, j’en ai déjà entendu le son en 1870 et puis à Metz, Strasbourg et en Alsace en 1883, 1903, 1912 et je ne m’en effraie pas. « Tapez ! Tapez du talon ! Vos bottes s’useront !! »
Et dire que 4 officiers ont maîtrisé 100 000 âmes ! Ce soir en venant de revoir mon beau-père, je me suis heurté aux canons braqués autour de la place de l’Hôtel de Ville. Vers toutes les rues qui y conduisent. Canonniers assis sur les affuts à droite et à gauche… C’est le XIIème Corps que nous aurons à loger.
On raconte beaucoup de choses :
- D’abord que le bombardement de Reims serait le fait d’une erreur.
- Que ce serait une occasion de nous terroriser.
- Que 2 officiers parlementaires, Von Arnim et Von Kummer, qui se seraient présentés à Villers-Franqueux ou La Neuvillette et éconduits par le colonel du 94ème de ligne (régiment d’André Laval) qui auraient reçu de nos paysans des pommes de terre et des trognons de choux, puis seraient restés introuvables, et la menace de fusillade de quelques cochons de Rémois (sic !) (Cent mille têtes de cochons de Rémois ne valent pas nos 2 parlementaires, Ihre himdert tausend schweinkopfe de Rémois sind nicht verth unsere drei Parlementaires): « Cent mille têtes de cochons de rémois ne valent pas nos 2 parlementaires (sic) »
- Réponse du tac au tac par l’interprète M. Wenz : « M. l’officier je prends acte de vos expressions !! et j’en ferai mon rapport à votre Général en chef M. de Bulow ! » – « Nous traitons avec vous, vous n’avez pas à nous insulter ! »
Et durant cela que deviennent mes petits et ma pauvre chère femme ? où sont-ils ? Oh ! quel cauchemar celui-là !! Car les obus de ces vandales ne sont que pétards pour moi !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
C’est l’esprit assez inquiet que le 4 septembre, après avoir vu passer, de chez moi, vers 20 h, quelques cavaliers allemands, je quitte la maison avec l’intention d’aller aux nouvelles du côté de l’hôtel de ville…
…Depuis le matin, le canon tonnait au loin. J’entends soudain, tandis que j’arrive presque à l’entrée de la rue Cérès, une très forte détonation, qui m’a semblé rapprochée. Certains, qui veulent paraître renseignés, parlent de tir sur aéros. Une autre détonation semblable se fait entendre encore, puis, quelques secondes après, une troisième et mes regards se portant dans la direction de la rue de Vesle, je vois distinctement un épais nuage de fumée ; j’ai perçu vaguement un sifflement ou quelque chose d’y ressemblant, je me hâte alors et au moment où je pénètre dans la rue de le Grue, je croise ‘un de mes voisins, M. Damilly, tout disposé à faire tranquillement un peu de conversation, comme à l’habitude. Je m’arrête à peine, lui laissant dire seulement :
« Qu’est-ce que c’est ; ils tirent donc des salves d’artillerie avant leur arrivée ? »
Je lui réponds vivement :
« On bombarde.
– Vous croyez ? » me dit-il.
Ma réponse est catégorique :
« J’en suis sûr », et je vais pour rentrer
A peine ai-je eu le temps de faire quelques pas, qu’au-dessus de moi, vient se faire entendre le hululement sinistre produit pas un projectile arrivant à destination ; aussitôt, l’explosion de cet obus a lieu dans une maison à l’angle de la rue de la Gabelle et de la rue d’Avenay, c’est-à-dire, à cinquante mètres à peu près.
Dès que j’ai pu m’engouffrer ans le vestibule, chez moi, j’entends ma femme descendre précipitamment du grenier tout en criant aux enfants :
« A la cave, à la cave ! »
Les obus sifflent toujours et tombent souvent si près que je vois, à certain moment, du soupirail de la cave, un fort nuage de fumée envahir la cour. Nous sommes secoués par les arrivées des projectiles et le bruit épouvantable de leurs explosions, suivies immédiatement d’on ne sait quel fracas de nombreuses vitres brisées à la fois et de maison qui s’effondrent. La pauvre Mlle Lin, terrorisée, est prise d’un tremblement qui ne la quittera plus – et dans cette situation, il me faut cependant affecter de plaisanter un peu afin de rassurer les enfants, surtout le plus jeune, André, qui répète souvent :
« Papa, j’ai peur ! »
… Pendant 3/4 d’heure environ c’est un bruit infernal. Le calme revient enfin ; au bout d’une demi-heure de silence, je remonte et la famille en fait autant peu après. Ce violent bombardement, au cours duquel il y été envoyé de cent à cent vingt obus, est terminé. Il est 10 h et 1/2…
… A peine dehors je constate que les bureaux de l’état-major de la 12e Division d’Infanterie, qui faisaient vis-à-vis aux nôtres, à l’angle des rues de la Gabelle et Eugène-Desteuque sont démolis : la maison Buirette, en face, rue Eugène-Desteuque n° 18, est disloquée ; la maison Bermont, n° 20 est éventrée…
…A l’action populaire, 5 rue des Trois-Raisinets, un obus entré par le toit a fait explosion à l’intérieur… … chez Breyer, mesureur, au 6 de la même rue, ce qui reste de la maison ne tient plus. L’immeuble de la rue de la Gabelle, où tombait le projectile entendu si distinctement, tandis que j’arrivais chez moi et ouvert en deux. La maison Dufay, 9 rue Saint-Symphorien a sa façade crevée par le haut, près de la toiture, les dégâts sont considérables aussi au Bureau central de mesurage dont la porte pleine, en fer, a été traversée, criblée par les éclats de plusieurs obus ayant fait dans les rue des trous énormes.
Il y a eu des victimes.
A la maison Maille, rue Eugène-Desteuque, côté pair, en face de la rue de l’Hôpital, un projectile a tué une bonne à l’intérieur. Je viens de m’arrêter auprès d’un cadavre allongé sur l’étroit trottoir de la même rue, au coin de la rue des Trois-Raisinets ; le malheureux qui a été atteint à cet endroit, à eu la partie postérieure de la tête emportée et sa cervelle pends tout entière sur le pavé du ruisseau. L’obus qui l’a tué a fait une autre victime, Mlle Horn, dont je n’avais pas remarqué le corps gisant aussi de l’autre côté de la rue, devant la maison Hourlier, n° 19
Au moment où je reviens de ma courte tournée, un camion attelé d’un cheval et venant de la rue des Marmouzets, s’arrête là. Il est escorté par un homme chargé déjà sans doute, de l’enlèvement des victimes tuées dans les rues, car il donne ses ordres au conducteur et l’aide à placer, sur la voiture, le corps du pauvre passant arrêté par la Mort, alors qu’il se hâtait vraisemblablement vers son domicile (M. Sanvoisin, paraît-il, ancien loueur de matériel de banquets). Au moment où celui de Melle Horn va être également mis sur le camion, une femme sanglotant et criant :
« Ma pauvre sœur, ma pauvre sœur », veut se jeter sur le cadavre.
L’homme qui dirige le macabre travail veut certainement faire vite ; il a l’air de se méfier d’une reprise possible du bombardement. Intervenant brutalement, il dit :
« Allons ! nous n’avons pas le temps de faire du sentiment ; il y en a d’autres à ramasser »,
puis coupant court, il commande énergiquement Hue ! et le camion part seul, avec ses morts, par la rue des Trois-Raisinets. Quelles tristesses !
Je rentre, j’en ai vu assez pour le moment et pour être fixé, sans être allé loin, sur le triste état dans lequel a été mis, en si peu de temps, notre malheureux quartier. Dans notre voisinage immédiat, les maisons touchées sont vraiment nombreuses. En constatant que l’établissement n’a que les vitres de ses trois étages de magasins brisées par les déplacements d’air des explosions, je pense que nous pouvons nous estimer heureux d’être indemnes et que nous devons rendre grâce à la Providence, car nous venons de courir un réel et très grand danger. Aussi, sommes-nous très émus de recevoir, vers 11 h, un instant après mon retour, la visite de mon beau-père, inquiet sur le sort des familles de ses enfants, placées toutes les trois dans la même ligne de tir. Aucune, heureusement, n’a été atteinte.
– Le drapeau blanc flotte sur l’une des tours de la cathédrale et au fronton de l’hôtel de ville.
– Dans le courant de l’après-midi, je fais une tournée générale dans les magasins, afin de pouvoir rendre compte de leur état et, en traversant la cour, j’y ramasse cinq éclats d’obus ; pendant ce temps, les enfants en trouvent un, provenant d’un projectile de gros calibre, dans notre chambre.
– A 16 h, les troupes allemandes font leur entrée en ville, par la rue de l’Université et la place royale. De la maison, nous entendons les tambours, puis des sonneries de clairons alternant avec les hourras poussés en mesure par les soldats.
Le bombardement de la matinée a jeté une telle consternation dans la population, que l’ennemi n’a aucune crainte à avoir pour sa sécurité ; elle a été bien assurée.
Je ne sais s’il peut se trouver des badauds pour contempler le défilé. Il y en avait malheureusement trop ce matin ; je revois encore la dégringolade et le sauve-qui-peut des gens qui s’étaient placés, pour mieux voir ce qu’ils attendaient, sur les sujets groupés autour de la statue de Louis XV. Il est douteux que tous aient pu se sauver à temps lorsque les premiers obus sont arrivés ; le bombardement a été si soudain, que même en s’enfuyant, ils couraient grandement le risque d’être tués.
– Les journaux de Reims ne sont pas parus aujourd’hui. Depuis plusieurs jours, ceux de Paris n’arrivaient plus. D’autre part, nous sommes sans correspondances depuis l’évacuation de la Poste. Dorénavant, nous allons être privés complètement de nouvelles.
La ville se trouve isolée du reste du monde. Pour combien de temps ?
Source : Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918, notes et impressions d'un bombardé.
* Paul Hess travaillait et habitait avec sa famille au Mont de Piété rue de la Grue
* Les cartes postales ci-dessous représentent bien le quartier de Paul Hess, mais ne sont pas forcement prises au début de la guerre
Gaston Dorigny
…Où à 5 heures du soir le maire fait connaître à la population la prochaine entrée des troupes allemandes dans la ville.
En effet le, Vendredi 4 septembre,
Vers 9 heures ½ du matin, on entend le bruit d’une canonnade au-dessus de la ville.
C’est le bombardement de Reims par les Allemands qui commence.
– Après 45 minutes le bombardement cesse – On a alors hissé le drapeau blanc sur la cathédrale et à l’hôtel de ville car la ville s’est rendue.
L’État-major déjà à l’hôtel de ville est rejoint par l’armée qui occupe la ville.
Nous sommes à partir de ce moment sous la domination allemande et devons nous borner à lire sans les commenter non plus les ‘’avis’’ du maire de Reims, mais les ‘’Ordres’’ du commandant allemand où on ne parle que de fusiller à tout propos. Il ne nous reste plus qu’à subir l’occupation avec patience et sang-froid.
Source : Gaston Dorigny
Marcel Morenco
A 9 heures 20 du matin, des obus sifflent au dessus de la ville. On croit à un tir à blanc pour s’assurer que la ville ne résiste pas, puis, en voyant les dégats causés, on pense à une méprise qui va bientôt cesser. Les obus pleuvent sur la ville de 9h20 à 9h40 causant de sérieux dégâts. Plusieurs maisons s’écroulent (rue de Mars, rue de l’Avant Garde quartier Saint Nicaise et Saint Rémi), deux maisons (Jules Matot et Abel) brûlent place du Palais de Justice, l’église Saint André est éventrée, de nombreux vitraux de la cathédrale sont endommagés, 50 personnes sont blessées, 50 sont tuées.
L’artillerie allemande a bombardé Reims de Witry (à 10 Km). Rien ne justifie ce bombardement. Les uns disent erreur d’un régiment ignorant que la ville a capitulé; les autres, deux officiers allemands ont disparu hier, on veut les retrouver. Personne ne sait la vérité. On hisse le drapeau blanc au moment où le bombardement cesse.
L’après midi, le 23ème régiment d’Artillerie et un régiment d’Infanterie entrent en ville. Attitude choquante de quelques personnes qui accueillent trop aimablement nos ennemis. On loge une grande partie des troupes à l’usine des Anglais.
Pendant le bombardement de Reims, j’ai tenu l’attitude inconsciente suivante qui aurait pu me coûter la vie: A 9h 1/4, j’étais en conversation avec Jules Matot, libraire en bas de la rue Carnot, en face du Palais de Justice. Nous entendons au dessus de nous un sifflement prolongé, et une ou deux secondes après, une détonation brusque, forte, dans la direction de la Vesle. Nous nous regardons, intrigués. Les mêmes bruits se reproduisent coup sur coup. Matot se sauve à toutes jambes en criant: on bombarde… Je le rappelle, inutilement. Il a disparu. Je descends la rue de Vesle et je m’engage dans la rue de Talleyrand. Les sifflements, les éclatements continuent et je perçois, chaque fois, un crépitement sur les murs et sur les devantures. Je m’approche d’une devanture de tôle et je constate qu’elle est trouée comme une passoire. Je comprends alors le danger et je m’abrite dans un couloir. Cinq minutes se passent, je quitte mon abri et je retourne à la recherche de Matot. De loin, j’aperçois sa maison en feu. Quand je suis en face, je constate avec stupeur qu’un entonnoir de 3 mètres d’ouverture sur plus d’un mètre de profondeur existe à l’endroit précis où nous tenions conversation. Un obus vient de tomber là, il a crevé la conduite de gaz alimentant la maison et y a mis le feu. Je cours à la station des pompes sous le théâtre, elle est fermée. Je file à l’Hôtel de Ville où je trouve le bon Dr Langlet qui, aidé du concierge, construit un immense drapeau blanc avec le manche d’une tête de loup et un drap de lit. Je le mets au courant de l’incendie et je lui signale l’absence des pompiers. Il faut dit-il retourner au théâtre et vous les trouverez certainement enfermés dans leur remise. Je reviens sur mes pas et je trouve effectivement les pompiers de garde. Ils quittent leur abri, combattent le feu, l’éteignent. Pendant ce temps là; le bombardement a pris fin et Matot réapparaît. Il s’était terré dans la cave (à deux étages) d’une maison du voisinage et n’avait rien entendu; rien vu!
Marcel Morenco
Renée Muller
4 sept. Déjà ce matin, nous sommes montés sur le canal où nous entendons et voyons arrivés ces maudits prussiens.
Le canon ébranle l’air. Vivement nous partons tous les 3 au château : la famille PERRIN est chez Me BONNET, la femme du chauffeur ; nous attendons et plus rien, nous repartons chez nous ; le lendemain matin jeudivendredi 4 septembre de nouveau le canon tonne je prends mon vélo la valise dessus et suivie de Maman nous partons au château pour le cas où cela deviendrait plus grave, nous nous enfilerions dans les caves : le personnel de nouveau est réuni et attend les événements.
34 La mère DESMOULINS femme du cocher, revient de Reims elle dit que les boches sont là, qu’un obus est tombé près d’elle, ne lui a pas fait de mal et qu’il n’y aura pas à se plaindre des boches ; mais quelle vieille sorcière. Papa pendant ce temps là va à la grille, puis à la grille du moulin car il voit là les boches qui arrivent.
Renée Muller dans Journal de guerre d'une jeune fille, 1914
Voir la suite sur le blog de sa petite fille : Activités de Francette: 1914 : 1er carnet de guerre d’une jeune fille : Renée MULLER
Paul Dupuy
On dit que les conditions de reddition de Reims sont arrêtées, et qu’il n’y a rien à redouter pour la population civile ; cependant vers 9h35 commence un bombardement de ¾ d’heure environ qui fait de nombreuses victimes et occasionne de très importants dégâts.
Beaucoup d’éclats d’obus sont projetés sur le 23 cassant seulement quelques carreaux ; la famille s’était réfugiée dans les caves et le personnel dans le cellier des toiles ; personne n’a souffert.
Chez Mme Ragot (1), rien du tout malgré que deux maisons voisines (n° 17 et 20) aient été particulièrement éprouvées.
Sont indemnes aussi les immeubles H. Perardel et C. Lallement.
L’appartement de Marie-Thérèse a été plus éprouvé, toutes les vitres sur rue ont été réduites en miettes, et divers objets d’intérieur ont été brisés ou déplacés.
La cathédrale, qui devait être le point de mire, n’a pas été touchée ; seules, ses vitraux et rosaces ont été en partie pulvérisés.
St André a une forte brèche ; aucun obus n’a dépassé cette église.
On assure que ce bombardement a été effectué par méprise par une batterie installée au Mont-St-Pierre et à qui on avait omis de transmettre des ordres contraires.
L’après-midi, plusieurs régiments (2) de toutes armes entrent en ville.
(1) Rue du Carrouge
(2) Entrée des Allemands
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Juliette Breyer
Les Prussiens sont à Reims. C’est à n’y pas croire. Ils sont invincibles pour aller si vite en chemin. Je me vois encore hier : un camionneur de la maison Lamorre, en venant chez nous l’après-midi me dit : « Je me sauve vivement. J’ai peur, on a déjà vu une patrouille allemande. Je préfère être chez nous que dans la rue. Je n’ai qu’un conseil à vous donner: fermez votre magasin ».
Si la circonstance n’avait pas été si grave, je lui aurais bien ri au nez. Mais est-ce que l’on peut rire en ce moment ? Enfin je vois que la peur gagne tout le monde. Beaucoup sont déjà partis et ceux qui peuvent encore le faire se sauvent. Mais puisque Reims sera ville ouverte, pourquoi fuir ? Nous n’aurons à subir que leur passage et puis advienne que pourra.
Je me disais tout cela mais avec ces fourbes là, on devrait s’attendre à tout. Donc aujourd’hui j’avais ouvert comme d’habitude. Régina était partie promener André. Je lui avais toutefois recommandé de ne pas s’attarder, quand tout à coup à 10 heures moins le quart un bruit épouvantable ébranle l’air. On se regarde et aussitôt un deuxième et puis ensuite sans arrêt.
Quelques passants nous disent « Ce n’est rien, on fait sauter les ponts ». Mais Régina revenant en courant me dit: « Papa va venir te chercher, ce sont les Allemands qui bombardent ». Ainsi c’était ville ouverte et ils nous faisaient la guerre!
En effet ton papa lui-même accourt. Il était tombé des obus sur la ferme des Anglais. « Fermez tout de suite, me dit-il, et partez ». J’ai pris mon argent et nous nous sommes rendus chez Le Maire à cette occasion a été d’un dévouement admirable. Mais il y avait eu des victimes, beaucoup même. La maison où demeure Charles Glatigny a été démolie complètement et devant ont été tuées Mme Aumêt, ses deux fillettes et sa mère. Le mari est à la guerre ; quand il apprendra cette triste nouvelle …
Enfin tout est rentré dans le calme. Le Maire donne l’ordre que tous les magasins soient ouverts et il invite la population au calme. Les Allemands prennent des otages. Voici déjà une journée de passée. Seront-ils longtemps à nous ennuyer de leur présence? L’artillerie loge au 16e et l’infanterie au 22e.
Mon Charles, rassure toi. Ta petite femme est forte et surtout n’a pas peur. Bons baisers et à toi toujours. Ta Juliette.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Victimes des bombardements morts ce jour-là à Reims
- AUCUIT Marcelle Renée Marie – 7 ans, 28 rue d’Ay –
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AUCUIT Suzanne Angèle Renée – 3 ans, 28 rue d’Ay –
- AUCUIT Yvonne Julienne Cécile – 5 ans, 28 rue d’Ay –
- CAUDRON Eugène Alfred – 19 ans, 221 rue du Barbâtre – employé de tramways
- CAUDRON Eugène Siméon – 2 ans, 221 rue du Barbâtre – fils d’Eugène Alfred
- CAUDRON Rose Léopoldine – 24 ans, 221 rue du Barbâtre – épouse d’Eugène Alfred, Née REMY – ménagère
- DUPONT Gaston Henri Jean – 9 ans, 53 rue Simon, Domicilié 40 rue Tournebonneau
- DUSSART Émilie Berthe – 33 ans, 4 rue Saint-Bernard, décédée en son domicile
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FAUQUET Gustave Lucien – 1 mois, place Saint-Thimothée 1 mois – domicilié Rue Tournebonneau
- FONDRILLON Ernest Léonard – 62 ans, 9 rue Noël – 62 ans – employé – veuf – domicilié 54 rue du Mont d’Arène
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JUNGER René Paul – 7 ans, Rue Libergier, domicilié 8 rue Souyn à Reims
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PASSAGE René François André – 24 ans, 35 rue de Mars, Domicilié 5 rue de l’Université