Louis Guédet

Mercredi 22 mars 1916

557ème et 555ème jours de bataille et de bombardement

5h soir  Toujours le calme. Canonnade très forte la nuit vers Berry-au-Bac, Loivre, Le Godat. Assez beau temps froid et ondées. Journée monotone, pas sorti à cause de mon pied qui va mieux et je crois échapper à la crise de goutte qui me menaçait. Nécessairement je ne suis pas en gaité. Toujours si seul, de plus en plus seul, et rien qui vienne me consoler ou même me donner une lueur d’espoir de consolation !! C’est dur ! Qu’ai-je donc fait ? pour être si malheureux !! Je serais un criminel que je ne serais pas plus écrasé, broyé, éprouvé. Oh ! mourir !!

8h soir  J’ai reçu tout à l’heure, vers 6h3/4 la visite d’un soldat du 12ème régiment d’artillerie qui venait me demander de lui obtenir, comme juge de Paix, un acte de notoriété constatant qu’il était père de 5 enfants, et qu’en conséquence il pouvait bénéficier de la circulaire ministérielle parue à l’Officiel du 20 courant qui l’autorise à être renvoyé à l’arrière comme auxiliaire.

Nous avons causé, et ce M. Georges Frère (1875-1951, 5 enfants, la requête semblera ne pas aboutir, il passera du 12ème régiment d’Infanterie Territoriale au 26ème Bataillon de Chasseur à pied, puis au 36ème RI, au 37ème RA et enfin au 327ème RI…), de Tourcoing, me disait qu’on craignait une attaque devant Reims de la part des allemands pour prendre la Ville et ainsi obtenir un effet moral tempérant l’échec de Verdun. Il ajoutait qu’ils pouvaient entrer à Reims quand ils voulaient « avec des bâtons ». Cela n’est pas sans m’émouvoir bien que je ne puisse croire cela, mais ce n’est pas réconfortant pour nous pauvres civils qui ne sommes là que pour recevoir des  coups !! Malgré moi, je m’épouvante de l’éventualité de semblable et nouvelle épreuve, à laquelle je ne me sens plus la force de résister. Ce n’est pas après 555 jours de bombardements, de souffrances, de misères, etc…  qu’on résiste à de tels chocs, on n’a plus la même résistance et physique et morale. Ce serait trop toujours sur les mêmes victimes et martyrs ! nous avons je crois largement payé notre tribut !…  Non ! je ne pourrais plus affronter une nouvelle bataille et occupation ennemie !…  Non ! non ! ce n’est pas possible ! Ce serait trop injuste !! Dans ce cas il aurait mieux fallu que les allemands ne quittent jamais Reims.

Non, ce ne serait pas juste !…  En tout cas ce n’est pas pour me donner des idées gaies, cette confidence là !…  Il faut que je souffre toujours, toujours et toujours sans une minute de répit…  J’en arriverais, si cela continue, à regretter d’avoir fait mon devoir, plus que mon devoir !!…

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Mercredi 22 – Nuit tranquille ; + 7 ; canons français durant la matinée. Visite du soldat Leroy de Sainte-Clotilde. Visite de M. Debeauvais et M. Deurarcy (?). Envoi du manuscrit de mon allocution aux réfugiés de Dijon, pour journal.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mercredi 22 mars

En Belgique, une reconnaissance ennemie, qui avait fait irruption dans nos lignes, au nord du pont de Boesinghe, en a été chassée aussitôt par notre contre-attaque. En Argonne, lutte à coups de grenades à la Haute-Chevauchée. Nous faisons des tirs de destruction sur les ouvrages allemands aux abords de la route Vienne-le Château-Binarville. Sur la rive gauche de la Meuse, les Allemands ont renouvelé leurs tentatives sur le front Avocourt-Malancourt. Des détachements de leurs soldats, porteurs d’appareils spéciaux ont jeté des liquides enflammés, en même temps que leurs batteries bombardaient notre ligne. Ils ont subi de lourdes pertes, mais ont pu s’emparer, après une lutte acharnée, de la partie sud-est du bois de Malancourt, dite bois d’Avocourt. Ils n’ont pas réussi à déboucher de ce bois et ont alors canonné le village d’Esnes et la cote 304. Notre artillerie les a vigoureusement contrebattus. Un taube a été abattu près de Douaumont. Nos avions ont opéré sur les gares de Dun-sur-Meuse, d’Audun-le-Roman et les bivouacs de Vigneulles. 65 avions alliés ont effectué un raid à Zeebrugge. Les Russes ont progressé sur le Dniester et pris Ispahan, en Perse. Le prince héritier de Serbie et M. Pachitch sont arrivés à Paris.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

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