Louis Guédet
Mercredi 11 août 1915
333ème et 331ème jours de bataille et de bombardement
8h1/2 soir Toujours le calme. Température lourde la nuit et le jour plus d’air. Conseil des allocations militaires, que de questions diverses se soulèvent !! Révision des allocations des femmes de commerçants qui continuent à exploiter leur commerce et qui gagnent largement leur vie et qui touchent. C’est une injustice criante, je vais revoir et expurger les noms douteux avec M. Jallade et M. Beauvais. Le 19 et le 20 les commissions se réuniront pour trancher les radiations douteuses, et ce ne sera pas une vaine mission, c’était de la dilapidation des deniers de l’État. Dieu que les Présidents de ces commissions nos prédécesseurs étaient nuls ! aucune logique, aucun ordre, pas même de question de principe, une fois une catégorie jugée, discutions… non ! on accordait à tout le monde, à qui venait demander, à qui voulait. J’ai vu des exemples (qui me sont revenus en réunion) de gens qui touchaient 2 – 3 allocations quand ils n’avaient droit qu’à une seule, et combien d’autres ! C’était la noce ! Marianne payait. Eh bien ! avec moi Marianne ne paie que quand c’est dû !…
Été faire signer une procuration 10, boulevard Carteret, que des ruines ! Repassé par la Comtesse Janvier (à vérifier), rue du Champ de Mars, vu les Heidsieck et Abelé. Charles Heidsieck est à Royat pour se soigner, Madame Abelé à St Cloud pour se soigner d’un érysipèle.
Vu M. Léon de Tassigny fort triste de la mort de son fils Jean, mais fort courageux. Et rentré chez moi où je trouve Jacques Wagener qui vient s’entendre avec moi pour déménager mes meubles chez mon ami Maurice Mareschal et m’y installer pour l’hivernage probable ! J’irai voir demain comment je pourrai m’organiser, mais je ne sais pas que décider à accepter la gracieuse offre (décision) de Madame Mareschal. J’ai écris à ma chère femme et au besoin j’irai passer 5/6 jours à St Martin pour mettre l’affaire avec elle.
Enfin j’habiterai de nouveau une maison de chrétien et non de sauvage comme celle que j’habite maintenant. Je quitterai avec un soulagement mes Ruines ! Ce qu’elles m’auront pesé !
Et enfin je pourrai réorganiser mon Étude et travailler avec un clerc ou 2. Je revivrai enfin une vie à peu près normale.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Sous la rubrique : « Le bombardement (332e jour du siège) », Le Courrier de la Champagne dit aujourd’hui ceci :
Nuit calme, troublée seulement par une violente canonnade sur le front nord-est de la ville, surtout entre 3 et heures.
Reims a été bombardée, dit le communiqué.
Nous permettra-t-on d’ajouter, pour rassurer nos nombreux lecteurs du dehors, que ce bombardement a été bien inférieur, comme quantité et résultat, à nombre d’autres arrosages que le communiqué n’avait même pas signalés
La remarque du Courrier est exacte.
Il nous a été donné, déjà, de constater que le point de vue de l’autorité militaire, traduit par les communiqués, est très différent de celui de la population civile, lorsqu’il s’agit de relater ou d’apprécier les bombardements de notre ville.
Les deux manières de voir pourraient, peut-être, s’expliquer ainsi :
Certains jours assez fréquents où les arrivées se font entendre, pendant un laps de temps donné, quelquefois même du matin au soir, à la cadence d’un obus toutes les quatre, ou cinq, ou dix minutes, il arrive que nous circulions en ville, dans une sécurité relative, parce que nous nous rendons bien compte que « ça tombe sur les batteries », à tel ou tel autre endroit que nous connaissons Avec l’habitude, nous en sommes arrivés à ne nous inquiéter nullement, dans ce cas, des explosions répétées régulièrement, quand éclatent les projectiles. Nous ignorons généralement les résultats de ces tirs très localisés (pièces démontées ou victimes parmi les canonniers) et si nous lisons, le lendemain, dans les nouvelles officielles, que Reims a été bombardée, cela nous fait sourire, alors qu’il peut y avoir eu des dégâts d’ordre militaire en dehors des lignes, — tandis que nous admettons difficilement que des arrosages meurtriers, spécialement envoyés sur l’agglomération, sur les habitants, ne soient pas mentionnés.
Évidemment, en ce qui concerne les opérations, la chose n’a probablement pas grande importance ; néanmoins, lorsque le civil a encaissé parfois des centaines et des centaines d’obus dans ces conditions, il ne comprend pas les raisons qui empêchent d’en parler ; il pense que cela ne compte pas, et, s’il est plus ou moins déprimé, il est porté assez naturellement à s’imaginer qu’il est tenu pour quantité négligeable, et même « qu’on le laisse tomber ».
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mercredi 11 – Nuit tranquille. Service à Sainte-Geneviève pour les soldats morts ; allocution, Mgr Neveux donne l’absoute. Rendu visite à M. le Sous-Préfet. Cure d’air au Parc de la Haubette. Il m’a parlé avec compliments de ma lettre à Mgr Lobbedey, Évêque d’Arras. Le soir, aéroplane de 6 à 7 h.
Visite de quatre soldats du diocèse de Nantes.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Juliette Breyer
Mercredi 11 Août 1915.
Ma pauvre chipette, je suis lasse de tout. Je me lève le matin avec le regret de ne pas pouvoir dormir encore pour ne plus penser à rien. Tout me fatigue. J’ai sans cesse des idées noires. Pour un rien je me creuse la tête. Crois-tu que je me suis mise dans l’idée que le nom que j’ai donné à notre fillette ne te plairait pas et je suis toujours avec cela. Pourtant j’ai beau me raisonner, qu’un nom c’est un nom, cela me tracasse. Je crois que je deviendrai folle.
Si seulement j’avais une lettre de toi. Cela me remettrait, mais rien. J’ai reçu la réponse du notaire qui prétendait avoir la liste des 70000 prisonniers. Il dit qu’il ne sait pas ce que cela veut dire, qu’il n’a jamais eu cette liste entre les mains. Encore une déception. Et combien d’autres ?
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Mercredi 11 août
Deux attaques allemandes ont été repoussées au nord de Souchez. Canonnade et fusillade en Argonne, spécialement près de Vauquois.
Au bois Le Prêtre, une offensive ennemie est arrêtée dans la région de la Croix-aux-Carmes; une autre, accompagnée d’un bombardement par obus asphyxiants, a été également enrayée.
Une reconnaissance allemande a été repoussée à Moncel.
Quatre des avions qui ont été opérer à Sarrebrück ne sont pas rentrés. Mais l’un d’eux a atterri près de Payerne, en Suisse.
Cinq zeppelins ont fait un raid sur la côte anglaise, tuant quatorze civils. L’un des zeppelins a été détruit.
Dans la presqu’île de Gallipoli, les derniers combats ont abouti à des progrès importants. A l’est de la route de Krithia, nous avons avancé de 200 yards et nous nous sommes maintenus en dépit d’énergiques contres-attaques que nous avons repoussées.
Les Russes ont repoussé les Allemands en leur infligeant des pertes énormes près de Kovno. La flotte allemande, forte de neuf cuirassés et de douze croiseurs, a tenté vainement d’atteindre Riga. Par trois reprises, elle a renouvelé son attaque et a perdu plusieurs navires.
Les ministres de la Quadruple Entente ont fait des démarches à Sofia, à Nisch, à Athènes, pour essayer de provoquer un regroupement favorable des États balkaniques.
Le roi de Danemark fait démentir qu’il ait servi d’intermédiaire à des propositions de paix de l’Allemagne à la Russie.
La presse allemande attribue moins d’importance que les premiers jours à la prise de Varsovie.
Le Président de la République a rendu visite à nos troupes de l’Est.
Les intellectuels allemands publient un nouveau manifeste où ils réclament l’annexion des côtes françaises de la Manche, de la Belgique et des provinces baltiques.
Le cabinet japonais s’est reconstitué sous la présidence du comte Okuma. Il ne semble pas que la politique générale de l’empire du Mikado doive être modifiée.
Source : La guerre au jour le jour