Louis Guédet

Mardi 10 août 1915

332ème et 330ème jours de bataille et de bombardement

8h soir  Nuit d’orages terribles et de canon. On ne savait si c’était le tonnerre ou le canon qui grondait. Nuit angoissante, douloureuse sans sommeil, et ce matin comme je pensais un peu m’attarder au lit pour me reposer et reprendre un peu des forces avant le jour de les audiences de conciliation, conseil de famille du matin à 9h à celles de simples polices à 2h de l’après-midi, où j’ai jugé 106 affaires, sans compter les renvoi, cela m’a pris 3 heures. Je commençais à sommeiller quand vers 6h1/2 du matin un coup de sonnette impératif me fait réveiller en sursaut et j’entends ma domestique parlementer avec un homme qui paraissait fort surexcité. Je m’habille à la hâte et je me trouve en présence d’un brave homme tout agité qui me crie : « Vous me reconnaissez bien M. le juge de Paix, je suis M. Nottelet le gardien des scellés que vous avez apposés hier 7 août 1915 au domicile de M. Tacheau Henri rue Jacquart n°54. Je ne sais pas ce qu’il y a dans la chambre à coucher sur la porte de laquelle vous avez mis les scellés, mais çà n’a pas arrêté de chahuter là-dedans toute la nuit, çà hurlait, craquait, crachait toute la nuit, que je n’en n’ai pas dormi de la nuit. Il faut que vous veniez voir, c’est peut-être le chat du voisin, car ce doit être un chat, il vivait surtout à la maison.

Il faut que vous veniez voir ce que c’est ! car je ne reste pas là si c’est pour continuer cette bacchanale là toute la nuit. « Ce n’est pourtant pas un revenant ? » – « Oh non ! M. le juge de Paix. Je crois et puis Mme Tacheau-Carré était une trop brave femme pour venir m’ (embêter) m’em… …der comme cela ! Mais faut que vous veniez, elle va casser tout si c’est une bête, ce qu’on se dispute là-dedans bon sang de bon sang ! Je l’envoie chercher mon brave greffier Landréat avec qui j’avais apposé ces scellés, et met ordre à ma toilette. Ils reviennent et nous voilà déambulant dans les rues mornes de notre morne cité. Pas de canon ni d’obus heureusement, car dans ce quartier Cérès !! C’est plutôt fréquent.

Nous arrivons, le papa Nottelet notre homme avec son air tremblant tout encore tout apeuré et nous arrivons devant la fameuse porte de la chambre à coucher où il s’était passé quelque chose d’étrange cette nuit. Pendant que mon greffier cherchait la clef pour ouvrir nous entendons en effet dans l’intérieur de la pièce un vrai tintamarre, une bousculade furieuse. Des miaulements, des crachantes de choses qu’on déchirait, enfin une vraie sarabande. Je dis à Landréat d’enlever les scellés qui scellaient la porte et lui dit d’ouvrir avec précaution tout en se garant si la…  Bête ? voulait bondir sur nous ! A peine la porte fut-elle entrebâillée qu’un énorme chat gris hérissé, jurant, miaulant, crachant comme un possédé bondit, fonçât comme une flèche de l’ouverture vers la…  liberté !

C’était en effet le chat du voisin. Mais quel chaos dans la pièce, objets retournés, édredon crevé dont les plumes formaient un nuage en peinture. C’était effarant. Le temps de remettre un peu d’ordre dans la pièce et nous réapposons les scellés sur la fameuse porte derrière laquelle il s’était passé un véritable drame durant toute la nuit.

Bref j’avais mis un chat sous scellés durant presque 24h. Je vous avoue que je n’ai pas songé ni jugé à propos de faire un procès-verbal de levée et de réapposition des scellés pour délivrer cette bête de l’apocalypse qui a fait tant peur à papa Nottelet et mon greffier de scellés, qui en nous quittant me disait en s’épongeant le front avec un léger tremblement ! « Ah M’sieur le juge de Paix, vous ne saurez jamais la peur que c’te sale bête là m’a faite, le salaud, qu’il y revienne ! »

« Ne craignez rien, mon brave, il ne reviendra pas car je puis vous assurer qu’il en a soupé des scellés et du juge de Paix, et soyez certain que quand il m’apercevra désormais il ne songera qu’à se sauver, car il me parait avoir eu lui aussi une belle frousse.

« Oh ! M’sieur le juge de Paix, pas tant que moi, j’en suis sûr ! ? » s’écrie la brave Nottelet gardien. « Croyez-vous !? » – « Oh pour sûr ! mais surtout ne venez plus me demander de garder des scellés, çà ne prend plus, c’est la dernière fois que j’accepte ! Çà pourrait encore recommencer !! » Je les quitte en riant. Et voilà comment, sous la 3ème république un juge de Paix a mis, contretemps de guerre, sous scellés un chat, et voilà aussi pourquoi je suis arrivé en retard d’une demi-heure pour mes séances de conseils de famille et conciliation de cette matinée.

Un conseil, toutes les fois qu’un juge de Paix mettra les scellés sur une chambre à coucher, il fera bien de voir et de regarder sous l’édredon du lit s’il n’y a pas…  un chat ! Car, collègues, mes amis, vous vous exposeriez à ne plus trouver de gardien de scellés. Et par les temps actuels, cette espèce n’est pas chose qui court les rues quand on veut qu’ils remplissent exactement et correctement leur mission, avec la crainte car les apaches à l’affut d’un coup de main dans toutes maisons qui parait inhabitée.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

– Nuit très agitée. 7 h., orage, éclairs, tonnerre. Toute la nuit canons et bombes, peut-être près ou sur la ville, mais assez loin de nous. Vers 2-4 h., canons de gros calibres français. Aéroplanes et canonnades vers 6-7 h.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mardi 10 août

Violente canonnade en Artois. Une attaque allemande a été repoussée près de Souchez. A Neuville-Saint-Vaast, à l’est de Lille, l’ennemi, après avoir fait exploser une mine, a bombardé nos positions et a essayé de sortir de ses tranchées : il a été arrêté.
En Argonne, nouvelles attaques à coups de bombes et de grenades contre nos postes avancés. Elles ont été refoulées. Fusillade près de Vauquois et à la Haute-Chevauchée.
Canonnade dans les Vosges, spécialement dans la région du Lingekopf.
Une escadrille de trente-deux avions français, escortés par d’autres avions de chasse, a été bombarder la gare et les usines de Sarrebrück. Elle a lancé 164 Obus et déterminé de nombreux incendies.
Les Italiens ont avancé en Cadore, du côté de Sexten.
Les Russes ont repoussé les attaques dirigées contre Ossovietz et Kovno.
Le cuirassé turc Barbarossa Kheiveddin qui était un ancien cuirassé allemand, a été coulé dans la mer de Marmara, par un sous-marin.
L’Allemagne et l’Autriche commencent à se quereller au sujet de la Pologne, à laquelle François-Joseph voudrait donner un archiduc comme vice-roi.
Le poète d’Annunzio croit que la guerre durera jusqu’e
n 1916.

Source : La guerre au jour le jour

Mardi 10 août 1915, canons de gros calibres français. Aéroplanes et canonnades
Source : Patrick Nerisson