Abbé Rémi Thinot

11 OCTOBRE – dimanche –

6 heures matin ; Pour sonner le révei1, un joli coup de canon. La journée va être splendide encore ; les quelques nuées humides d’hier sont chassées.

Anvers est aux mains des allemands. Alors ! Où vont aller les armées et les batteries qui l’assiégeaient ? Vers nous, probablement ; nous sommes loin de la fin.

3 heures 10 ; Dans la tour nord de la cathédrale … Mais, c’est affreux ! C’est la cathédrale qui est visée encore.. ! En voici un certain nombre, car le bombardement continue, qui éclatent immédiatement au-dessus, sinon dessus. Je ne puis me hasarder en ce moment, mais allons-nous recommencer à vivre les horreurs des 17, 18 et 19 Septembre ? Encore ! Apparemment, c’est toutes les 2 minutes.

8 heures soir ; De mes observations, il résulte qu’à 3 heures moins 1/4, un obus de gros calibre est tombé sur la cathédrale. Il a démoli, au chevet vers le nord, une partie importante de la galerie de pierres, une chimère et une gargouille… C’est là un des dégâts les plus importants qui aient été causés à la cathédrale.

Il y a des victimes cet après-midi. Un obus devant le Palais de Justice a fait deux morts et quelques blesses Et dire que beaucoup de gens se croyaient tranquilles après deux Jours de silence des allemands !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Paul Hess

Hier soir, après une journée de bombardement, nous avions entendu, vers 22 h, une violente canonnade avec fusillade. Ce matin, à 5 h ½, c’es le roulement effrayant des départs de nos 120 qui nous a réveillés. L’ampleur du son de ces détonations ne ressemble en rien aux claquements de 75. On pourrait comparer le bruit de ces dernières pièces, au déchirement sec produit par l’arrivée soudaine de la foudre, au cours d’un orage, et celui occasionné parles autres avec le grondement de tonnerre précédant la décharge électrique.

– Hier, nous avons vu dans Le Courrier, l’appel suivant, s’adressant aux catholiques rémois :

Appel aux catholiques rémois. L’épreuve se prolonge pour notre ville de Reims. Beaucoup de familles sont déjà frappées dans leurs membres et dans leurs intérêts ; toutes ont passé par de cruelles angoisses, les dangers présents et l’inquiétude du lendemain.

La ville aussi est atteinte au vif, dans les souvenirs de son passé, dans ses fondations religieuses et communales, dans ses richesses artistiques, dans son industrie.

Il convient que la population catholique demeurée nombreuse, réveillée parla douleur, se tourne vers DIEU, maître des événements, trop souvent offensé ou délaissé, et le prie avec instance de ne pas prolonge la peine déjà lourde pour nos épaules.

De toutes nos forces, demandons à Saint-Remi et à Jeanne d’Arc d’intercéder pour notre cité, pour sa prompte délivrance et pour le salut de notre Patrie.

J. de Bruignac, A. Benoist, H. Bataille, Ch. Demaison, Ch. Heidsieck, Gve Houlon, L. Mennesson-Dupont, H. Abelé, Pol Charbonneaux, R. Dargent, Félix Michel

– dans Le Courrier d’aujourd’hui, nous lisons d’abord ceci, en caractères gras :

Les ravages du bombardement. D’après de nouvelles instructions de l’autorité militaire, défense nous est faite de continuer cette rubrique.

Nous exprimons donc aux personnes qui nous avaient adressé des renseignements à y insérer, le regret de ne pouvoir leur donner satisfaction.

Les journaux ne nous donnaient déjà pas beaucoup d’indications sur les événements malheureux accablant notre pauvre ville de Reims. Désormais, nous ne serons probablement plus informés de rien ; l’autorité militaire en a décidé ainsi. Cela m’incite à continuer de prendre mes notes, à les tenir exactement au courant et à observer.

– Le journal parle ensuite du cours des denrées :

Sur les marchés. Le marché du samedi était assez bien approvisionné ; voici lecoursmoyen des denrées :

Pommes de erre longues, de 0.25 à 0.30 le kilo ; oignons 0.30 à 0.35 ke kilo, échalotes, 0.40 le kilo ; haricots, 0.25 le ½ kilo, beurre, de 2 F à 2.40 le kilo ; maroilles, de .50 à 1.60 la pièce.

Le lapin et la volaille, peu abondante, – prix variable.

À la criée municipale, le bœuf est vendu de 1.60 à 2.0 le kilo.

– Enfin, sous la rubrique « Dans Reims », nous lisons encore :

Depuis que le CBR a repris le service sur Fismes et Dormans, le nombre de nos concitoyens qui en ont profité pour évacuer notre ville, se chiffre par près de 6000.

Des trains supplémentaires durent être formés dans les premiers jours où ce service fut organisé, tant l’affluence était grande.

Depuis les trains réguliers seuls fonctionnent.

– Et faisant suite à l’information précédente, ce qui suit :

Dans les rues et les avenues pouvant être fréquentées sans danger, on ne peut guère poser les pieds sans écraser du verre pilé.

N’y aurait-il pas moyen de remédier à un tel état de choses.

En effet, depuis six semaines, les trottoirs de la plupart des rues passagères sont littéralement couverts de verre cassé provenant des glaces des devantures, ou des très nombreuses vitres brisées par le choc d’éclats ou la violence des déplacements d’air, produits lors des explosions d’obus.

– L’autorité militaire a fait insérer cet avis :

Avis de l’autorité militaire. Les habitants sont invités à recueillir les objets d’armement, équipement et harnachement trouvés sur les champs de bataille et à les remettre aux commandants d’Étapes d’Ay, Épernay, Oiry et Chalons.

Ils recevront immédiatement une prime s’élevant à : ·

  • 10 f pour un fusil ·

  • 8 f pour une selle, ·

  • 6 f pour une bride complète, ·

  • 3 f pour un licol, ·

  • 3 f pour un havre-sac, ·

  • 2 f pour un ceinturon, ·

  • 2 f pour une baïonnette avec fourreau, ·

  • 1 f pour une baïonnette sans fourreau, ·

  • 0.50 f pour une cartouchière,

ces objets étant en état suffisant pour être utilisés.

Au cas où d’autres objets seraient présentés, il serait attribué aux porteurs, une prime proportionnelle à leur valeur, d’après les bases du tarif ci-dessus.

Par contre, tout particulier qui sera trouvé possesseur d’objets appartenant à l’armée au-delà d’un délai de quinzaine, après le départ des commandants d’étapes de champ de bataille, sera passible de poursuites pour vol et recel.

Ceux qui, passé ce délai, découvriraient des objets abandonnés, devraient les déposer immédiatement à la mairie la plus voisine.

– Un lecteur du journal lui a adressé une nouvelle lettre, « à propose de la reconstruction des quartiers incendiés et démolis ».

– Dans l’Eclaireur de ce jour, nous trouvons un nouvel appel de la Croix-Rouge, ou de son président ; le voici :

La Croix-Rouge française. Société française de secours aux blessés militaires.

Les membres de la commission exécutive, ainsi que le personnel des hôpitaux (médecins, pharmaciens, administrateurs, comptables, infirmières et brancardiers) demeurés à ce jour à Reims et susceptibles de continuer leurs fonctions, sont instamment priés de se faire inscrire rue de Vesle 18, à la permanence, dans la matinée de neuf à onze heures.

Le président : M. Fabre

– Le même journal publie plus loin ceci :

Les « on-dit ». Parmi les « on-dit » qui circulent suivant la fantaisie des uns et des autres, il en est un qu’il nous est permis de démentir officiellement, c’est celui qui vise l’évacuation de la ville, qui n’a d’ailleurs jamais été envisagée par la municipalité.

– Dans les derniers numéros de L’Éclaireur, nous avons trouvé des en-têtes en lettres énormes, pour annoncer :

Le 5 octobre : « La situation est généralement favorable. Notre aile gauche a repoussé un violent effort de l’ennemi. L’armée du Kroprinz a été de nouveau refoulée. »

Le 7 octobre : « …La grande victoire russe sur les allemands. »

Le 8 octobre : « Situation de plus en plus favorable. Les Allemands tentent un mouvement débordant sur notre aile gauche. Nous continuons à gagner du terrain sur Soissons et Berry-au-Bac. »

Le 11 octobre : « La bataille se poursuit à notre avantage, etc. Les Russes et les Serbes continuent à avancer. »

et tout ceci est simplement la reproduction d’extraits du communiqué, dont les journaux, ainsi que leurs lecteurs doivent se contenter.

Comme nous nous souvenons trop bien que « l’informateur de Reims » nous apprenait déjà, en gros caractères, le 1er septembre : « Les Français continuent de supporter le choc des Allemands et leurs infligent des pertes considérables, » alors que les éclaireurs ennemis entraient dans Reims, le surlendemain, nous ne pouvons véritablement pas nous emballer, aussi, préférons-nous attendre pour nous réjouir.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Pas de bombes. Canonnade presque continue des Français. Nuit, pas de bombes sur la ville. Violente canonnade de temps en temps. Prise d’Anvers par les Allemands.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Paul Dupuy

Ce dimanche, en sortant de la grand’messe de St Jacques, Mme Henri Bertrand me présente ses condoléances émues et me dit avoir entendu parler depuis 3 semaines déjà du décès d’André ; elle n’en avait parlé à personne, craignant de se faire l’écho du fausse nouvelle, et c’est seulement à l’église qu’elle y a cru réellement en voyant mon accablement.

Son mari est en bonne santé, mais c’est à peine si elle peut me le dire, tant l’impressionne l’infortune de Marie-Thérèse.

Au déjeuner de midi, nous avons Mme Jacquesson qui vient d’apprendre l’hospitalisation de son fils à St Brieuc : à Dammartin, il a reçu une balle qui, traversant la cuisse gauche, s’est arrêtée dans la droite sans occasionner de fracture.

Il n’a pas beaucoup souffert de sa blessure, et escompte un prompt rétablissement.
– M. Cohen, du petit Paris, m’apprend la mort de son fils, ainsi que celle de Robert Denoncin ; lui aussi connaissait avant moi celle d’André, c’est pour quoi la crainte de me rencontrer l’éloignait depuis quelques temps de la maison.

Paul Dupuy. Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

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Dimanche 11 octobre

Les Allemands sont entrés dans Anvers, dont quelques forts tiennent encore, mais l’armée belge est sortie de la ville avant l’occupation, et la victoire de l’ennemi s’en trouve d’autant diminuée.
Notre ligne dans tout le nord de la France demeure intacte, et c’est là un succès pour nous, eu présence de la violence des attaques germaniques. Autour de Lille, à la Bassée, Armentières, Cassel, les engagements de cavalerie continuent. Une grande action se déploie au nord, au sud et à l’est d’Arras; nous avons progressé au nord de l’Oise et prés de Saint-Mihiel.
Les Russes, peu à peu, refoulent les Allemands qui essayaient de se défendre à la frontière de la Prusse orientale, et qui ont perdu 60.000 hommes à la bataille d’Augustovo.
Le roi Carol Ier est mort à Sinaïa, dans son palais d’été, à l’âge de soixante-quinze ans. Son neveu Ferdinand lui succède. Il se peut que ce changement de monarque revête une grande importance au regard de la politique européenne, car deux partis se heurtaient à Bucarest : un parti populaire, soutenu par l’opinion politique et qui réclamait l’entrée en scène de la Roumanie aux côtés de la Triple-Entente; un parti de cour qui se groupait autour de Carol Ier, un Hohenzollern, hostile, bien entendu, à une évolution diplomatique trop accentuée.
Le gouvernement italien cherche un successeur au ministre de la Guerre, le général Grandi, qui a donné sa démission presque en même temps que le sous-secrétaire d’État, le général Tassoni. Ce cas est délicat, l’état-major réclamant de grosses dépenses. Il se pourrait que le ministre des Affaires étrangères, M di San Giuliano, rentrât dans la vie privée.

Source : La Grande Guerre au jour le jour