Abbé Thinot
10 OCTOBRE – samedi –
Pas d’obus aujourd’hui à ma connaissance mais les grosses pièces d’artillerie française se sont fait entendre tout le long du jour. Puis les mitrailleuses et le fusil des fantassins. Cette accalmie ne me rassure pas. J’attends demain avec l’anxiété des jours précédents.
Je vais préparer mon instruction pour demain matin.
- Revaux, Camus, le second surtout, manifestent une terreur des appréhensions… Ah ! ils ne risquent pas la bombe ! Et la Croix raconte qu’à Soissons Mgr Péchenart, pendant les moindres accalmies, allait de ci, de là, dans sa ville épiscopale, raffermir les courages, soutenir les volontés. Notre Cardinal, malheureusement, reste terré. Et on le terre. Sans amertume, ma note, mais avec des regrets !
Dans « Le Figaro”, un sonnet sur la cathédrale, de Rostand… Ce n’est pas riche’.
LA CATHEDRALE
Ils n’ont fait que la rendre un peu plus immortelle
L’0euvre ne périt pas que mutile un gredin.
Demande à Phidias et demande à Rodin
Si devant ses morceaux, on ne dit plus « C’est elle ! »
La Forteresse meurt quand on la démantèle
Mais le Temple, brisé, vit plus noble ; et soudain
Les yeux se souvenant du toit avec dédain
Préfèrent voir le Ciel dans la pierre en dentelle.
Rendons grâce – attendu qu’il nous manquait encor
D’avoir ce qu’ont les Grecs sur la Colline d’Or
Le symbole du Beau consacré par l’Insulte !
Rendons grâce aux pointeurs du stupide canon
Puisque de leur adresse allemande il résulte
Une honte pour eux, pour nous un Parthénon !
Il paraît (Temps) que les allemands sont particulièrement furieux contre le musicien suisse Jacques Dalcroz, de la réprobation exprimée contre leur vandalisme à Reims.
10 heures ; Des salves d’infanterie n’ont cessé de remplir la nuit et l’artillerie recommence à se faire entendre. Que c’est atroce, la guerre !
11 heures 1/2 ; Je redescends de la cathédrale. J’avais cru qu’une très importante action s’était engagée… contre Berru. Je suis allé réveiller M. le Curé et nous sommes montés. L’action était plutôt sous Brimont. Elle a duré encore une demi-heure sous nos yeux, puis calme plat.
Reims, ville sinistrée ; tremblement de terre, éruption de volcan, que sais-je ? La lune se pose au-dessus du rempart crénelé de l’abside comme dans une eau-forte de G. Doré.. ! puis elle baigne la ville dans une brume légèrement phosphorescente ; un peu de nuages derrière lesquels elle court. Et nous avions à nos pieds une ville orientale… étrange, avec seulement quelques chiens qui aboient à la mort… Quand nous sommes descendus, la lune attaquait vigoureusement les pans de murs de la Salle des Rois et dessinait le squelette carbonisé de l’ancien Palais… dans les ruines de l’adoration Réparatrice. C’était fantastique !
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louise Dény Pierson
10 octobre 1914 ·
Ce début de l’automne 1914 voit augmenter les bombardements sur la ville qui s’étendent à de nouveaux quartiers jusqu’alors épargnés : Sainte-Anne participe un peu à cette distribution et, de ce fait, la peur gagne les habitants.
On dit qu’au-delà de la ligne du chemin de fer d’Epernay les obus ne peuvent plus nous atteindre, aussi certains soirs, lorsque les éclatements se rapprochent, avec des voisins, qui, comme nous n’ont pas de cave pour les abriter, mes parents et moi partons en direction de la Maison Blanche.
Au-delà du passage à niveau, ce sont les champs jusqu’à la route d’Epernay, et dans ces champs des meules de paille. Chacun s’installe dans la paille au pied d’une meule.
Roulée dans un édredon, je regarde les lueurs de la bataille, les éclairs des départs de l’artillerie Allemande cachée dans les bois de Cernay, les éclatements sur la ville et les fusées éclairantes un peu partout. Je finis par m’endormir et c’est une gamine tout ensommeillée que mes parents ramènent à la maison, lorsque vers la fin de la nuit, le calme revient (la trêve de l’aube disent les combattants).
Avec les premiers froids et les pluies de l’automne nous cesserons ces sorties vespérales en espérant que notre quartier sera encore épargné.
Louis Guédet
Samedi 10 octobre 1914
29ème et 27ème jours de bataille et de bombardement
Nuit calme, quelques coups de canon.
5h soir Je suis allé au jardin de la route d’Épernay, fort abîmé ou presque tout a été volé. Je suis revenu fort tard, appris la mort du fils Cahen, du Petit Paris (Pol Cahen, sergent au 132ème RI, décédé le 7 septembre 1914 à Nançois-le-Petit), et de M. Pérardel (André Pérardel, lieutenant au 132ème RI, décédé le 7 septembre 1914 à l’hôpital de Bar-le-Duc), gendre de M. Dupuis, rue de Talleyrand, ce dernier laisse une jeune veuve avec 2 petits enfants.
La page suivante a été découpée entièrement, ainsi que le tiers de la page suivante.
… Enfin à 11h une lettre de mon cher Père sain et sauf. St Martin n’a pas souffert. Dieu soit loué. Je n’ai plus qu’à attendre notre délivrance des allemands qui sont toujours à nos portes !! Pourvu que maintenant nous nous en sortions sains et saufs, indemnes comme jusqu’à maintenant. Dieu ne peut que me l’accorder. J’ai tant souffert !!
6h soir Porté ma lettre pour mon Père. Été rendre visite aux Fréville pour les remercier de leur invitation que j’avais déclinée au dernier moment à cause du bombardement. Ils m’ont invité pour mardi et j’ai accepté. M. Fréville me dit qu’il n’y a pas de danger de revenir à Paris. J’hésite à le conseiller à Madeleine. Il m’apprend aussi la chute d’Anvers ! Mauvaise nouvelle ! En les quittant je rencontre Alard, architecte (Adolphe Alard, 1874-1957), à qui je recommande de mettre tout le mobilier Jolivet à l’abri. Ce sera fait.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Coups de canons, pas de bombes sur la ville. Visite à l’Orphelinat des Trois Fontaines.
9 à 10 h soir, violente canonnade avec grosses pièces.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Paul Dupuy
Et c’est le lendemain que rassemblant tout mon courage et après avoir invoqué l’inspiration d’En-Haut, j’écris les pages qui apprendront à mes pauvres gens de Limoges toute l’étendue de leur infortune.
Il paraît que les bombes sifflaient alors, mais je ne les entends pas tellement l’angoisse m’étreint en songeant à ce qu’il faut dire et aux termes à trouver, et je me demande s’il est vraiment possible qu’un tel calvaire soit imposé à un père d’être près de sa fille le messager d’une si terrible nouvelle !
Et pourtant, une plume court fébrilement et j’arrive à poser le point final, tout meurtri tout haletant de la consternation que je vais causer.
Qu’elle parte maintenant, cette lettre de mort, et que Dieu assiste ceux qu’elle va toucher !
Paul Dupuy. Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Juliette Breyer
Samedi 10 Octobre 1914.
Cette fois-ci j’en ai une datée du 21 septembre où tu me dis que notre coco a 17 mois. Pauvre tite crotte. Oh oui, nous le gâterons !
Mais cette fois-ci , mon tit Lou, il faut que je te le dise. Je suis sûre maintenant que nous aurons un deuxième petit cadet. Que veux-tu, j’en prends mon parti, du moment que tu me sois revenu pour ce moment là. Ce serait trop triste autrement mais d’ici fin janvier il y aura du nouveau. Et tu sais, que ce soit un coco aussi gentil qu’André, car si tu le voyais, tu en serais fou. Il a un cœur d’ange, il est amitieux et il est beau.
Plus il grandit et plus c’est toi. Il ne voit pas le danger et grimpe partout sur la table ; rien ne l’arrête. Et sais-tu ce qu’il fait ? Les tonneliers travaillent chez Pommery et quand ils ont le dos tourné, il va leur souffler toutes leurs bougies. Il ne faut pas demander qui c’est, disent-ils, c’est le petit gamin à Charles Breyer. Et tu sais, tout le monde me demande de tes nouvelles. On t’estime.
Je te quitte. A bientôt.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Samedi 10 octobre
Les Russes pressant l’armée allemande qui résistait sur la frontière, l’ont ramenée du côté de Wirballen et se sont emparés de Lyck, en territoire prussien.
Le bombardement d’Anvers a commencé après que le général de Guise, commandant de la place, eut fait une fière réponse au chef des assiégeants allemands, général von Besseler. Des obus sont tombés sur diverses parties de la ville. Le roi est parti pour la Flandre. Des milliers d’Anversois se sont réfugiés en Hollande.
Les Monténégrins ont pris Ipek dans l’Herzégovine.
Notre escadre de l’Adriatique a fait son apparition devant Raguse et Gravosa.
Les hangars des Zeppelins ont été bombardés à Cologne et à Dusseldorf par des aéroplanes anglais.
Essad pacha, qui a pris le gouvernement provisoire, et qui, dit-on, est patronné par l’Italie, a adopté uue attitude extrêmement provocante vis-à-vis de l’Autriche. Il a décidé de marcher sur Scutari. Burhaneddin Effendi, septième fils de l’ex-sultan Abdul Hamid, qui avait été élu prince d’Albanie il y a quelques jours, par les notables musulmans, ne donne plus signe de vie.
Les journaux italiens continuent à parler d’une occupation possible de Valona pour le cas ou les choses empireraient de ce côté.
Les colonies anglaises continuent à marquer, comme d’ailleurs les nôtres, un admirable attachement à la métropole. Les Canadiens déclarent maintenant qu’ils pourraient fournir jusqu’à 500.000 hommes pour la guerre européenne si elle se prolongeait. Ainsi tombent toutes les insinuations allemandes qui parlaient de dissidences entre le cabinet de Londres et les diverses communautés anglo-saxonnes.
La presse de Rome se préoccupe grandement du conflit qui a surgi au ministère de la Guerre, entre le sous-secrétaire d’État démissionnaire Tassoni et l’état-major. Il est admis maintenant que le ministre de la Guerre, le général Grandi, démissionnera à son tour. II sera, selon toute apparence, remplacé par un des directeurs du ministère.
Les Japonais ont occupé la principale des îles Carolines – possession allemande du Pacifique, mais ils ont fourni aux États-Unis des assurances à cet égard – pour ne pas porter ombrage au cabinet de Washington.
Source : La Grande Guerre au jour le jour