Louis Guédet

Lundi 12 octobre 1914

31ème et 29ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Le canon a tonné cette nuit à partir de 11h à intervalles réguliers, encore en ce moment. Adèle est encore venue dans ma chambre, toute claquante des dents, elle devient impressionnable en diable. J’ai beau la morigéner doucement, mais quand le trac, la peur la prend il la tient bien.

Le passage suivant a été supprimé.

… trouvé le 13 septembre, ils avaient oublié les bidons de pétrole, si précieux alors !!

  1. Fréville dit savoir de source sûre que les bidons de pétrole que j’ai trouvés le 13 septembre à la tour Nord de la Cathédrale avaient été laissés par les français lors de la retraite, dit-il, et aussi que l’installation téléphonique qui avait été faite par eux.

Continuons, en admettant au moins cet oubli dans la fuite. Comment se fait-il que les allemands, qui étaient à la recherche de toute l’essence qui pouvait se trouver à Reims, car ils ont raflé tout, tout, ils en manquaient. Comment se fait-il, dis-je, qu’eux aussi n’aient pas, non seulement vu ces précieux bidons, mais les avaient aussi oubliés !!!

Je ne sortirai pas de là, même en suivant Fréville sur ce terrain ?! Attitude mystérieuse de (rayé) que j’espère bien percer au clair un jour, un jour ou l’autre. La Providence m’y aidant !!

Il y a un fait certain, j’ai trouvé 3 bidons pleins d’essence le 13. Pourquoi étaient-ils restés là ? Quand on sait combien cette matière était si précieuse pour l’un ou l’autre des belligérants ? Dilemme qui pour moi est trouble … par la préméditation bien avérée des Allemands qui, avec leur fourberie habituelle seraient heureux que l’on répéta l’oubli ??!! sur nos soldats !! Et Messire Fréville de se prêter à cela !! Bizarre ! Étrange !! Attendons !! La chance et l’avenir me permettront peut-être un peu d’éclaircir les ténèbres Fréville !! fort (rayé) !!

3h50  Nous venons encore de recevoir 12 ou 13 obus dans notre quartier, le premier fut sur le Théâtre qui a fait une fumée insensée, de ma fenêtre on ne voyait plus la rue de Vesle et le commencement de la rue Chanzy. Ce bombardement a duré de 2h à 3h10. On est las ! Je n’ai plus le courage d’espérer la fin de nos misères. Reverrai-je jamais les miens, mes chers aimés ?! Je suis à bout de tout : courage, espérance, confiance !!

5h3/4 soir  Nous voila revenus aux plus mauvais jours, que va être cette nuit ? Mon Dieu protégez nous, sauvez nous. Que notre nuit soit au contraire reposante, et que demain notre misère soit finie en apprenant que les allemands sont partis ! Dieu exaucez moi. Et que je revoie bientôt mes chers aimés et mon pauvre Père ! Car je n’en puis plus !

8h soir  Demain il y aura un mois que nos généraux nous aurons laissé sous le canon des allemands. Soudards ! Va… (rayé) et que dès qu’une (rayé) coup à Ville-Dommange, Ecueil et autres lieux sûrs !! Crime…  Le quart de page suivant a été découpé.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Nos grosses pièces ont tonné encore dès ce matin. L’ennemi riposte aussi avec du gros calibre.

Cet après-midi, j’avais quitté la rue du Jard vers 13 h ¾, pour me rendre à mon travail, à l’hôtel de ville. Alors que venant de traverser la place royale, j’étais engagé dans la rue Colbert, un obus s’annonçant soudain, passait au-dessus de moi avec le hululement de plus en plus accentué du projectile terminant sa course rapide. Il n’allait plus loin, en effet. Faisant entendre une explosion formidable, il écrasait la Maison de la mutualité, impasse des Deux-Anges, Aussitôt, un nouveau projectile allait tuer deux passants et en blesser quatre autres, en éclatant devant la pharmacie, sur la place du Palais de Justice, que je venais de longer quelques minutes auparavant, venant de la rue Trousson-Ducoudray, pour prendre la rue Carnot. Je presse le pas, pour trouver un abri à la mairie et j’entends encore l’arrivée dans le centre, d’une vingtaine d’obus, dont l’un démolit une partie de la haute galerie du chevet de la cathédrale, sur la rue Robert-de-Coucy.

Une très forte brèche marque cette blessure, venue s’ajoute aux autres, et l’on se rend parfaitement compte qu’en outre, la même galerie est descellée sur une assez grande longueur, le coup ayant été directement porté. Des parties massives de ses arcades ont été brisées et dispersées ; l’une d’elles, gros bloc, est restée suspendue dans le vide, retenue vraisemblablement par les tiges de fer reliant et maintenant l’une à l’autre les pierres assemblées dans la construction – et elle menace de faire encore d’autres dégâts, par son volume et son poids, lorsqu’elle tombera sur les combles inférieurs.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Canonnade le matin et toute la marinée.

2 h 1/2, deux bombes ; en tout 18 bombes dont une tombe sur la Cathédrale, endommageant la voûte, dont les pierres sont tombées sur le pavé qu’on venait de balayer. Vers 5 h 1/2, une bombe renverse plusieurs mètres de la galerie autour de l’abside, descelle ou ébranle 4 ou 5 mètres de la même galerie qui paraissent près de bomber. Soir, canonnade.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
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Paul Dupuy

Au calme relatif de ces derniers jours succède une mauvaise période, car des bombes sifflent de tous côtés, et l’après-midi il nous faut nous terrer pendant 5/4 d’heures.

Paul Dupuy. Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

Juliette Breyer

Lundi 12 Octobre 1914.

Ma bonne chipette, J’ai dit ce matin à maman que j’étais encore embarrassée. Je pleurais, vois-tu, en lui disant. Que veux-tu, c’était plus fort que moi. Mais elle m’a bien consolée et relevé mon courage. « Il ne faut pas pleurer. Regarde, moi j’en ai eu sept. Eh bien aujourd’hui je suis contente de vous avoir tous les quatre ». Pauvre maman, elle est si bonne. Enfin, que veux-tu, ce sera encore un coco à gâter.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne

Lundi 12 octobre

Tout notre front riposte victorieusement à l’ennemi. Même nous avons encore avancé au nord-ouest de Soissons, et nous avons pris un drapeau à Lassigny.
Deux Taubes ont survolé Paris, lançant des bombes qui ont tué et blessé dix-sept personnes: un engin incendiaire est venu s’abattre sur la toiture de Notre-Dame.
L’armée belge d’occupation a quitté tout entière Anvers, accompagnée par deux brigades anglaises qui ont rejoint les forces alliées importantes, dit-on, qui sont cantonnées à Gand.
Les Autrichiens ont perdu une bataille sous Sarajevo, et les Serbo-Monténégrins ont forcé la défense mobile à se retirer dans la montagne.
Les troupes russes, au dire même des journaux viennois, ont remporté une victoire importante au nord de la plaine hongroise, au sud des Carpates, à Marmaros-Sziget. Elles tiennent maintenant les têtes de toutes les lignes ferrées dui convergent de ce côté vers Debreczin et Budapest.
Le général Zupelli a remplacé au ministère de la guerre italien, le général Grandi, démissionnaire.
En France, le général Bernand, directeur de l’aéronautique militaire, est remplacé par le général Hirschauer.
La Turquie poursuit de nouvelles négociations secrètes avec l’Allemagne : mais jusqu’à présent, elle demeure immobile.

Source : La Grande Guerre au jour le jour