Louis Guédet

Samedi 23 février 1918                               

1261ème et 1259ème jours de bataille et de bombardement

11h matin  Temps très doux, brumeux, pluvieux. Cette nuit mal dormi, j’ai trop d’émotions, et je suis brisé. Adèle est toujours souffrante et ne sait ce qu’elle a et se tourmente. Cette nuit elle voulait avoir la scarlatine !!

Vu Carbonneaux, de la Maison Charles Heidsieck, qui accepte de m’évacuer mes vins (3 500 bouteilles) de la rue de Chativesle, 20, ancienne maison de Mme Gambart, dans leurs caves de vins de Champagne 16, rue de la justice. Je serai plus tranquille, d’autant que les Clignet qui couchaient à côté de ma cave sont sans doute partis ! Alors! En attendant Carbonneaux mettra un ouvrier en garde. Quand cela sera fini ce sera un soulagement pour moi.

Mardi Bauler viendra voir à ma vaisselle et aux quelques objets que je vais évacuer, ce sera la fin. Le reste restera à la Grâce et à la Garde de Dieu ! Je n’aurais plus ainsi qu’à partir, s’il le fallait, avec ma valise.

Hier au Crédit Lyonnais j’avais ouvert 51 coffres, dont 19 vides, 2 vidés par les locataires qui sont venus durant les opérations (il était temps). Reste donc 30 qui sont partis à Paris.

6h1/2 soir  Après-midi mouvementée. Parti à 2h1/2 porter mon courrier, de là été à la Ville pour répondre à l’appel de M. le Capitaine Linzeler qui s’occupe des évacuations. La commune y a travaillé jusqu’à 5h du matin. Il faut encore revoir la liste car on doit encore trouver 1 500 noms à évacuer !…

Causé un instant avec Guichard et Houlon. On me fait espérer que je garderai Lise avec Adèle. J’en suis heureux pour Lise qui voyait avec effroi la perspective de quitter Reims. Ce serait sa mort du reste. Enfin, à la Grâce de Dieu. De là je vais à l’archevêché voir le Cardinal Luçon pour lui demander de vouloir bien condescendre à être membre correspondant de la société du Vieux Reims sur la demande de M. Krafft, Président de cette société. Tandis que nous devisions ensemble dans son cabinet un bombardement commença, et un obus vint couper un arbre au fond du jardin, faisant voler les vitres des fenêtres dont les éclats nous couvrirent. Nous descendîmes à la cave quelques minutes, puis je revins ici en hâte. Rue Chanzy une âcre fumée, vers la rue du Couchant. Je rétrograde, craignant que ce soit des gaz, un soldat me le crie du reste. Je descends la rue Libergier et arrive à la maison 1/2 heure après, étant descendu dans notre sous-sol pour me remettre de mes émotions et travailler un peu. Paf !! un obus touche à 50 mètres d’ici, au coin de la rue Boulard et de la rue Brûlée. Une fumée terrible qui traîne jusqu’à notre rue et allume du feu. Nous mettons nos masques, bref…  qu’une émotion et pas de dégâts. Quelle rage leur a-t-il pris ? Quel déboire leur est-il arrivé ?

Mon Dieu protégez-nous !… Adèle va mieux, le médecin l’a vue. Rien de contagieux comme elle le craignait. Bref, un peu de surveillance et régime. Tous ces derniers événements, évacuation, etc…  tout cela l’a remuée. Et il y a de quoi. Mon Dieu quand tout cela sera-t-il fini !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

23 février 1918 – Le vent est bien à l’évacuation — mais à une évacuation qui prend tout de suite un caractère différent de celle ordonnée en avril 1917.

A cette époque, des affiches avaient conseillé le départ des vieillards, des enfants, de ceux qu’aucune fonction ne retenait à Reims, mais les épouvantables bombardements commencés le 6 avril, à eux seuls, n’avaient pas été sans contribuer pour une bonne part, à réduire sensiblement le chiffre d’une population au moins trois fois plus importante qu’elle ne l’est actuellement, et, petit à petit, par la suite, la prolongation d’une situation terrible avait fait le reste.

Aujourd’hui, la fraction des habitants restée malgré tout, est beaucoup plus irréductible. Habitués au danger ou confiants, de­puis toujours, en la proche libération de Reims, nos concitoyens ou concitoyennes ne se résoudraient pas à quitter la ville sur un simple avis placardé sur les murs ou inséré dans le journal.

L’autorité militaire dirige, cette fois, l’opération.

Les capitaines Linzeler et La Montagne ont passé la plus grande partie de la nuit dernière à la mairie, examinant de près les listes de recensement, afin d’y noter les noms des personnes à évacuer et ce matin, ils sont revenus pour donner toutes indica­tions à la police.

La journée presque tout entière s’écoule encore à la mise sur pied de directives précises, en collaboration avec l’administration municipale, et le soir, le personnel de la mairie disponible, est sollicité d’aider le service de la police à remplir des ordres de dé­part, car il s’agit d’aller vite.

En l’absence de M. Raïssac, secrétaire en chef de la mairie, qui vient de subir une grave opération, du commissaire central et de son secrétaire, en congé tous les deux, les officiers ont dû pro­céder eux-mêmes à la préparation d’un travail délicat et le premier résultat ne leur donne pas satisfaction, quant au nombre des par­tants, lorsqu’ils en totalisent le chiffre. Ils vont réviser leur désigna­tion des premiers à éloigner. C’est à recommencer.

Sur de nouvelles données, on se remet à l’ouvrage ; il est en­fin terminé à 23 h.

Voici le libellé des ordres de départ :

Exécution de l’arrêté du général commandant l’armée

en date du 20 février 1918

Ordre de départ

M……………………………………………………………………………….

M »* ……………………………………………………………………………..

Demeurant rue…………………………………… n°…………….

se rendra le lundi 25 février 1918, à … heure, à la place d’Er- lon, avec les bagages dont le transport est autorisé (30 kg. au maximum par personne).

Des voitures les achemineront vers la gare d’embarque­ment.

Reims, le 23 février 1918. La commission municipale

En vertu des ordres de l’autorité militaire, aucune éva­cuation ne pourra se faire dans les communes au nord de la Marne.

Ces ordres devront être distribués demain dimanche 24 fé­vrier, dans la matinée ; l’heure du départ, pour lundi matin 25, est fixée à 4 h.

L’Éclaireur de l’Est, reproduisant son insertion d’hier, rela­tivement à l’évacuation, la fait suivre de cette note :

Communication de la commission municipale.

Ne pourront être autorisés à rester à Reims, que les per­sonnes « indispensables » :

  • pour les services publics ;
  • pour la garde des caves, des usines et de propriétés privées ;

Aucun enfant de moins de 16 ans ne pourra rester, ceux dont les parents ne partiraient pas, seront accompagnés en convoi spécial.

Les partants pourront emporter 30 kg de bagages par tête ; le transport est gratuit jusqu’à destination.

Les mobiliers des personnes évacuées auront la priorité pour l’expédition dans les conditions ordinaires.

—   D’autre part, le journal mentionne, sous sa rubrique : « Le bombardement », plus de 500 obus, dans la journée du 21, entre 14 et 17 h.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 23 – Nuit tranquille, sauf un coup de chien de 7 ou 8 bombes tout près d’ici vers 9 h. + 8°. Temps couvert. Via Crucis in Cathedrali à 8 h. matin. Visite du Commandant Comte de Clermont-Tonnerre, celui qui a fait un soir une Conférence aux Chapelains ; il est à Rilly. Visite de Madame Ricou, de Cholet-Angers et de deux autres Dames de Nantes, infirmières à l’ambulance de Sapicourt. 3 h. Bombes sur batteries ; une très bruyante pas très loin de nous. Vers 4 h., visite de M. Guédet, pour l’Association des Amis du Vieux Rheims. Bombardement pendant la visite, un obus tombe sur le bouleau du jardin et le brise ; laboure la pelouse, et fait tomber toutes mes vitres. Plusieurs éclats dans ma bibliothèque, dans les persiennes de la porte. Nous sommes préservés, je ne sais comment, probablement par le mur qui est entre la porte et la fenêtre. « Il ne fait pas bon chez vous »… M. Guédet, et nous descendons à la cave. Nuit assez agitée jusqu’à minuit.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Samedi 23 février

Violentes luttes d’artillerie sur l’ensemble du front, principalement dans les régions de la forêt de Pinon, Chevreux, Californie, Butte du Mesnil, Hartsmannswillerkopf et la Doller.
Sur le front britannique, canonnade vers Saint-Quentin et la route Arras-Cambrai, au sud et à l’ouest de Lens, au sud d’Armentières et à l’est d’Ypres. Les Anglais ont étendu assez sensiblement leurs lignes.
Les forces britanniques ont occupé Jéricho, en Palestine.
Sur le front italien, lutte d’artillerie du Stelvio à l’Astico et particulièrement vive sur certains points du front.
Les batteries de nos alliés ont exécuté des concentrations de feux sur des troupes ennemies, dans les environs de Foza et sur les pentes nord-ouest du mont Grappa. Elles ont combattu énergiquement l’artillerie ennemie dans le secteur val Feanzela-val Brenta. L’adversaire a battu plus fréquemment les pentes sud-est du Montello.
Des explorateurs ennemis ont été repoussés aux Graves.
Une patrouille anglaise a eu un engagement avec un groupe important adverse.
Les journaux officieux allemands disent que l’Allemagne tardera avant de répondre à l’offre de paix russe et qu’elle exigera la Livonie et l’Estonie.

Source : La Grande Guerre au jour le jour