Louis Guédet

Jeudi 17 décembre 1914

96ème et 94ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 soir  Parti à Paris. Pris train à 8h50 matin à Bezannes et arrivé à Paris à 8h1/2 soir. Revu les miens, chez des étrangers. J’ai souffert de ce revoir chez d’autres.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Nuit assez mouvementée. Fusillade, canon.

Bombardement dans la matinée.

Après-midi, bombardement autour de l’hôtel de ville. Alors que nous sommes tranquillement occupés à travailler, un obus arrive à l’entrée de la rue de Pouilly, tout près de la maison Sevestre, en face des Galeries Rémoises. Son explosion a fait vibrer les vitres du bureau et cela nous fait sortir pour aller jeter un coup d’œil par la salle des appariteurs. Au moment où j’approche de l’une de ses fenêtres, un second projectile, tombant à peu près au même endroit, éclate en masquant derrière un fumée noire et épaisse le coin de la place où est la Banque de France ; des gens qui se trouvaient dans ces parages se sauvent de tous côtés pour chercher un abri.

D’autres obus arrivent encore faisant explosion autour de la mairie, l’un au coin de la rue Thiers et de la rue des Boucheries, un autre rue de la Prison. etc. M le Dr Langlet, MM. Em. Charbonneaux, de Bruignac et Raïsac quittent le bureau de l’administration faisant suite, à droite de la grande salle et tout le personnel se répand, partie dans les couloirs ou la salle des Pas-Perdus, partie dans les sous-sols.

– A partir de 21 h, le bombardement reprend et dure toute la nuit. Impossible de dormir. Chaque fois que je commence à m’assoupir, une nouvelle explosion me ramène à la réalité des choses comme, de temps en temps, ne pluie de morceaux de tuiles ou d’ardoises dans la petite cour de la maison rue Bonhomme, m’indique qu’une immeuble assez proche vient d’être touché. Décidément, je ne puis guère compter me reposer pour le moment. J’écoute attentivement les sifflements qui se suivent, voulant croire, après chaque éclatement, que le bombardement pourrait cesser ; non, « ils » continuent toujours à tirer. Plusieurs fois, je me demande s’il ne me va pas falloir me relever. Descendre à la cave ou au sous-sol par un froid de loup ne me dit rien. J’attends donc… et vers 6 h du matin seulement, les derniers obus tombent – encore tout près. Le bruit sec d’un gros éclat frappant fortement le pavé, devant le vitrage de la salle-à-manger où je suis si bien installé, me fait lever cette fois, et, malgré un grand besoin de sommeil, je dois considérer ma nuit comme terminée.

Il a été envoyé plus de deux cents projectiles sur la ville, depuis hier soir et au cours d’une petite tournée que je tiens à faire avant de renter au bureau, je m’aperçois que les engins dont j’ai si bien entend les explosions sont tombés rue Cérès, rue des Coumeaux, rue Ponsardin aux caves Werlé (1), boulevard Lundy, etc.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

(1) rue de Mars


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Cardinal Luçon

Jeudi 17 – Nuit tranquille. Répondu à l’adresse de l’Archevêque de Captown au sujet de l’incendie de la Cathédrale (Recueil p. 17 et 23).

11 h 1/4 aéroplane ; 11 h 1/2 bombe ; un tué rue Folle Peine ; feu à la Maison de Retraite. Bombes à 2 heures.

Visite à la (Clinique) Ambulance Mencière, aux blessés et malades.

Visite à M. le Curé de Ste Geneviève.

4 à 5 h bombes sur la ville. Toute la nuit, Bombardements.

Je reçois presque tous les jours depuis mon retour du Conclave à Reims, des lettres de condoléances au sujet de l’incendie de la Cathédrale. Dames Polonaises écrivaient de Varsovie un long télégramme, Duc d’Orléans, Faculté Théologie de Montauban, Grand Rabbin de Paris, Pasteur et Rabbin de Reims, Archiprêtre du Chapitre de Captown, etc.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

 Eugène Chausson

17/12 – Jeudi – Comme la veille mais la nuit, violent bombardement, on a compté 170 obus environ parait-il sur le faubourg Cérès.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy


Juliette Breyer

Jeudi 17 ( ?) Décembre 1914. Mon pauvre cahier, je l’ai délaissé pendant huit jours. C’est que vois-tu ; j’ai cru que je deviendrai folle. Mais mon Charles, je veux quand même continuer de m’adresser à toi malgré toutes les apparences. Il était dit que je passerai par toutes les angoisses et je suis même étonnée que j’aie pu surmonter encore cette nouvelle peine.

Figure toi, mon tit Lou, je t’avais dit que j’avais écrit au capitaine de ta compagnie. Eh bien c’est le lieutenant qui m’a répondu et voici sa réponse telle que je me la rappelle :

« Madame, j’ai le pénible honneur de vous annoncer la mort du caporal Breyer. Il fut tué glorieusement d’une balle au front à l’attaque du village d’Autrèches dans l’Oise. Ses camarades s’associent à moi pour vous envoyer leurs regrets afin qu’ ils puissent être un adoucissement à votre grande douleur. Il fut brave entre tous et a donné le plus bel exemple de courage ».

Te dire, mon Charles, le coup que cela m’a fait. Je venais de finir de dîner ; le jeune homme qui sert de facteur chez Pommery entre et me remet la lettre. Toute joyeuse, je me mets à lire ; sans doute de bonnes nouvelles, c’est une lettre militaire. Mais dès les premières lignes une suffocation me prit et je ne pus continuer à lire ; raide, je tombai sur les matelas qui se trouvaient là et je perdis notion de ce qui se passait. Mais cela dura peu de temps et quand je revins à moi ce fut pour voir devant moi tout le monde pleurer. Alors je me souvins et j’ai voulu lire la lettre jusqu’au bout. Les mots dansaient devant mes yeux, je croyais faire un mauvais rêve. Ce ne pouvait pas être moi Juliette, la petite femme de mon Charles, qui lisait sa mort.

En me reportant à la date du 23 septembre, je ne pouvais croire qu’il y eut déjà si longtemps que tu m’aies quittée. Folle, je croyais que j’allais le devenir. Maman, voyant sans doute ma figure égarée, me dit : « Remets toi et pense à tes deux petits. Aux deux petits de ton pauvre Charles, garde toi pour eux ». Ah oui les deux petits … J’en voyais déjà un là qui me faisait de grands yeux tristes. Avec frénésie je l’embrassai. Pauvre coco. Ce n’est pas possible que tu nous aies quittés. Et toi, l’autre pauvre petit, toi qui n’es pas encore au monde, il ne sera donc pas là, ton pauvre tout petit papa, pour te voir arriver.

Des sanglots me montent à la gorge et tout l’après-midi, mordant mon oreiller pour ne pas crier, je pleurai toutes les larmes de mon corps. En cet après-midi, vois-tu mon Charles, j’ai repassé toute ma vie, tout le bonheur que tu m’avais donné ; mais mes larmes redoublaient quand je pensais aux petites peines que je t’avais causées.

Le soir, d’avoir pleuré, il me semblait que ma tête allait éclater. Le besoin de dormir se faisant sentir, je ne voulus pas fermer les yeux sans adresser une prière au bon dieu. Je lui demandai de me faire voir dans un rêve si tu étais encore vivant. Que veux-tu, dans le malheur, c’est une consolation de prier, je l’ai ressenti. Le lendemain en me réveillant, le doute m’était venu car dans mes songes tu m’étais apparu vivant et bien vivant.

Malgré cela, en apercevant la lettre que j’avais laissée la veille, le chagrin me reprit et tristement, accompagnée de Charlotte, je me suis dirigée jusqu’aux Vieux Anglais où je devais montrer la triste nouvelle à ton père. Ah le pauvre homme ! Quel chagrin ! Comme un enfant il sanglotait. « Mon pauvre petit Charlot ; dire que je ne te verrai plus. C’est trop. Et pourtant ma pauvre Juliette, je le savais depuis longtemps, depuis le jour où je suis allé au café Gerbault. Mais je ne voulais pas vous le dire. Je vous voyais si confiante en son retour, et maintenant la réalité est là. Il n’y a pas de doute».

« Eh bien non ! A mon tour c’est moi qui vais vous rendre du courage. Quelque chose me dit que mon Charles vit encore. C’est fou mais je le sens. Reprenons espoir ».

Nous nous dirigeâmes rue de Metz et là, comme moi, ta maman ne voulut pas y croire. Mais ton pauvre papa, il est vieilli de dix ans ; il t’aimait, vois-tu. Si tu avais vu Marguerite et Charlotte pleurer ! Quelle haine aussi pour ces Prussiens, que le bruit de leurs canons m’est odieux. Ils en auront fait souffrir des femmes.

Mais le peu d’espérance que j’avais est encore augmenté. Quand je reçus cette triste nouvelle, ton parrain était à Paris où il était allé passer quatre jours près de sa femme. En rentrant, la première chose a été de lui montrer la lettre et il s’est empressé de me rassurer en me disant que tant que je n’aurai pas l’avis officiel, il ne fallait rien croire et qu’il fallait réécrire au lieutenant pour avoir plus de détails.

Mais c’est navrant quand même, d’autant plus que voilà toutes les lettres que je t’avais envoyées qui me reviennent. Oh le retour de ces pauvres lettres, comme cela me déchire le cœur ! Je veux toujours savoir plus loin. Je ne me rappelle plus si je t’ai dit que j’avais écrit à Blanchet et maintenant je redoute sa réponse.

Si tu voyais ta pauvre Juliette, tu verrais à quel point elle t’aime et qu’elle ne t’oubliera jamais. Je veux encore espérer que tu me reviendras et qu’alors nous aurons des jours plein de soleil, où je ne saurai quoi faire pour te rendre heureux. Pense donc, si ce malheur là arrivait, quelle serait ma vie. Ces deux pauvres petits… Rien que de les voir grandir, j’aurais le regret que tu ne sois pas là. Si je ne les avais pas, j’irais bientôt te rejoindre.

Mais je veux espérer toujours et quand même. J’arrête aujourd’hui, mon Charles tant aimé, et je t’envoie tous mes baisers.

Ta Juliette, à toi toujours.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Jeudi 17 décembre

En Flandre, l’escadre anglaise bombarde Westende (nord-est de Lombaertzyde); les Belges repoussent une attaque sur Saint-Georges et s’avancent sur L’Yser; nos troupes progressent au sud-est d’Ypres et aux alentours de la Bassée. Nous refoulons encore des attaques en Woëvre (bois de Mortmart) et en Haute-Alsace (ouest de Cernay).
Une escadre de croiseurs allemands a opéré un bombardement sur la côte anglaise, entre les embouchures de la Tyne et de l’Humber, à Hartlepool, Whitby et Scarborough; repoussée, elle est repartie dans la direction du nord-est. Cette canonnade a provoqué des pertes importantes.
La progression serbe s’accentue en Bosnie. Au total, 60 000 Autrichiens ont été capturés par les armées du général Putnik, avec un formidable matériel.
Les Russes ont arrêté la marche des colonnes autrichiennes qui essayaient de franchir les Carpates pour redescendre dans la plaine galicienne. Ils ont repoussé en Prusse les Allemands qui se trouvaient dans la région de Mlava. Une grande bataille se prépare dans les environs de Cracovie, où les adversaires concentrent d’énormes effectifs.
On signale de nouvelles mutineries des contingents tchèques dans l’armée autrichienne.
Le total des pertes prussiennes, bavaroises, saxonnes et wurtembourgeoises est évalué maintenant à 1.200.000 hommes.

Source : La grande Guerre au jour le jour