1er FEVRIER – lundi –

Demain, il paraît qu’il y aura attaque ; J’irai au poste de secours. J’apprends la nomination du P. Bhalluin, chevalier de la Légion d’Honneur. Je lui envoie un mot d’amitié.

3 FEVRIER – mercredi –

Hier, donc, je me suis rendu au poste de secours du 83ème[1] ; vers 2 heures, une gerbe immense de terre jaillit de l’autre côté de la crête, à gauche de Perthes.

Notre artillerie donne ; l’artillerie allemande passe en rafales sur les tranchées pendant l’action. Je me promenais à droit te sur la route, aux alentours, labourés par les marmites, de la chaussée romaine. Des balles perdues sifflaient par intervalles…

Mais voici qu’on amène quelques blessés. L’un, le dos ravagé de la façon la plus horrible, râle et meurt près du poste de secours ; l’autre à la cuisse emportée presque en haut du membre… le reste est demeuré dans la tranchée… c’est épouvantable.

Beaucoup arrivent par leurs propres moyens, blessés, qui, à la tête, qui, au bras, à l’épaule…

On ne sait pas les résultats de l’action.

Le poste de secours est un misérable réduit où le médecin Albouze, une brute, rudoie, insulte ou à peu près les malheureux qui arrivent… On prend le nom des blessés ; on les embarque, et puis c’est tout. Pas un cordial, rien ! Il faut être solide pour y résister. Le refuge est à Maison forestière.

[1] 83e RI appartient à la 34e DI

6 FEVRIER – samedi –

Je monte aux cantonnements derrière les tranchées. Le colonel de Riancourt, du 14ème[1], me retient à déjeuner… De là, je continue mon pèlerinage par monts et par vaux, dans une boue incroyable. Le capitaine Thiébaut, du 57ème d’artillerie, m’arrête comme espion… s’excuse. Je suis vexé, il aurait pu y mettre des formes.

Un autre capitaine me donne un maréchal des logis pour m’accompagner là où je voulais aller – un très brave garçon avec qui je remonte vers la route de Souain à Perthes, parmi les fils de fer, les obus non éclatés – puis nous redescendons vers cabane forestière, sous les obus, les balles… Je prends contact avec les brancardiers régimentaires à Maison forestière, un contact qui m’édifie sur leur compte.

Ces hommes ne voient jamais l’aumônier dans leurs bivouacs.

Ils regardent passer la soutane comme on regarde passer un phénomène. Si on entre en relations avec eux, ils sont gentils Pourtant, il s’en rencontre qui restent méfiants, le regard fermé… C’est bien pénible ; on repère de l’hostilité mal contenue… qui s’irrite encore rien que du fait de la proximité du danger, lequel danger sert « les affaires du curé », prépare le terrain à son influence ; ils le savent.

A Maison forestière, les brancardiers régimentaires ont eu cette attitude en grande partie. J’ai été gêné. Les soldats, d’ailleurs, les trouvent de bien pauvres gens, qu’il faut tarabuster pour obtenir qu’ils aillent chercher un blessé… Ah ! l’humanité !

Et comme l’œuvre néfaste est vraiment accomplie dans tout ce monde attaché à la vie matérielle, parce qu’on ne croit plus qu’à celle-là ; anéantissement de tout idéal, ce qui est la nécessaire contrepartie…

D’ailleurs, il se produit beaucoup d’actes d’indiscipline dont on ne parle pas, refus des hommes de sortir des tranchées etc.

Et la course à la décoration et au galon parmi tout ce monde ! A côté de beaucoup d’héroïsme merveilleux, vaillants, ceux qui feraient tuer deux compagnies pour se pousser un peu, si çà réussit… Ils ne s’exposent pas d’ailleurs !

Enfin, c’est l’ordre ici-bas.

Et les Allemands continuent à être très forts… Que Dieu aide la France ; la fin ne sera pas brillante.

[1] 14e RI appartient à la 34e DI le lieutenant-colonel de RIENCOURT a pris le commandement le 15 novembre 1914 https://www.horizon14-18.eu/wa_files/14e_20RI.pdf