Abbé Rémi Thinot

6 FEVRIER – samedi –

Je monte aux cantonnements derrière les tranchées. Le colonel de Riancourt, du 14ème[1], me retient à déjeuner… De là, je continue mon pèlerinage par monts et par vaux, dans une boue incroyable. Le capitaine Thiébaut, du 57ème d’artillerie, m’arrête comme espion… s’excuse. Je suis vexé, il aurait pu y mettre des formes.

Un autre capitaine me donne un maréchal des logis pour m’accompagner là où je voulais aller – un très brave garçon avec qui je remonte vers la route de Souain à Perthes, parmi les fils de fer, les obus non éclatés – puis nous redescendons vers cabane forestière, sous les obus, les balles… Je prends contact avec les brancardiers régimentaires à Maison forestière, un contact qui m’édifie sur leur compte.

Ces hommes ne voient jamais 1’aumônier dans leurs bivouacs.

Ils regardent passer la soutane comme on regarde passer un phénomène. Si on entre en relations avec eux, ils sont gentils Pourtant, il s’en rencontre qui restent méfiants, le regard fermé… C’est bien pénible ; on repère de l’hostilité mal contenue… qui s’irrite encore rien que du fait de la proximité du danger, lequel danger sert « les affaires du curé », prépare le terrain à son influence ; ils le savent.

A Maison forestière, les brancardiers régimentaires ont eu cette attitude en grande partie. J’ai été gêné. Les soldats, d’ailleurs, les trouvent de bien pauvres gens, qu’il faut tarabuster pour obtenir qu’ils aillent chercher un blessé… Ah ! l’humanité !

Et comme l’œuvre néfaste est vraiment accomplie dans tout ce monde attaché à la vie matérielle, parce qu’on ne croit plus qu’à celle-là ; anéantissement de tout idéal, ce qui est la nécessaire contrepartie…

D’ailleurs, il se produit beaucoup d’actes d’indiscipline dont on ne parle pas, refus des hommes de sortir des tranchées etc.

Et la course à la décoration et au galon parmi tout ce monde ! A côté de beaucoup d’héroïsme merveilleux, vaillants, ceux qui feraient tuer deux compagnies pour se pousser un peu, si çà réussit… Ils ne s’exposent pas d’ailleurs !

Enfin, c’est l’ordre ici-bas.

Et les Allemands continuent à être très forts… Que Dieu aide la France ; la fin ne sera pas brillante.

[1] 14e RI appartient à la 34e DI le lieutenant-colonel de RIENCOURT a pris le commandement le 15 novembre 1914 https://www.horizon14-18.eu/wa_files/14e_20RI.pdf

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à Reims

Cardinal Luçon

Nuit tranquille sauf quelques coups de canon. L’abbé Brouet meurt à Paris. Visite avec M. Camu à Saint-Remi, à M. le Doyen, à la sœur du Fourneau. Remise de vêtements pour distribution.

Visite au Sœurs (et Vieillards) de Rœderer, à M. Remi.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

6 – samedi – Beau temps comme hier. Il paraitrait que les Allemands auraient bombardé la gare et le village de Bezannes (mais on lit) : Dans la soirée bombardement du 4e Canton. Nuit assez calme.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy


Gare de Bezannes
Gare de Bezannes

Samedi 6 février

Succès de notre artillerie au sud d’Arras, au nord-est d’Albert, au nord-ouest de Péronne et à Bailly au sud de Noyon. Elle fait également des tirs très efficaces dans toute la vallée de l’Aisne; nous avons progressé en Champagne au nord de Beauséjour et repoussé une attaque allemande au nord de Massiges. Attaqués à Bagatelle, nous avons contre-attaqué et poussé nos lignes légèrement en avant. Enfin une offensive allemande a été brisée au sud d’Altkirch.
La lutte est de plus en plus acharnée sur le front de Bolimow, en Pologne, entre Russes et Allemands. Hindenburg y a entassé ses divisions sur une ligne large de quelques kilomètres pour essayer de percer une trouée, mais il n’a abouti qu’à infliger à sa propre armée des pertes de plus en plus lourdes.
Deux bâtiments de guerre français, le Requin et le d’Entrecasteaux ont participé utilement à la défense du canal de Suez contre les Turcs.
La presse des pays neutres, et surtout la presse américaine commente avec indignation la nouvelle déclaration allemande qui tend à créer le blocus autour de l’Angleterre et menace de torpillage non seulement les bâtiments marchands des belligérants, mais aussi ceux des neutres.
Le gouvernement anglais a demandé à la Chambre des communes l’autorisation de porter à trois millions d’hommes l’effectif de l’armée.
L’Autriche-Hongrie a publié un livre rouge sur les préliminaires de la crise. Ce document n’ajoute rien à ce que l’on savait déjà.
Une note officieuse anglaise dit que l’attitude et les dispositions de la Roumanie n’ont pas changé.

Source : La Grande Guerre au jour le jour