Louis Guédet
Mercredi 20 février 1918
1258ème et 1256ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Beau temps. Bombardement des faubourgs toute la nuit. Pas de nouvelles de mes aimés. A 11h été au Crédit Lyonnais où le travail préparatoire suit son cours. A 3h1/2 j’assiste et procède à l’ouverture des 15 coffres préparés. La moitié de vides, les autres peu importants, sauf un contenant 2 calices avec leurs patères (dans le coffre Compagnons de Bezannes) avec décorations de la Légion d’Honneur Empire, Restauration et République. On ouvre le coffre du secrétaire de Lüling, rien, vide. Le Boche avait pris ses précautions. Attendons à demain l’ouverture de celui du sous-boche secrétaire de Lüling. A 5h1/2 nous avions fini.
Mais par contre le Capitaine La Montagne m’apprend que l’évacuation de Reims est chose décidée et sera mise à exécution lundi ou mardi. On évacuera tous les vieillards de plus de 60 ans, les enfants, les femmes, les indésirables. Toutes les maisons de commerce seront fermées, les services municipaux réduits, les administrations également, avec réinstallation à Paris. Bref nous resterons un embryon de Ville. Notre ravitaillement sera assuré par des coopératives militaires et l’autorité militaire devra y pourvoir. Tout individu restant ici aura une plaque d’identité militaire. Nous serons réduits à notre plus simple expression de façon que si les allemands faisaient une attaque sur Reims nous puissions être évacués en quelques heures. Le sort en est jeté. Je dois boire le calice jusqu’à la lie !! Je reste nécessairement, l’autorité militaire ayant besoin de moi, comme juge de Paix et notaire. Adèle restera, mais la pauvre Lise, ayant plus de 70 ans et de plus étrangère, va être obligée de partir. J’ai écrit à Paul Cousin pour l’en aviser afin qu’avec Mme Mareschal on prenne des mesures pour savoir où je devrais la diriger et la faire hospitaliser… J’aurais tant souffert, toutes les souffrances, les amertumes.
On doit également évacuer les mobiliers des partants à l’exclusion de tous les autres, d’ici le premier avril. Demain j’irai prendre langue à la Ville pour tout cela.
Je signale pour documentation les noms des 4 receveurs du service d’autobus qui accompagnent chaque voiture à tour de rôle de 2 jours en 2 jours. M.M. Cochenet, Lechat, Legube et Frappart, tous bien dévoués et d’une patience d’anges !!
Que sera demain ? Je suis bien triste, bien las !! Dieu ne m’aura rien épargné !! Rester aussi longtemps ici et voir la ville aussi abandonnée ! Nous nous sommes donc sacrifiés inutilement pour sauver notre cité et ses ruines. C’est dur !! Cruel !! Dieu ! Notre Dame de Reims, ne feront-ils pas un miracle pour sauver notre Ville martyre de ce suprême outrage !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
20 février 1918 – On lit, dans L’Éclaireur de l’Est, de ce jour :
Pas d’indiscrétions.
Avis aux populations civiles.
Il a été constaté que des indiscrétions d’ordre militaire sont journellement commises par les habitants de la zone de l’armée qui, soit dans leur correspondance, soit dans leur conversation, donnent des renseignements sur les emplacements, les numéros, les mouvements, les effectifs ou l’état moral des unités et sur la nature et l’importance d’ouvrages ou de travaux exécutés par l’autorité militaire.
Toute indiscrétion constitue un danger pour la sécurité nationale.
Le Général commandant l’armée avertit la population civile qu’il n’hésitera pas à poursuivre les délinquants.
Toute indiscrétion commise sous quelque forme que ce soit, et notamment par correspondance privée, pourra faire l’objet de poursuites devant le conseil de guerre, conformément à l’article 2 de la loi du 18 avril 1886, ou donner lieu à des arrêtés d’évacuation immédiate à l’intérieur, contre les auteurs.
En tout état de cause, les correspondances renfermant des renseignements d’ordre militaire ne seront en aucun cas acheminées à destination.
— Des officiers viennent à la mairie, conférer avec le maire et l’administration municipale.
Nous apprenons ensuite qu’il est question de faire évacuer plusieurs services de la mairie, au nombre desquels serait la « comptabilité ».
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mercredi 20 – -3°. Nuit très tranquille ; tirs allemands sur nos batteries, de 7 h. soir à minuit environ. Reprise à 2 ou 3 h., moins intense. Visite d’un Colonel, envoyé du Président du Conseil, du Ministre de l’Intérieur et du Ministre de la Guerre : faire évacuer le clergé, excepté 5 ou 6 prêtres. Bombes sur batteries, pas loin, de 11 h. à midi.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mercredi 20 février
Actions d’artillerie violentes, au cours de la nuit, dans la région sud de la forêt de Saint-Gobain, dans le secteur de Chavignon, et au nord-ouest de Bezonvaux.
Nos pilotes ont abattu ou gravement endommagé, au cours de nombreux combats, dix-huit appareils allemands. En outre, un ballon captif ennemi a été incendié.
Nos escadrilles de bombardement ont lancé 16000 kilos d’explosifs sur des objectifs ennemis, notamment sur les gares de Metz-Sablons, Forbach, Bensdorf, les dépôts d’Ensisheim, où un violent incendie s’est déclaré, ainsi que sur certains terrains d’aviation.
Les Anglais ont réussi des raids sur trois points différents.
Au sud-est d’Epéhy, les troupes irlandaises ont pénétré dans les tranchées ennemies, vers la ferme Gillemont et ramené des prisonniers.
Au sud de Lens, les troupes canadiennes ont ramené cinq prisonniers.
Plus au nord, les troupes du Lancashire du nord et du yorkshire ont fait, sur un large front, un raid dans les tranchées allemandes dans la partie sud de la forêt d’Houthulst. Un grand nombre d’ennemis ont été tués, vingt-sept prisonniers ont été faits.
Au front italien, lutte d’artillerie sur le plateau d’Asiago et dans le secteur Posina-Astico-Priula.
Des groupes importants d’ennemis ont été dispersés par le feu de l’artillerie. Vicence a été bombardée. Il y a quelques victimes.
Le Soviet des commissaires du peuple a déclaré accepter les conditions fixées à Brest-Litowsk par les empires centraux. Le général Hoffmann, chef d’état-major allemand au front oriental, a demandé à Petrograd une certification du radio qui lui avait été transmis à ce sujet. Un courrier russe a été envoyé à Dwinsk qui a été occupé en même temps que Luck par les Allemands.
Source : La Grande Guerre au jour le jour