Louis Guédet

Dimanche 24 février 1918                                         

1262ème et 1260ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Temps gris, triste comme les événements que nous traversons. Messe paroissiale de 8h1/2, la dernière dite rue du Couchant. Le Cardinal Luçon y assistait avec Mgr Neveux, l’abbé Compant, Brincourt (jeune prêtre ordonné à Reims le 29 juin 1916), Divoir, Haro. Dernière messe basse dite par l’abbé Camu, curé intérimaire, qui lui part de Reims, désigné avec l’abbé Lecomte pour tenir les archives et les affaires contentieuses de l’Archevêché à Port-à-Binson, au Prieuré de Binson. Il ne restera comme clergé Rémois que le curé de St Remy, M. Goblet, avec l’abbé Maitrehut comme aumônier de Roederer, le curé de St Jacques M. Frézet qui va devenir Cathédrale, le curé de Ste Geneviève, M. (en blanc, non cité, abbé Gayet). Les autres curés des autres paroisses vont être dispersés aux 4 coins de la France. Le pauvre cardinal reste avec Mgr Neveux et M. Compant. Voilà la dispersion qui commence. Pauvre Reims ! Les curés de St Maurice, St André, Ste Clothilde, St Benoit partent… Cette messe était lugubre.

Le cardinal a fait un discours fort triste et peu remontant… Nous étions une 40aine (quarantaine) de fidèles. Becker, Camuset, Melle Payart… Les derniers chants ont été dits par Boudin, l’abbé Haro et Melle Becker tenait l’harmonium. La chapelle de la rue du Couchant n’existe plus !! Encore une porte fermée.

Déjeuné chez M. Becker avec l’abbé Camu, l’abbé Haro et M. Camuset. Conversations tristes. Déjeuner d’adieu, comme si l’on allait faire un grand voyage et peut-être ne plus se revoir. Après-midi vu la Mère Supérieure de Roederer, qui va rester avec ses religieuses après avoir craint de partir. Vu Raïssac qui va aussi bien que possible, mais jamais il ne pourra reprendre la tête de notre Ville. Reims se désagrège, Reims meurt. Reims est morte. Dieu quelle épreuve. Reims martyre et sacrifiée. Et quand on songe à l’oubli où on la laisse. Paris s’amuse. Reims meurt.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dimanche 24 février 1918 – Afin de me tenir prêt à toute éventualité, je profite de mon temps libre de ce dimanche, pour me rendre dans la maison de mon beau-père, 57, rue du Jard, en vue d’y faire ce que comman­dent les circonstances. Je cherche d’abord les plus importants pa­piers de famille qui m’appartiennent et deviendraient nécessaires, en cas de départ. Dans le coffre en tôle, enterré depuis plus de trois ans au fond du jardin, où ils se trouvaient, je les remplace par un certain nombre de documents auxquels je tiens essentiellement, — puis je procède à l’inventaire des objets existant dans cette mai­son, garnie de mobilier, de linge, de literie, etc.

Le bombardement, qui avait commencé dès le matin et s’était ralenti, reprend très sérieusement le soir. Nous apprenons, en dînant à la popote, que l’agent de police Bornet vient d’être ramené à la mairie, après avoir été blessé place de la République.

La réception des ordres de départ, ce matin, a provoqué un gros émoi parmi la population.

A la suite de ses communications des deux jours précé­dents, qu’il reproduit, L’Éclaireur ajoute aujourd’hui ceci :

Avertissement officiel

Les personnes de tout âge, sexe ou condition, qui n’ont pas été déclarées au recensement fait ces jours-ci, doivent se faire inscrire par la police, sous trois jours, et fournir la ré­ponse à toutes les questions spécifiées.
Celles qui n’auraient pas satisfait à cette prescription avant le 28 février, comme celles qui n’auraient pas déféré à un ordre individuel d’évacuation, seront saisies par l’autorité militaire, qui leur appliquera les sanctions prévues par les lois et arrêtés.

La commission municipale

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Les personnes qui seraient disposées à quitter la ville, bien que ne recevant pas d’ordre individuel d’évacuation, pourront se faire inscrire à l’hôtel de ville et tous les moyens de transport leur seront assurés.

La Commission municipale

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Par ordre du Gouvernement, la ville de Paris est actuel­lement interdite comme lieu de refuge ; aucune allocation ne pourrait y être établie.

La Commission municipale

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Dimanche 24 – + 10°. Messe des Adieux, chapelle du Couchant. Allocution aux partants, évacués d’office. A 2 h., Chapelet et Salut. Visite d’un commandant cantonné à Champfleury, du 3e Corps Colonial(1), je crois, de la Division de Reims, à Cormontreuil, Champfleury. On me ferme mes fenêtres avec de la toile, pour remplacer les vitres. Visite d’adieu à M. Blaize, qu’on emmène à Ay, dans une automobile fournie par M. Guichard.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Il s’agit plutôt du 1er Corps d’Armée colonial.

Dimanche 24 février

Au nord de l’Ailette, nous avons effectué une incursion hardie jusqu’aux abords de Chevregny et ramené du matériel et vingt-cinq prisonniers dont deux officiers.
En Champagne, nos détachements ont pénétré également dans les tranchées ennemies. Une dizaine de prisonniers est restée entre nos mains.
Sur le front britannique, les troupes écossaises ont réussi un raid près de Monchy-le-Preux. Elles ont fait quelques prisonniers. Les patrouilles à l’est de Wytschaete ont également fait des prisonniers.
L’artillerie ennemie s’est montrée active aux environs de la route de Menin et au sud de la forêt d’Houthulst.
Sur tout le front italien, la lutte d’artillerie a été modérée et les groupes explorateurs ont été assez actifs des deux côtés.
Des patrouilles anglaises ont fait quelques prisonniers.
Un détachement ennemi, qui tentait de s’emparer d’un petit poste au fond du val Brenta, a été rejeté après un vif combat.
Un avion ennemi a été abattu près de Cesimon. Deux autres sont tombés près de Silgaredo.
Les Anglais, après avoir occupé Jéricho, ont continué a progresser et pris une tête de pont du Jourdain.
Les aviateurs Garros et Marchal se sont évadés d’Allemagne.

Source : La Grande Guerre au jour le jour