Louis Guédet

Lundi 24 septembre 1917

1109ème et 1107ème jours de bataille et de bombardement

8h matin  Nuit relativement calme, mais le canon n’a pas cessé de tonner à intervalles irréguliers toute la nuit. Mal dormi en somme. Ce matin une levée de scellés et inventaire, rue Libergier, 52, maison Roussillon (à vérifier), pour Thiénot, et 2 inventaires quartier Fléchambault pour Bigot. Ma journée sera occupée.

6h soir  Rien de bien saillant. Des mots de ma chère femme avec jointes 2 lettres de Jean et Robert qui peuvent être relevés de jour en jour. Jean m’annonce qu’il quitterait bientôt sa batterie, il ne sait pas pourquoi, comment, et pour aller où… Fait ma levée de scellés ce matin, été retenir un camion militaire pour transporter les livres de mon vieil ami Bossu. C’est chose entendue pour le samedi 27 octobre prochain 7h matin. Je lui écris pour l’en prévenir.

Rencontré abbé Compas, Divoir, Camu. Causé un instant. Vu ensuite Touyard au Palais pour le prévenir du déménagement Bossu. Rentré chez moi où j’avais de l’ouvrage, écrit quelques lettres, et puis vers 5h des bombes se mettent à siffler au-dessus de moi. Je suis tout impressionné, et presque tremblant. Cela va cependant plus loin, mais depuis ma dernière secousse je ne suis plus rassuré… Mon cœur se serre et je souffre réellement. J’ai hâte que cela cesse, et aussi d’aller un peu à St Martin me reposer, me remettre. Je ne suis plus fort, un rien m’émotionne et m’abat.

7h1/2 soir  Le canon n’a pas cessé de tonner, soit du côté des nôtres, soit des obus allemands et relativement assez près. Leur sifflement m’a tenu en éveil tout le temps de mon dîner, et j’ai mangé en hâte et fini mon dessert debout, mon masque sous le bras, prêt à descendre en cave si cela se rapprochait par trop. Ma vieille Lise est assez émotionnée, aussi je lui dis de venir s’asseoir auprès de moi. Nous serons moins seuls. On ne peut se faire à cette musique ! Et quand donc ce sera-t-il fini ?! Au contraire je crois qu’on s’en impressionne plus qu’au commencement !! On n’est plus fort, on ne résiste plus autant, on est affaibli par 38 mois de martyre. Et mon Dieu ! malgré moi, dès que le calme est le silence se fait, dès que la rafale est passée, on se reprend, on revit, on ressent un sentiment de sécurité, de bien-être, qu’on ne peut analyser, décrire… Quelles singulières impressions aurais-je ressenti durant cette période terrible, quels sentiments aurais-je ressenti, que de pensées vous assaillent durant ces moments tragiques où l’on est suspendu au…  souffle de l’obus qui vous arrive !! Quelle sensations, quelle métronisation presque, on a comme un sentiment de lévitation ! on se sent soulevé du sol. Pour où aller, Mon Dieu ?!… Retomber dans ces angoisses… Je ne comprends pas que durant ces secondes d’attente…  de mort entre le 1er sifflement lointain perçu (même le coup du départ avant), et l’éclatement de l’obus, je ne comprends pas que notre cœur ne s’arrête tout net, et que nous ne mourrions pas immédiatement. Pardon d’analyser ainsi notre pauvre existence, mais je voudrais non pas faire ressentir à ceux qui me liront ces notes, les liront peut-être plus tard au calme et en toute sécurité…  mais faire comprendre, saisir mes sensations, mes impressions… !!……………………………………………… indescriptibles, inanalysables, insensationnelles pour qui ne les a pas vécues.

Heures, minutes, instants terribles, entre la vie et la mort toujours suspendue sur votre tête. Heures inoubliables, mais combien lugubres, tristes, désolantes… Tout vibre en vous, tout s’extériorise, s’éthérise presque. Vous vivez un monde en un millionième de seconde !! et tout cela au détriment de votre pauvre carcasse, qui se tasse, se plie, se courbe, se désagrège déjà avant la pulvérisation de la tombe. L’âme seule survit sur cette pauvre ruine, avec sa volonté, son vouloir de faire son devoir jusqu’au bout, jusqu’à la délivrance, jusqu’à la victoire finale !

8h soir  Dois-je me coucher ? Dois-je attendre encore si une nouvelle bourrasque se déchaine ? Que faire ? Après tout on est tué aussi bien dans son lit qu’à sa table de travail. Donc Bonsoir ! à toute la compagnie ! comme on dit si savoureusement dans ma chère Champagne Pouilleuse !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

Lundi 24 – + 10°. Nuit assez bruyante autour de Reims : canons, mi­trailleuses, fusils très fréquemment entre tranchées adverses. Visite de M. Dage et de Mme Pommery. Aéroplanes allemands et français : tir contre eux. 6 h. 45 canons français très voisins de nous. Tir répété ; riposte alle­mande. Pendant le souper, obus sur le Lycée, rue Chanzy.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

CPA : collection Bosco Djoukanovitch

Lundi 24 septembre

Les Allemands ont attaqué de nouveau après un violent bombardement, nos positions de la région de Maisons-de-Champagne. Nos feux ont brisé l’attaque avant qu’elle est pu aborder nos lignes. La lutte d’artillerie a été vive dans la région des Monts. Un coup de main ennemi vers le mont Haut, n’a donné aucun résultat. Nous avons pénétré dans les lignes allemandes au sud de Vaudesincourt et opéré des destructions importantes.
En Woëvre, une tentative allemande sur nos tranchées, entre Fay et Regnéville, a également échoué. Nous avons fait des prisonniers.
Les troupes britanniques ont exécuté avec succès un coup de main au nord-est de Gouzeaucourt. Elles ont infligé de sérieuses pertes à l’ennemi.
Canonnade dans le secteur d’Ypres.
En Macédoine, la lutte d’artillerie se poursuit sur le Vardar. Des coups de main des Bulgares ont été repoussés, notamment dans le secteur italien. Un détachement français a accompli un raid heureux en contact avec les contingents albanais d’Essad pacha, dans la vallée de Skumbi. Il a fait 442 prisonniers.

Source : La Grande Guerre au jour le jour