Louis Guédet

Lundi 28 mai 1917

989ème et 987ème jours de bataille et de bombardement

9h soir  Beau temps. Je pars à Rilly à 8h, par Cormontreuil, Varsovie (ferme de Varsovie), Mont Ferré, Moulin de Montbré et Rilly. Des canons, des tranchées, des tombes le long de la route. Arrivé là je trouve Maurice Lepitre, sa jeune femme et Edith Lepitre (Maurice Lepitre (né en 1877), son épouse, née Hélène Louise Juget (1882-1966) et leur fille Edith (1910-1985) qui épousera Henri Le Bourgeois), charmants, très sensibles à mon empressement à venir pour le affaire de Son (succession). Rilly est comblé de troupes. Nous déjeunons, causons, causons, causons, il y avait 3 ans presque que nous nous étions vus, la dernière fois le 23 juillet 1914, à l’enterrement de M. Lepitre Père !!! Tous comme moi en ont assez ! et même état d’esprit à l’égard des officiers, quels qu’ils soient, et même mauvaise impression que moi-même !! Maurice Lepitre me dit (ce que je savais déjà) que les troupes en ont assez et sont très montées contre tous ces officiers incapables et noceurs. Il est aussi convaincu qu’après la Guerre on le leur fera sentir cruellement.

Ils me contaient qu’ils avaient eu pendant plusieurs mois chez eux à Rilly le Général Mazel, commandant la Vème Armée (une vieille connaissance à moi !!) et certes leur impression à son endroit était plutôt désastreuse !! sans compter ses caprices sardanapalesques (vie luxueuse et débauchée) et digne des rois fainéants…  un exemple du Sire entre cent. Dans le jardin des Lepitre il y a un bassin avec jet d’eau où, (lorsque ce galonnard était là) une malintentionnée grenouille avait élu domicile et avait l’impudence de chanter à la lune et de troubler le sommeil du (rayé). Savez-vous ce qu’il a trouvé ? Eh bien ! à l’exemple d’un roi ou satrape célèbre dans l’antiquité, et dont tous avons appris les excentricités au collège, il faisait battre l’eau du bassin par un soldat pour empêcher de chanter la malheureuse grenouille. Mais comme la damoiselle continuait à croasser, il eut l’idée lumineuse de faire vider par le susdit soldat le bassin, qui mis à sec força la grenouille à choisir un domicile plus humide et convenable à son tempérament aquatique. Plus de chanson. Le général Mazel exulta et put dormir tranquille… !! au bout de quelques jours, le hanneton ou l’araignée qui habitait dans la sa cervelle, découvrit que puisque la grenouille avait fui, on pouvait remplir le bassin d’eau, ce qui était plus charmant à l’œil. Qui fut dit fut fait, mais la satanée grenouille sentant…  l’eau fraîche, revint rejoindre son ancien domicile, et se remit à…  chanter !! Colère du satrape !…  et regaulage de l’eau du bassin par le pauvre soldat, qui mélancoliquement disait aux maîtres de céans, tout en gaulant sa grenouille : « Je ne me doutais guère que mes parents m’avaient fait faire toutes mes études, et même ma licence en droit pour aboutir à ces nobles fonctions que j’exerce en ce moment : battre l’eau avec une perche pour empêcher de croasser aux grenouilles de venir de croasser pour permettre à mon Général d’Armée de dormir en paix. Vraiment, ils auraient pu employer mieux leur argent !!… » Et voilà comment au XXème siècle un Général d’Armée qui fait tuer chaque jour des centaines et des milliers d’hommes emploie ceux-ci à satisfaire ses…  imbécilités ses excentricités dignes d’un tyran de l’antiquité !!

Hier soir j’ai eu 54 ans !! Triste et douloureux anniversaire, qui en guise de cloche de joyeux anniversaire, avait  le glas du canon ennemi pour sonnerie de gai événement…  seul…  loin de tous mes aimés. Je suis entré dans ma 55ème année au son du canon et du sifflement des obus fusants, incendiaires, lacrymogènes ennemis !! Du jardin sur une terrasse j’ai contemplé à la jumelle le Mont Haut, Mont Cornillet, Nogent, etc…  tout blancs tout bouleversés, et dans tout ce désert de grandes fumées s’levant au loin. C’était la bataille que je voyais, bataille que j’entends depuis 33 mois !! Cela tombait surtout sur Puisieulx, Sillery, Mont Cornillet, Mont Haut.

Je quitte mes amis vers 5h1/2 et rentre à Reims vers 6h3/4. Rilly n’a pas souffert du bombardement. Quelques murs crevés, quelques toitures enfoncées, rien.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

28 mai 1917 — Bombardement, ainsi que chaque jour.

– A 16 h 1/2, après avoir profité de la liberté de ce lundi de Pentecôte, pour mettre en ordre différentes choses dans l’immeu­ble de mon beau-frère, rue du Cloître 10, je pense à sortir quel­ques minutes, si possible, pour faire une courte promenade.

A l’instant précis où je fermais la porte de la maison, un obus venant soudain au-dessus de moi, éclate sur sa corniche, me clouant sur place. C’était un 88 autrichien.

Avec d’autres obus, on n’a déjà généralement pas le temps de se garer, mais avec ces maudits projectiles, que l’ennemi nous envoie depuis quelque temps et que nous connaissons malheureu­sement trop bien, cela devient absolument impossible, car on en­tend en même temps le coup du départ, le sifflement et l’explosion d’arrivée ; on serait tué sans avoir eu le temps de s’apercevoir du danger.

Je venais d’allumer avec plaisir un cigare, rapporté dernière­ment d’Épernay, où j’étais allé en congé quelques jours ; je conti­nue à le fumer tout de même, non sans une certaine émotion, car il est bien évident que je viens, encore une fois de l’échapper belle, avant d’aller prendre un peu l’air, au dehors.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Lundi 28 – + 15°. Toute la nuit combat à Test. A 5 h. quelques bombes ; Vers 1 h. 45, quelques bombes très fortes et très près de nous. J’ai tremblé pour la Cathédrale. Visite rue Chanzy où est tombé un obus. Visite à M. Biaise.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 28 mai

Une tentative des Allemands sur nos tranchées, au nord du moulin de Laffaux, a échoué sous nos feux. Dans ce secteur, ainsi que sur le plateau de Californie et dans la région des crêtes au sud de Nauroy et de Moronvilliers, la lutte d’artillerie a été assez violente au cours de la nuit.
Une attaqne locale a permis aux Anglais d’effectuer une nouvelle progression vers Fontaines-les-Croisilles. Des engagements de patrouilles vers le Cojeul, leur ont valu un certain nombre de prisonniers.
Ils ont abattu trois avions allemands en combat aérien, huit autres avions ont été contraints d’atterrir, désemparés. Quatre avions anglais ne sont pas rentrés.
Les Italiens ont continué leur progression sur le Carso en s’emparant de nouveaux points fortifiés. Ils ont fait des prisonniers en plusieurs endroits: 1150 au total.
Le général américain Pershing a fait un discours éloquent pour affirmer que ses troupes viendraient prochainement collaborer à la libération du front occidental.
On dément officiellement à Vienne que l’archiduc Joseph doive succéder à M. Tisza à la tête du cabinet hongrois.

Source : La Grande Guerre au jour le jour