Louis Guédet

Mercredi 11 avril 1917

942ème et 940ème jours de bataille et de bombardement

11h matin  Toute la nuit nos canons ont tapé, on dort mal. Vers 5h des bombes vers la rue de Venise, la Chaussée du Port (boulevard Paul Doumer depuis 1932). Ce matin assez calme, temps brumeux, le soleil perce difficilement. Porté lettres et pris mon courrier au Palais de justice. Passé chez Michaud, pas de journaux. A la Ville j’y vois le Maire, Raïssac, Houlon et Paillet commissaire central. Le communiqué est bon, les Anglais ont percé les lignes allemandes entre Lens et Arras, 10 000 prisonniers, 100 canons et 2 Divisions de cavalerie anglaise chevaucheraient dans les plaines de Douai. Oui, nous avons l’impression que ce sera bientôt fini et que Reims sera délivré sous peu. C’est dans l’air. Nous causons des ruines causées par le dernier bombardement, il parait que c’est navrant, effrayant. Les Faubourgs Cérès et Laon sont rasés. Le Maire, plus en train, cause avec moi, et comme je lui disais que dès que j’apprendrai qu’ils sont partis, je filerai, ne serait-ce que 24 heures embrasser les miens, et mon Père si c’est avant son départ, et que j’espérais bien qu’il me laisserait partir. Alors, avec son fin sourire : « C’est cela, vous nous lâcherez, vous allez aussi nous quitter ! » Comme je protestais sur le même ton, il m’ajoute : « Je compte que vous nous reviendrez vite, car nous aurons besoin de vous ! » – « C’est entendu », lui répondis-je. Alors de continuer à nous taquiner…  mais je sens qu’il désire que je reste près de lui aux premiers moments de réorganisation de la Ville.

Je les quitte et je repasse au 1er canton, les voitures attendent là les émigrants…  mais pas 10 sont là. Du reste Paillet nous a dit que plus personne ne partait, et que du reste l’autorité militaire ne tiendrait plus que des voitures à chevaux pour ce service. Carret, mon commissaire, me dit qu’il y a certainement encore 10 000 hommes à Reims, il estime les départs entre 5 à 6000 au plus. J’écris dans le bureau du poste de Police une lettre à ma chère femme pour la tranquilliser et que je remets à Camboulive, brigadier, pour la remettre à un évacué qui la jettera à la boite à Épernay.

1h  Des schrapnels sifflent aigus tout près. Il vaut mieux descendre. Adèle me fait remarquer le goût de poudre dans la cave, sont-ce des asphyxiants ? Je ne le crois pas, il en tombe une demi-douzaine tout proche. Nous voilà encore une fois en cave.

Le Maire me disait ce matin que l’on nous alimentait en eau avec les pompes des sapeurs pompiers qui prennent l’eau dans les caves à Champagne et les usines inondées, et la déverse dans les canalisations de la Ville restées indemne. Donc cette eau doit être bouillie, ce que je recommande à la maison en rentrant. Il dit aussi que nous sommes sûrs de ne pas manquer de pain, bien des boulangers sont restés, et de plus il y a à la Ville 10 000 pains de troupe.

Les pillages continuent : chez Helluy au Courrier de la Champagne près du transept nord de la Cathédrale, rue Robert de Coucy, cette nuit la librairie a été mise à sac. On me rapporte que des soldats auraient assassiné une femme qui allait partir pour lui prendre ses réserves de provisions. Elle a voulu résister, ils la lardèrent de coups de couteaux. Joli monde et l’autorité militaire laisse faire, un peu plus elle aurait le sourire.

1h20 soir  Cela ne parait être qu’une alerte, on remonte.

5h3/4 soir  Le temps est toujours froid, nuageux avec quelques éclaircies, un vent violent et froid souffle, et…  m’empêche d’entendre les obus siffler et où ils tombent : çà m’embête, car dans notre vie de fou, on aime bien savoir où le vent tourne et les obus sifflent et tombent ! Vers 2h je ne tiens plus en place et je sors poster mes lettres à la Poste. En passant devant le Commissariat du 1er canton je rencontre le Brigadier Camboulive qui, voyant mes lettres à la main, me les prend en me disant qu’il les fera mettre à la Poste à Épernay. J’accepte. Je vais rue Jeanne d’Arc et rue de Chativesle 20 pour voir là la maison de ce pauvre Jacques qui est indemne, ainsi que celle de Mme Gambart. Je vois la voisine de cette dernière qui couche dans la cave de cette dernière. Elle me dit que tout va bien et qu’elle restera et veillera sur ce qui reste à la cave (mes vins). Je suis un peu rassuré, car les pillards ne s’y frotteront pas. De là je vais voir Albert Benoist, boulevard de la République, au coin de la place d’Erlon. J’entre et nous nous promenons dans son jardin en causant d’un tas de choses, des événements, il ne m’apprend rien de nouveau que je ne sache, les maisons du boulevard Lundy, l’Hôtel Olry-Roederer, anciennement Werlé, incendié, etc…  etc…  J’en aurais trop à énumérer. Il me demande quelques renseignements notariaux et de Justice de Paix. Je le quitte et je vois les dégâts faits au square Colbert et à la Porte Mars dans les promenades, arbres hachés, brisés, cassés, on dirait l’exploitation d’une coupe de bois…  Je vais à l’Hôtel de Ville où je rencontre Lenoir, notre député, qui très cordialement vient me serrer la main. Nous causons, il me félicite très gentiment de ma conduite. Je lui réponds que je n’ai fait que mon devoir et que j’étais heureux de me rendre utile à mes concitoyens. Il me répond : « Oui, mais vous auriez pu vous défiler comme d’autres, et vous avez très bravement pris la charge de justice de Paix, ce que tout le monde n’aurait pas fait. Je vous en félicite, et sachez que je m’en souviens et m’en souviendrai ». Je lui serre la main et nous nous quittons. Il est sincère avec moi, je le sens. Je lui ai signalé les pillages du 1er de Génie et du 410ème d’Infanterie, et lui ai demandé d’en parler en haut-lieu. Il me l’a promis. Je l’ai prévenu que j’avais fait un rapport là-dessus au Procureur de la République de Reims. Il m’a approuvé.

Sont joints aux feuillets les copies de 2 lettres, un peu délavées et datées du 11 avril 1917, l’une au Procureur de la République M. Osmont de Courtisigny, l’autre au Procureur Général de Bastia, M. Bossu. Elles reprennent toutes les deux uniquement les faits précédemment exposés.

Est aussi joint une feuille de carnet, de format 8,5cm x 11cm, où diverses informations ont été notées « dans le feu de l’action » avant d’être développées sur les feuillets précédents.

Je passe chez Michaud prendre les journaux qui confirment les succès des anglais devant Arras et Douai. Si cela aidait à nous dégager !! Je serre la main à l’abbé Camu et je rentre chez moi…  en vitesse, les schrapnels commençant à siffler ! tout proche…  je trouve mes 3 Parques à la cave. Il est 5h10. Nous remontons à 5h25. Je me mets à mes notes qui m’occupent et me consolent un peu. Je ne sais si j’ai noté que je me suis entendu avec le Commissariat Central au sujet des sommes et valeurs qu’on pourrait trouver sur les morts victimes des bombardements. Voici ce qui est convenu : on me remettra ces valeurs et argent. Je ferais une note comme juge de Paix au Receveur des Finances de Reims, détaillant sommairement celles-ci, en le priant de les déposer à la Caisse des Dépôts et Consignations. Je mettrai cette lettre, dont je conserverai copie, avec valeurs et argent dans une enveloppe à l’ordre du Receveur des Finances de Reims à Épernay, service des dépôts et consignations. Un agent cycliste remettra ce pli au bureau de Reims qui le fera parvenir à Épernay et à défaut au Trésor et Postes Militaires de l’avenue de Paris, avec prière de la faire tenir à la Recette des Finances d’Épernay. J’ai déjà procédé une fois ainsi depuis le bombardement de vendredi dernier avec le Commissaire du 1er canton et cela marche avec Péchenet, le chef de Bureau de la Recette d’ici. Voilà encore un service organisé au pied-levé.

6h1/4  Nos canons font rage, on ne s’entend plus. Soit se sont les bombes d’arrivée qu’on n’entend pas.

7h  Melle Colin vient me dire toute effarée qu’elle est allée rue St Hilaire, et qu’elle a trouvé tout le côté impair ouvert, cambriolé et pillé par la troupe. Voilà pourquoi nos galonnards voleurs désiraient tous que l’on évacue Reims. Je lui dis que j’ai écris au Procureur de la République à ce sujet et que j’en ai causé à Lenoir.

7h35 soir  Voilà des schrapnels qui nous arrivent tout près avec leurs sifflements aigus. Il vaut mieux descendre, nous abandonnons notre table qui n’est pas encore desservie.

8h soir  Plus rien, en tout 8 à 10 schrapnels !! Quand je songe aux ouragans de mitraille de l’autre semaine !! Je ne sais, je n’ose émettre une pensée qui me hante, c’est que ces vandales retirent leur grosse artillerie avant de filer. C’est le départ incognito, en catimini, à la Prussienne. Car après les volées que nous venons de leur donner, comment ne nous envoient-ils pas leurs gros obus…  en représailles sur notre Ville, pour tuer quelques civils de plus…

Je ne sais, mais il y a quelque chose de changé chez eux, un grain de sable dans leurs rouages. Mon Dieu, que je ne me fasse pas d’illusion, mais…  mais aujourd’hui rien que des shrapnells !! Je ne comprends plus. Attendons cette nuit, s’il n’y avait rien que ces légères éclaboussures de leur part. Je crois, je pense en tremblant de crainte et d’espoir que réellement je ne me suis pas trompé, et que nous approchons de la délivrance. Mon Dieu, empêchez-moi de faire de si beaux rêves, mais c’est plus fort que moi. L’alléluia de la Victoire, de la Délivrance de la Ville Martyre et de tous ses martyrs se presse sur mes lèvres, s’en échappe malgré moi, hors de moi. Mon Dieu, pardonnez-moi, mais je ne puis m’empêcher de croire…  malgré moi. Je suis transporté…  je vole vers…  la Liberté, le pouvoir de respirer…  à pleins poumons l’air de l’avril de France, sans plus aucune crainte ! sans côtoyer sans cesse la Mort.

J’ai peur. Je tremble. Je suis en allégresse malgré moi !! Je n’ai jamais rencontré semblable chose depuis le 11/12 septembre 1914, et le 13 septembre 1914 à 7h1/2 du matin, où du haut de la tour Nord de la Cathédrale, je déroulais nos 3 couleurs au clair soleil radieux d’une belle matinée d’automne, dont seule notre chère Champagne a le secret et le charme !! Couchons-nous ! Je crois, je crois…  je suis sûr !! Dieu soit loué !! Nous sommes aussi le 11/12 avril 1917 !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

11 avril 1917 – Dès le matin, bien reposé par la nuit passée dans les caves Abelé, je pars faire une tournée rapide, en traversant le boulevard Jules-César, les voies du chemin de fer et en montant le talus qui permet d’atteindre l’impasse Paulin-Paris, pour aller voir ce qui s’est passé, depuis hier, du côté de la place Amélie-Doublié. J’y remarque de nouvelles traces de projectiles ; un gros arbre a été abattu au coin de la rue Victor-Rogelet. Des obus sont tombés également sur le commencement de la rue Lesage, les voies, le pont de l’avenue de Laon, etc. et le bombardement continue avec intensité.

L’Éclaireur de l’Est paraît de nouveau, aujourd’hui, mais sous un format des plus réduits, une simple petite feuille d’environ 20 X Ce journal minuscule, — tout ce qui nous reste à Reims — est le bienvenu ; il est accueilli avec sympathie.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Mercredi 11 – + 5°. Nuit agitée ; sifflements presque continuels ; tir du canon français. Visite en ville : rue Royale, place des Halles, chez M. le Dr Gaube. Toute la matinée, aéroplanes en l’air. Bombes sifflent à peu près constamment ; sur quoi ? item dans l’après-midi. Dans la nuit de lundi à mardi et dans celle de mardi à mercredi. L’église Saint-André a été dévas­tée : 2 travées de voûtes tombées dans la grande nef ; les voûtes d’une basse nef écroulées ; mur éventré sur une surface de 100 mètres carrés, au midi. Chemin de Croix : moitié des stations perdues. Chœur endommagé.

Couché dans mon bureau. De 8 h. à 10 h. violentes actions d’artillerie du côté du nord (Brimont) et du côté du midi : éclairs de canon splendides et immenses.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Mercredi 11 avril

Au nord de l’Oise, l’artillerie ennemie a montré moins d’activité que les jours précédents. Rencontres de patrouilles et fusillades aux premières lignes. Au sud de l’Oise, nous avons réalisé des progrès à l’est de la basse forêt de Coucy.

Lutte d’artillerie assez vive dans la région au nord-est de Soissons et principalement dans le secteur de Laffaux. Au sud-est de Reims, nous avons repoussé un coup de main dirigé sur l’une de nos tranchées au nord de Sillery.

En Champagne, lutte à coups de grenades à l’ouest de Maisons-de-Champagne.

Les Anglais qui, la veille, avaient enlevé les lignes ennemies en Artois, sur une profondeur de 3 à 5 kilomètres, continuent leur offensive. Après avoir occupé Neuville-Vitasse, Telegraph-Hill, Tilloy-les-Mofioines, Observation-Bridge, Saint-Laurent-Blangy, les Tilleuls et la ferme de la Folie, Feuchy-Chapel, Feuchy, Hyderabad-Redoubt, Athies, Thelus et dénombré 11000 prisonniers, dont 235 officiers; ils se sont installés à l’extrémité nord de la crête de Vimy : toutes ces contre-attaques allemandes ont été repoussées, 100 canons ont été capturés.

Les alliés ont pris Fampoux et les descentes voisines au nord et au sud de la Scarpe.

Vers Saint-Quentin, l’ennemi a été chassé des hauteurs entre le Verguier et Hargicourt.

Le Brésil a rompu avec l’Allemagne. Une très vive effervescence se marque dans toute l’Amérique du Sud.

Le gouvernement provisoire russe vient de lancer un émouvant appel au peuple. Il montre que l’Etat est en danger et qu’un vigoureux effort est nécessaire pour rejeter l’ennemi. La Russie ne veut ni conquérir des territoires ni attenter à la liberté d’aucune nation, mais libérer son propre territoire de l’invasion.

Le transatlantique New-York, du port de New-York, a heurté une mine allemande au moment où il entrait dans ce port. Il a été avarié, mais a pu se mettre à l’abri par ses propres moyens.

Le ministre de la Guerre autrichien, le général Krobakin, compromis dans un scandale, a démissionné.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour