Louis Guédet

Jeudi 5 avril 1917

…pauvres petits. Que faire ? Que dire ? Que décider ?

Vu M. et Mme Becker qui m’ont dit grand bien de mon grand Jean, son capitaine en dit beaucoup de bien, et son collègue le capitaine Cornet. Il est très bien noté par ses chefs.

Ce soir audience de réquisitions militaires, à 2h1/2.

6h1/4 soir  Vu ce matin à l’Hôtel de Ville M. Charlier, le chef de bureau des allocations militaires, commission cantonale, qui m’apprend que sa maison rue de Courcy, 52, (rue Roger-Salengro depuis 1946) a été broyée hier par le bombardement, 3 ou 4 obus. Vu Camuzet qui me dit les ruines des terribles bombardements, rue St André (rue Raymond Guyot depuis 1946), rue Jacquart, place de Bétheny (place du Docteur Knoëri depuis 1927) qui n’est plus qu’une ruine, rue Coquebert, rue de Savoye, clinique Lardenois, clinique Lardenois, rue Werlé, maison Girardin fort abîmée (rayé). Enfin de tout cela des ruines, toujours des ruines. Beau champ d’expériences militaires, comme le disait avec tant…  d’humour nos galonnards. C’est tout ce que trouvent à dire ces soudards à qui il ne manque plus que l’uniforme allemand pour être complets.

Les Postes Muire et Vesle sont installées au Palais de Justice dans la Chambre civile. Là j’y rencontrais hier l’un des Directeurs (rayé) qui hier, blanc de peur  me dit : « oh ! mais si çà bombarde…

La demi-page suivante a été découpée.

Audience de réquisition militaire, 2 affaires, dont l’affaire Janin, entrepreneur de bois de construction. Son frère, clerc de notaire est venu pour lui. J’ai saisi l’occasion de dire à celui-ci que je n’admettais pas que son frère qui ne jugeait pas à propos de se présenter, accusant Payen d’avoir voulu se dérober au danger il y a un mois lorsqu’il avait été convoqué la première fois !! Payen n’était pas venu à cause du verglas, et parce que l’autorité militaire ne lui avait pas permis de venir à Reims… Non ces gens-là sont inconscients. Ce sont eux qui se défilent depuis 1914 et accusant les autres de se dérober !! C’est un comble !!! Janin a senti la leçon ! Il pourra la répéter à son pleutre de frère.

Je ne pars pas demain. Je n’ai pas de voiture. Dois-je partir samedi ou dimanche ??? Je ne sais !! Cette incertitude me fait réellement souffrir. Je suis pris entre le Devoir civique et le Devoir paternel, l’affection paternelle ! Celui-ci, celle-ci, il est vrai doit passer après celle-là ! C’est dur ! Mon Dieu, éclairez-moi. Et faites que je puisse aller à St Martin embrasser mon père et ma femme et mes Petits. Il n’y aura que mon Robert qui me manquera. Pauvre Petit. Aucune épreuve ne m’aura été épargnée, aucun sacrifice !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Le communiqué en date de Paris, 4 avril, 7 h, que nous lisons ce matin dans les journaux, annonce notamment ceci :

L’ennemi a violemment bombardé la ville de Reims, qui a reçu plus de 2 000 obus ; plusieurs personnes de la population civile ont été tuées.

— Aujourd’hui, au cours de l’après-midi, des obus tombent à proximité des voies du chemin de fer, impasse Paulin-Paris, rue Duquenelle et, la nuit, les sifflements se font entendre de nouveau

à plusieurs reprises, tandis que les projectiles éclatent vers la porte de Paris, l’avenue de Laon, les Promenades, la rue de Cormicy,

— Le Courrier donne les différentes communications ou formations suivantes :

Nouvel avis à la population.

En raison de la fréquence et de l’intensité des bon dements, le sous-préfet de Reims, au nom du gouvement par son ordre, engage les habitants de Reims qu’une obligation impérieuse ne retient pas, à quitter la ville pour quelques temps. Il insiste principalement sur le devoir absolu des chefs de famille de mettre sans retard en sécurité leur femme et leurs enfants.

Ainsi qu’il a été dit, toutes facilités seront donnée: le retour des personnes qui se trouvent actuellement à Reims, dès que les circonstances le permettront.

Le sous-préfet de Reims : Jacques Regnier

Ville de Reims.

Le service du ravitaillement dispose de deux mille de cassoulet (viande et haricots) qui peuvent être cédées immédiatement à la population aux prix de :

– 0,85 F la boite de 500gr.
– 1,55 F la boîte de 1 kg.
et d’une petite quantité de morue.

S’adresser à l’abattoir municipal et aux soupes populaires de Melle Foubiaux et de Mme Perottin.

Départs.

Les autos militaires qui conduisent à Epemay nos concitoyens n’étant pas toutes remplies par les vieillards et les jeunes enfants, les places restantes seront mises à la disposition des autres personnes désirant quitter Reims.

On devra s’inscrire, à partir de 5 h du soir au commissariat central.

Contre les gaz asphyxiants. Conseils.

Des personnes ayant été incommodées en portant secours à d’autres personnes victimes d’accident, il est rappelé que le premier soin à prendre est de revêtir son propre masque, et, si possible, d’appliquer celui du blessé.

Revêtir également son masque lorsqu’on pénètre dans une maison qui a reçu des obus asphyxiants.

L’adieu aux partants.

M. le maire de Reims était présent au premier convoi automobile emmenant des vieillards et des enfants.

Il les a salués en termes pleins d’émotion et avec un at­tendrissement visible.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi-Saint – Jeudi 5 – + 3°. Nuit assez agitée ; bombardement violent jusqu’à 10 h. soir. Ronflement lointain de la canonnade toute la nuit, Berry- au-Bac et la Neuvillette, attaque allemande. Le matin, silence jusqu’à l’heure de la messe à 8 h. Visite à Clairmarais ; autel et abside anéantis. Retrouvé sept hosties sur 10. Les personnes pieuses ont demandé d’être communiées avec ces 7 hosties retrouvées. Ciboire écrasé sous le piédestal de la statue du Sacré-Cœur. Bombardement à partir de 2 h. Visite à Saint-Remi : un obus est entré par une fenêtre du chœur (Nord-Est à peu près) ; est tombé près du tombeau de Saint Remi, y a projeté des débris de maçon­nerie d’une arcature du triforium, sans faire aucun mal au tombeau. Bom­bes toute la soirée. Canons français de 10 h. à minuit. Bombes allemandes jusqu’à 4 h., sur l’abattoir où elles font une brèche à la maison du con­cierge ; le Café du XXe siècle a sa devanture brisée.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Jeudi 5 avril

Nos troupes ont continué à refouler l’ennemi sur le front de la Somme à l’Oise et l’ont rejeté au delà d’une position dominante très importante, jalonnée par les villages de Grugies, Urvillers, Moy, qui ont été enlevés brillamment par nos troupes.

Au nord de la ferme de la Folie, les Allemands, bousculés par une attaque irrésistible de nos soldats, ont lâché précipitamment trois lignes de tranchées précédées de réseaux de fils de fer en abandonnant des blessés, et un important matériel; trois obusiers de 150 et plusieurs camions d’escadrille sont tombés en notre possession.

Au sud de l’Ailette, aucun changement dans la situation.

Violente lutte d’artillerie dans la région de Margival et de Laffaux.

En Woëvre, nos pièces à longue portée ont pris sous leurs feux des détachements signalés en gare de Vigneulles.

Dans les Vosges, un avion allemand a été abattu par le tir de nos canons spéciaux.

Les Anglais ont infligé un échec aux Allemands à 1’ouest de Saint-Quentin.

Les Russes ont été refoulés sur le Stokhod par les Austro-Allemands.

Jusserand, ambassadeur de France, a été longuement acclamé par la foule à New-York.

Goremvkine, ancien premier ministre russe, qui avait été emprisonné, est devenu fou.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour