Louise Dény Pierson

19 avril 1917

Bazancourt

A Reims la vie continuait avec ses alertes et ses avatars, le train blindé revint le lendemain au même endroit. Entre deux tirs, les artilleurs venaient bavarder avec des civils qui regardaient la batterie depuis le passage à niveau.
Par leurs conversations, nous apprîmes qu’ils tiraient à 19 km sur la gare de Bazancourt, que le calibre des obus était de 340 et qu’ils pesaient près de 400 kg et étaient destinés à détruire les voies du triage de Bazancourt qui desservait quatre lignes de chemin de fer. Des aéroplanes allemands essayèrent à plusieurs reprises de venir jusqu’au dessus des pièces mais furent chassés par nos appareils qui veillaient à la sécurité de la batterie.

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

 Louis Guédet

Jeudi 19 avril 1917

950ème et 948ème jours de bataille et de bombardement

10h1/2 matin  Le temps a l’air de vouloir se remettre au beau ! Temps gris clair froid.

Bombardement toute la nuit avec gaz asphyxiants un peu partout, et notamment tout près d’ici au 8 et 10 de la rue du Jard, chez les Dames de l’Espérance.

Été à la Ville. On ne sait rien. Vu Paillet, commissaire central qui prétend que notre grande attaque est ratée et a fait long-feu, Houlon, Raïssac avec lequel je m’entends pour me débarrasser des valeurs pour la Caisse des Dépôts et Consignations à Épernay. Revenu avec Houlon qui retournait aux Hospices, en route je lui contais l’histoire des injures faites par Dupont aux abbés Camu, Haro et Griesbach. Quand j’ai fini il me rappela que je connaissais bien ce Dupont que nous avions vu aux allocations militaires cantonales. En effet c’est ce même Dupont que nous avions vu aux allocations militaires cantonales. En effet c’est ce même Dupont qui nous avait demandé il y a quelques mois de supprimer l’allocation militaire accordée à sa femme, sous prétexte que celle-ci se conduisait mal. Or enquête faite, on constate que cette femme avait une conduite irréprochable. Et qu’au contraire le joli Monsieur, le mari, avait une conduite déplorable et vivait avec une maîtresse ! Il avait voulu tout simplement nous faire retirer l’allocation à sa femme pour nous la faire reverser quelques temps après sur la tête de sa…  maîtresse !!! C’était parfait ! Vous voyez que ce citoyen a toutes les qualités requises pour faire le parfait embusqué qu’il est. Il est complet… Cela ne m’étonne plus, attendu le milieu d’embusqués dans lequel il vit à la Place.

Voilà comment la Place de Reims est gouvernée par un tas de fripouilles ! coureurs de cotillons et insulteurs de Prêtres : tout cela va bien ensemble.

1h  Nous sommes à la cave. A 11h20 3/4 obus dans les environs. Nous descendons, à midi nous remontons déjeuner. A midi 1/2 nouveaux obus, à peine notre déjeuner terminé, redescente à la cave où je finis mon café. Les obus tombent régulièrement vers le centre, Palais de Justice, Cathédrale, toutes les 5 minutes, et ce sont des gros. Et toujours le même aboiement. Quand donc n’entendrai-je plus ce martelage !

4h soir  A 2h1/2 nous remontons. Je vais aussitôt au Palais prendre mon courrier. Une lettre affolée de ma chère femme. Je vais à l’Hôtel de Ville remettre à Raïssac les 2 plis Valicourt et Giot pour la Caisse des Dépôts et Consignations à confier à Charles, notre receveur Municipal, s’il veut bien s’en charger. J’écris un mot à ma chère aimée pour la tranquilliser et la remonter un peu. Pourvu qu’elle ne tombe pas malade ! Son tourment pour Robert, pour moi et bientôt pour Jean m’effraie. Mon Dieu, ayez pitié d’elle et faites cesser ces épreuves, et que nous soyons tous sauvés bientôt, et réunis sains et saufs tous ! (Une bombe, il faut descendre). Je continue dans la cave.

Ma lettre écrite, je la confie à Houlon qui la donne pour que Charles la mette à la Poste à Épernay ou à Paris. Nous partons ensemble avec Houlon voir les dégâts faits à la Cathédrale. Il en est tombé 4/5 sur le côté sud, un obus devant la grande porte du Lion d’Or, faisant un trou énorme de 4/5 mètres de diamètre et autant de profondeur, les pavés sont pulvérisés. 3 ou 4 chez Boncourt, la maison est en miettes. Je quitte Houlon rue Hincmar où il continue vers les Hospices…  Je rentre fort impressionné. Il est temps que Dieu se montre et nous délivre. Le Cardinal a protesté auprès du Pape contre le bombardement de la Cathédrale d’avant-hier. Il ne risque rien de le faire avec la dernière énergie pour aujourd’hui encore. Ils visent à n’en pas douter les tours qu’ils veulent abattre.

Avec Houlon nous faisons la remarque qu’avec cette recrudescence de rage des allemands, le sentiment anticlérical haineux se faisait sentir aussi ici. Témoin l’affaire Dupont de l’autre jour. Tout à l’heure dans la grande salle d’attente de l’Hôtel de Ville, Charlier des allocations militaires relève de la belle manière Deseau, employé à l’État-civil qui, apprenant que la Cathédrale a été bombardée, se mit à dire : « Çà n’a pas d’importance que la Cathédrale soit démolie, je ne m’en inquiète pas plus que d’une… , mais c’est nous qui sommes à plaindre !! »…  Voilà bien la haine anticléricale et radicale. Tout périra plutôt que leurs idées, leur parti. C’est ignoble.

Les obus continuent à tomber vers notre pauvre Cathédrale. Arrêtez-les ces bandits, mon Dieu !! Épargnez-là, et qu’ils partent tout de suite.

8h10 soir  Nous sommes remontés de cave vers 5h1/2 du soir. J’ai dormi…  on dîne à 6h1/2 du soir, au cas où il faudrait descendre plus tôt…  La bataille fait rage jusqu’à maintenant. Cela parait ralentir. Il pleut. Je suis las, désemparé. Je ne vois aucune solution à notre situation. Serons-nous même dégagés cette fois-ci…

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

19 avril 1917 – Bombardement, au cours de la nuit, vers le boulevard de la Paix, les rues de Contrai et du Jard.

A partir de 11 h, bombardement de la cathédrale par obus de 305. De vingt à vingt-cinq de ces énormes projectiles sont tombés, dont plusieurs l’ont atteinte ; d’autres ont formé sur la place du Parvis des entonnoirs de dimensions effrayantes et inconnues de nous jusqu’alors — 6 à 7 mètres de diamètre et 2,50 m environ de profondeur. Il existe encore un de ces entonnoirs dans le jardinet du Palais de Justice, derrière les grilles de la place du Palais.

La tour nord de la cathédrale a été très fortement entamée à sa base et la voûte crevée, paraît-il.

— Aujourd’hui, j’ai pu réussir à me rendre à Épernay, afin d’aller rassurer ma famille à mon sujet. Supposant qu’elle avait dû s’alarmer beaucoup en apprenant les tristes nouvelles de ces temps derniers, dont j’ai eu soin cepen­dant de parler le moins possible, dans mes correspondances, mais qui sont colportées là-bas par les évacués de passage venant de Reims, j’avais pu m’organiser pour partir de la permanence de la Croix-Rouge, rue de Vesle 18, sur une voiture d’ambulance emme­nant des blessés civils, étendus sur des brancards.

Le voyage a été trop court mais n’en a pas moins procuré et fait ressentir à tous une grande joie, un véritable bonheur.

Parti à 11 h 1/2, j’étais rentré à 18 h sans encombre, car pour le retour — qu’il me fallait risquer sans le laissez-passer obligatoire de plus en plus rigoureusement exigé, mais que je n’avais pas demandé parce que je me le serais vu refuser — le chauffeur, près de qui je me tenais sur le siège, à l’aller, avait pris la précaution de m’enfermer dans son fourgon sanitaire, qu’il était censé ramener à vide, ainsi qu’il le faisait fréquemment. Il s’agissait simplement d’éviter surtout de me laisser voir aux gendarmes, postés de dis­tance en distance sur la route et j’éprouvais une certaine satisfac­tion, quand nous avions passé devant eux en vitesse, à voir leurs silhouettes s’éloigner, l’une après l’autre, lorsqu’il m’arrivait de jeter un coup d’œil rapide, par l’arrière du véhicule.

— L’Éclaireur de l’Est de ce jour fait connaître les noms des différents commerçants des quatre cantons de la ville, chez les­quels on peut s’approvisionner. Voici la copie de la liste, telle qu’elle est donnée :

Le ravitaillement de la ville.

Boulangeries

1er canton : Ast ; d’Hesse.
2e canton : Lejeune.
3e canton : Clogne, Cochain, Philippe, Schick, Lefevre, Lambin.
4e canton : Barré, Lalouette, Laurain..

Boucheries Charcuteries

1er canton :Taillette, Schrantz, boucherie chevaline, boucherie municipale (viande frigori­fiée). Charcuterie Dor, charcuterie Alsacienne.
2e canton : Gaston Taillet (Foisy).
3ecanton Wiart, Hamart, Blin aîné, Fourreur.

Pétrole – Essence

1er canton : Maroteaux& Camus (A. Betsch) Ravitaillement municipal, au local habituel ; nos conci­toyens n’ont plus à se faire délivrer de bons

Farine – Charbon : Ravitaillement municipal

Épiceries et Vins

Comptoirs français (succursales ouvertes)
1er canton : Maison Félix Tonet (gros) ; Maison Gouloumès ; Maison Burguerie (maison coloniale Fillot) ; Maison Garnier ; Succursale des Comptoirs français tenue par M. & Mme Darier, pour conserves, charcuterie, vin, œufs, de 8 h du matin à 6 h du soir ; Maison Desruelles ; Maison Boscher.

Lait

Darlin est toujours à Reims. Son vaillant personnel continue ses distributions le matin.

Beurre, œufs, fromages et cafés.

1er canton : Maison Jacques.

Charcuterie, Conserves.

1er canton : Maison Fouan.

Restaurants et débitants.

1er canton : Dricot, Café Jean, Mathias (Maison histori­que), Triquenot, Charles Barlois, Café Fernand, Daimand, La Tour-Eiffel, Wanlin, Café-restaurant parisien (Maison Gau­thier).
3e canton Café Ernest.

Papeteries

1er canton Mlle Eppe ; Maison Lepargneur (Pailloux) ; Mme Thomas, Mme Feuchères, M. Richard.

Tabac – Papeterie.

3e canton M1™ Lambin.
4e canton : Berlemont.

Tailleur et nouveautés

1er canton : Maison Barrachin.

Marchands des quatre-saisons.

1er canton : Mmes Fortin, Hulot, Olive-Desroches, Jésus, Lebeau, Guillaume, M. Schenten.

Coiffeurs.

1er canton : Florent.
3e canton : Couttin, Vesseron.

Parfumerie fine, produits photographi­ques et chimiques.

Piequet de la Royère.

Menuiserie (cercueils).

1er canton :  Fontaine.

Louage de voitures

1er canton : Varet.

Sur les quatre colonnes, recto et verso compris, du nouveau format du journal (20 x 30 environ), le communiqué en occupant une et demi, l’énumération reproduite ci-dessus à peu près autant, les 3/4 du reste étant tenus par des renseignements sur le fonc­tionnement actuel des services hospitaliers à Reims, l’emplacement accordé aux nouvelles proprement dites, est donc forcément restreint.

Encore, dans cet emplacement, la rubrique portant comme ti­tre en gros caractères : « Le bombardement« , a-t-elle été en grande partie censurée après le maintien de l’information suivante, si sim­plifiée qu’on aurait pu tout aussi bien la caviarder que le reste de l’article, sans nous priver le moins du monde : dans la nuit de mardi à mercredi, nombre important d’obus. Ceci ne nous a rien appris, en effet.

Après avoir lu, au recto, sous le titre « Regrets » : Nous avons le regret d’annoncer la mort de M. Mellet, puis au verso : « M. Lenoir à Reims » : M. Lenoir, député de Reims, est depuis trois jours dans notre ville et terminé par l’annonce suivante, venant après la liste des commerçants : La Grande pharmacie de Paris est ouverte tous les jours, de 8 h 1/2 à midi et de 2 à 5 h, nous avons épuisé toute la substance contenue le 19 avril 1917, dans L’Éclaireur de l’Est nouveau modèle, qui fait certainement ce qu’il peut, dans les cir­constances présentes, pour nous renseigner, malgré les difficultés.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 19 – Toute la nuit agitée autour de Reims. Entre minuit et 2 h. violent bombardement. Gaz asphyxiants rue du Jard et chez les Sœurs de l’Espérance. A 11 h. cinq obus tirés sur la Cathédrale ; de 12 à 1 h. 30, un grand nombre d’obus, un par cinq minutes ; tous ne touchent pas l’édifice, mais ceux qui ne la touchent pas tombent tout près, dans les ruines de l’ar­chevêché, dans les chantiers sur la place du parvis ; tous la visent évidem­ment ; une dizaine la frappent et la blessent très gravement. – 3e séance de bombardement de 3 h. à 4 h. La voûte de la plus haute nef est percée devant la chaire ; l’abside est atteinte. Notre maison est arrosée d’éclats d’obus, de pierres ; des pavés tombent dessus et dans le jardin. Le crucifix de l’autel de notre oratoire et un chandelier sont renversés (dans notre oratoire). Des arbres de la place du parvis sont déracinés par les obus lancés dans l’air et s’en vont, par dessus les maisons, retomber dans des rues assez éloignées. Les pavés et fragments de pierre lancés par les obus dans les airs, montent plus haut que les tours ; ils me semblaient atteindre la région du vol des hirondelles. Ail h., bombardement sur la ville. Lutte d’artillerie, à l’est et au nord de Reims, à Moronvillers et à Brimont.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Jeudi 19 avril

Les Allemands ont attaqué nos positions au sud de Saint-Quentin. Ils ont réussi à pénétrer dans nos éléments avancés, mais tous les occupants ont été ensuite tués ou capturés. Notre ligne est rétablie.

Entre Soissons et Auberive, notre action s’est poursuivie. Au nord de Chavonne, nous avons pris Ostel et rejeté l’ennemi à un kilomètre. Braye-en-Laonnois a été conquis ainsi que tout le terrain aux abords de Courtecon. L’ennemi s’est replié en désordre, abandonnant ses dépôts de vivres. Un seul de nos régiments a fait 300 prisonniers. Nous avons capturé 19 canons.

Au sud de Laffaux, nos troupes ont culbuté l’ennemi et pris Nanteuil-la-Fosse.

Sur la rive sud de l’Aisne, nous avons pris la tête de pont organisée entre Condé et Vailly, ainsi que cette dernière localité. Deux contre-attaques lancées par les Allemands ont été brisées par nos mitrailleuses.

A l’est de Courcy, la brigade russe a enlevé un ouvrage. Au total, nous avons capturé dans cette région, 27 canons, dont 3 de 150. En Champagne, nous avons pris 20 canons et 500 hommes. Le chiffre global des prisonniers est de 17.000, celui des canons déjà dénombrés de 75. Les Anglais ont progressé vers Fampoux.

Une crise gouvernementale a éclaté à Vienne.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour