Louis Guédet

Samedi 24 février 1917

896ème et 894ème jours de bataille et de bombardement

7h3/4 soir  Temps brumeux sans pluie. Le calme jusqu’à maintenant, mais depuis 7 heures moins 20 de vraies marmites de 5 minutes en 5 minutes, assez proches, en avant de nous vers le quartier du Barbâtre. Gare cette nuit, il y avait trop longtemps que nous étions tranquilles. Je souhaite que ce ne soit qu’une alerte car ma fidèle domestique est toujours souffrante, mais rien de grave, le médecin l’a vue ce matin (Dr Hoël (dont la fille Elisabeth avait épousé Jean-Louis Langlet, le fils du Maire de Reims)) et il a pensé que lundi elle pourra être sur pied, mais en attendant j’aimerais mieux que nous ne soyons pas obligés de descendre à la cave, pour elle et…  aussi un peu pour moi.

C’est extraordinaire l’impression pénible qu’on ressent dès qu’on entend siffler tout proche un obus, surtout la nuit, on est comme anéanti, annihilé. On attend la mort et on l’entend siffler. C’est douloureux et dans ces secondes on ne sait le monde de pensées qui vous assaillent nettement, clairement !

Les nôtres répondent, gare la mauvaise nuit.

8h05  Voilà les salves des nôtres qui commencent. Pourvu que la réponse ne soit pas de notre côté. J’ai donc perdu toute ma matinée avec cette pauvre Adèle. Enfin elle va mieux c’est le principal. J’ai déjà assez de soucis sans ajouter celui de mon service. J’ai déjà aussi si peu de temps pour arriver à ma tâche. Il est vrai que j’ai deux braves et bons secours de plus dans Jacques et Lise, mais ils ne sont pas à ma solde, mais à celui de Mme Mareschal qui me fait déjà l’aumône de son toit.

Après-midi sorti faire des courses, porter mon courrier et en passant rue de l’Étape devant le Casino j’aperçois une bande d’officiers plus guindés les uns que les autres, plus pommadés aussi et sur le seuil 2 soldats du 118ème Territorial, baïonnette au canon. Je puis à peine franchir cette foule galonnée qui est chez elle, et non moi, citoyen libre de Reims martyr. Je m’enquière et j’apprends que ces Messieurs donnent une après-midi de gala pour eux et leurs…  femelles ! actrices de choix, électricité à profusion, moi que ne connait plus ici cette lumière-là !! Bref, c’est choquant, c’est honteux ! et tous ceux à qui j’en ai parlé, ainsi qu’à l’Hôtel de Ville en sont outrés. Nous souffleter ainsi de cette veulerie, de cette fête de mauvais aloi, nous qui sommes dans les ruines, le sang, les larmes, le feu, le fer, les angoisses des bombardements comme en ce moment. Venir faire la fête, la noce, l’orgie en centre de la Ville ! C’est ignoble. Oh ! Messieurs les officiers, vous ne savez pas les rancunes et les rancœurs que vous accumulez dans le cœur de nos ouvriers, de nos habitants qui souffrent le martyr depuis 2 ans1/2 ! Ce sera terrible le retour après la Guerre et même la délivrance de Reims. Je crois que vous ferez bien de ne plus montrer vos galons !! Néanmoins, j’en avais les larmes aux yeux et la rage au cœur en voyant cela, je sentais le soufflet lancé à la face de tous les Rémois… (Rayé) que pendant (rayé) faire tâche pour cette (rayé) là. Comment avec ces gens-là pouvons-nous, après la victoire…  la délivrance ! même !

8h20  Allons ! bon ! voilà les torpilles qui s’en mêlent. En tout cas pour une marmite que nous envoie les allemands, les nôtres répondent par une salve de 8/10…  Qu’est-ce que tout cela peut bien préparer. Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! douze en salve, et allez-y donc !! Les nôtres y vont de bon cœur !! De l’autre côté on parait ne vouloir plus répondre, ni continuer la conversation ! Nous verrons cela ! Je crois que notre nuit va être fort compromise. Et cependant je dormirais si bien ! Après ma journée qui a été plutôt fatigante !… Ce sont des torpilles maintenant ! Il me faut pourtant essayer de me reposer, je suis fatigué, exténué. Quelle misérable vie que la mienne ! et toujours seul, abandonné de tous, loin de tous ceux que j’aime et qui ne s’en doutent pas ! Ils ne sauront jamais ce que j’ai souffert pour eux.

Vu M. et Mme Becker qui m’ont dit qu’ils retourneraient à Fontainebleau vers le 15 mars et qu’ils verraient mon Jean. On me demandait tout à l’heure qui visait l’article du Courrier de la Champagne d’il y a quelques jours « Suspect ». C’est de Chapuis fils qui va tous les mois voir sa femme malade à Leysin (Suisse). Tout de suite nos galonnards et embusqués qui nous gouvernent ont trouvé là une affaire d’espionnage. Bref on a filé mon Chapuis et on l’a même appelé ici à la Division. Ces gens-là, à force de ridicule deviennent grotesques. Bien entendu Girardot et Lallier étaient à la tête du mouvement ! Il ne manquait plus que Colas cet âne pour faire le brelan ! de cuistres ! avec Delautel en serre-file ! il parait que Chapuis l’a…  en…  enguirlandé dans les grands prix !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Samedi 24 – Idem. Soir : de 7 h. 1/2 à 8 h. 1/2 violente canonnade française et riposte allemande (pas bombes sifflantes) jusqu’à minuit. Je n’ai entendu siffler les bombes allemandes qu’entre 7 h. et 8 h. S’il y en a eu après, elles allaient tomber au loin.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Samedi 24 février

Lutte d’artillerie en Lorraine et en Alsace.

En Champagne, nos tirs d’artillerie ont allumé un important incendie dans les lignes allemandes, près de la Butte-du-Mesnil. Nous avons repoussé deux coups de mains de l’ennemi, l’un à l’est de Soissons, l’autre près de Bezonvaux. Nous avons réussi deux coups de main sur la Meuse.

Les Anglais ont amélioré leur position, au nord de Gueudecourt, en s’emparant d’un élément de tranchée, d’un mortier de tranchée et de plus de 30 prisonniers. Une avance a été également réalisée au sud du Petit-Miraumont, où un poste ennemi a été occupé.

Nos alliés ont exécuté avec succès un coup de main au sud-est de Souchez. Les Allemands ont eu des morts. Des raids ennemis ont été repoussés au sud d’Armentières et vers le bois de Ploegstaert. Ceux des assaillants qui avaient réussi à atteindre les tranchées britanniques ont été tués ou capturés. Activité de l’artillerie allemande vers la Somme au sud d’Arras.

Sur le front italien comme sur le front russe, simples opérations de détail.

Un paquebot, l’Athos, a été coulé en Méditerranée. 1450 passagers ont été sauvés.

M. Lloyd George annonce aux Communes anglaises d’importantes restrictions aux entrées de marchandises.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Gueudecourt