Louis Guédet

Lundi 8 novembre 1915

422ème et 420ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Calme, grand calme, journée grise humide de brouillard tombant. Quelque rendez-vous. Journée fastidieuse. Fait mon courrier,  dont je ne vois jamais la fin. Demain après-midi mon audience de simple Police, à quelle heure rentrerai-je ? J’en ai pour longtemps.

Les journaux ne donnent rien, ne disent rien et surtout ne sont guère encourageants pour l‘avenir. C’est à se demander si on arrivera à une solution heureuse ou si nous n’en n’avons pas encore pour de longs mois. On me disait tout à l’heure qu’on venait encore de démonter la cavalerie et de l’envoyer dans les tranchées, c’est l’abandon de tous les espoirs d’offensive pour tout l’hiver ou le printemps. Tout cela est fort triste. En résumé, c’est l’écrasement de cet héroïque petit peuple. Notre diplomatie a été en-dessous de tout et nos armées ont l’air de prendre le même chemin. De quelque côté que l’on se retourne, c’est l’abîme, l’impasse sans une lueur d’espoir.

Les pages suivantes ont été supprimées. Les journées des 9, 11 et partiellement le 12 novembre ont été recopiées sur un feuillet de format 20cm x 15 cm, très vraisemblablement par son épouse Madeleine Guédet.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

Nuit tout à fait tranquille. Visite aux Caves Georges Goulet et de Bary, aux 750 soldats y cantonnés. Distribution de médailles.Visite de M. Serge Bosset, rédacteur au Figaro ; Envoyé Spécial du Petit Parisien qui à genoux a baisé mon anneau et nous avait photographiés hier en pas­sant sur la place du Parvis.

Ordination d’un diacre : Raphaël K. de Lille. Visite d’un Major et d’un aumônier militaire. Visite du Général de Mondésir. 100 soldats condam­nés par mois au Conseil de Guerre, pour ivresse et inconduite avec les fem­mes(1). Tous les Colonels et lui sont contents de partir. Il y a longtemps qu’il jugeait les choses malsaines. C’est de Castelnau qui l’a prescrit (?). Quand les soldats restent trop longtemps dans la même ville, ils connaissent tous les lieux où l’on vend en contrebande de l’absinthe, et où il y a des femmes perdues. Le bruit a couru parmi les soldats que c’était moi qui les faisais partir : je n’y étais pour rien.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

(1) La situation particulière de Reims, ville habitée dans la zone des combats, où se côtoient civils et militaires, où les débits de boissons plus ou moins clandestins et les prostituées plus ou moins officielles devaient être très nombreux, posait au Commandement des problèmes quotidiens de maintien de la discipline. L’ivresse et l’inconduite étaient par ailleurs des désordres beaucoup moins graves que les pillages et la diffusion de fausses nouvelles, sans parler de l’espionnage.

Lutte d’engins de tranchée particulièrement active en Belgique (Hetsas, Boesinghe).
En Artois, entre Somme et Oise, et en Champagne, de violents combats d’artillerie ont eu lieu, spécialement dans les secteurs de Givenchy, de Beuvraignes et de Tahure.
Une attaque à la grenade tentée par les Allemands contre nos positions à l’est de la butte de Mesnil a été repoussée.
Une de nos mines à détruit, à la cote 235, en Argonne, une sape allemande dans laquelle l’ennemi était en plein travail.
Combats dans les Vosges, à la Chapelotte. Tir très efficace de notre artillerie.
Des taubes ont jeté huit bombes sur la région de Dunkerque. Un enfant a été blessé.
Sur le front de Macédoine et de Bulgarie nous avons progressé du côté de Rabrovo puis consolidé nos positions. De nouvelles attaques ont été repoussées à Krivolak.
Les Russes ont capturé 8500 Austro-Allemands en Galicie (Strypa) et 700 autres en Volhynie.
Le roi Constantin de Grèce a constitué son cabinet. Le nouveau président du Conseil, M. Skouloudis, groupe autour de lui les anciens collègues de M. Zaïmis. Le roi renonce à dissoudre la Chambre, pourvu que M. Skouloudis y trouv
e une majorité.

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