Louis Guédet

Mercredi 19 mai 1915 

249ème et 247ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Toujours le calme… effrayant. Temps couvert avec pluie. Ce matin, commission des allocations militaires. Les journaux ne disent toujours pas grand-chose. L’Italie se tâte toujours. Et je me demande même que si elle jette son épée dans la balance si cela fera avancer beaucoup les événements et notre délivrance ! J’en doute, au train où cela marche…

La demi-page suivante a été découpée.

L’après-midi, monté jusqu’à la Place rue Dallier pour demander si l’on m’octroierait un laissez-passer pour ma pauvre femme. J’obtiens tout ce que je veux et même si je voudrais même la lune. Samedi avant de partir j’aurai un laissez-passer pour elle, sauf à ne pas m’en servir. De la rue de l’Union Foncière je vais pour dire à Luton ce que j’avais obtenu de Lallier de faire pour sa permission de 8 jours à travers les mailles de cette vieille ganache de Cassagnade… (trois points)

Causé avec un capitaine des G.V.C. (Garde des Voies de Communication), Melon, un de mes vieux pensionnaires, mystification d’un brave maréchal des logis de Gendarmerie à qui je reprochais que dans cette rue déserte de l’Union Foncière de ne rencontrer que des gendarmes que s’en était fourni ! Haut-le-corps du brave…   Porte-baudrier ! qui crie au capitaine Melon qui pissait dans un coin : « Mon capitaine, qu’est-ce que ce civil me dit ? » – « Je vous le recommande !! et ne le lâchez pas !… » Alors moi de répliquer : « Mon brave gendarme, je le regretterais pour vous, car si vous avez votre testament à faire ce serait impossible car je suis le seul notaire resté ici à Reims, et l’oiseau rare que vous coffriez par vous serait dans l’impossibilité de vous rendre ce service. » Tête du Caporal qui après tout ne peut s’empêcher de rire quand il répondit devant lui : « Ah ! Môssieur le Notaire ! Vous me la paierez celle-là ! Si jamais je vous pince après 21h du soir dans mes parages vous n’y couperez pas !! »

Entendu mon cher, Marché ! je serais enchanté que vous me procuriez un abri, car comme ma maison est brûlée, je dois vous avouer que je couche sous les ponts depuis 2 mois 1/2 et coucher sous un toit, même celui du bloc ce serait pour moi une nouveauté et un délice tout notaire que je suis, doublé de votre juge de Paix pour tout le territoire de Reims !

Le pauvre gendarme doit être encore figé dans sa rectification de position militairement. « Oh pardon Monsieur le Juge ! Je ne savais pas que c’était vous Monsieur Guédet, le notaire !! »

Je m’en fus moi dormir pas plus fixé pour cela, mais une chose m’inquiète : « Est-ce que mon gendarme est encore figé dans sa rectification de position…  militaire, scrogneugneu ! devant la porte de son cantonnement ? J’espère que non !

Je poussai jusqu’à la Poste au Pont de Muire pour demander si mon courrier me subirait pas une nouvelle quarantaine en le faisant renvoyer d’ici à St Martin. On m’affirme que non si je donne l’ordre de le renvoyer à St Martin du 23 au 31.

Rentré chez moi fatigué. Je me mets à ma correspondance que je déblaie et mets au point. Il est 7h. Je dîne et j’écris ensuite ces lignes. 9h1/2 calme plat, pas un obus, pas un coup de canon. Tâchons de dormir si les allemands le permettent. Dans mes lettres reçues une charmante de Madame Schoen – toute de cœur – elle a vu les de Vroïl et a été très touchée par leur affection pour moi, et de leur odyssée à Rocquincourt, Courcy à quelques kilomètres d’ici où ils n’ont pu reprocher quoique ce soit aux allemands, chose qui surprenait au possible cette bonne Madame Schoen !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Aujourd’hui, pas un sifflement, pas un coup de canon.

Le calme singulier qui règne sur la ville depuis plusieurs jours et plusieurs nuits, donne lieu aux suppositions les plus bizarres. Il est de nos concitoyens qui ne sont pas éloignés de croire que les Allemands ont pu modifier leurs positions et sont partis des hauteurs qu’ils occupaient depuis si longtemps devant Reims. D’autres moins crédules, ne prennent pas leurs désirs pour des réalités ; ils s’attendent encore à percevoir à tout moment, les sifflements de nouveaux obus et certains mêmes, ne se décident pas à dormir ailleurs que dans les caves.

Ce calme dont on ne peut jouir pleinement, permet tout de même de passer de meilleurs nuits, après une période de huit mois vécue le plus souvent, en ne dormant que d’un œil ou pas du tout.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Mercredi 19 – Nuit et matinée silencieuses.

Visite à M. Grandremy de Balan.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173