Abbé Rémi Thinot

4  DECEMBRE – vendredi –

Nuit… d’un calme tout-à-fait déconcertant. Le calme nous inquiète maintenant… Que va-t-il se passer ?

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Vendredi 4 décembre 1914

83ème et 81ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Nuit absolument calme. Canon chez nous et rien de l’ennemi. C’est étrange ! Cela devient inquiétant, pourvu que ce ne soit pas encore un ouragan de feu et de fer qu’il nous prépare, et que ce soit plutôt sa fuite, notre délivrance ! Notre liberté !

9h1/2 soir  Tout est calme. Je suis allé ce matin à la Caisse d’Épargne, de moins en moins de monde. Signé à la Mairie des certificats de vie. L’après-midi, rendu ma visite à S.E. le Cardinal Luçon. Très courageux, très bon, très aimable pour moi. Comme tout le monde il trouve l’épreuve longue ! Rentré chez moi, écrit à ma chère femme, au Conseiller A. Renard, porté à l’Hôtel du Nord ces 2 lettres. Là j’apprends que l’Union des Eaux de Reims a été atteinte par 3 obus cet après-midi. Allons, nous manquer d’eau ?!! Le Directeur me dit que non !! Rentré dîner, remonté à 8h où j’écris au docteur Guelliot en me laissant aller un peu à lui conter mes souffrances, celles de la Ville, nos sueurs, les heures douloureuses et tragiques de la mort de mon ami Maurice Mareschal et cette scène inoubliable et poignante de notre course à pied par un temps gris et maussade à 4h1/2 du soir, au jour tombant, avec Jacques Wagener, le chauffeur si dévoué de Maurice et moi derrière le fourgon qui amenait mon pauvre ami au Cimetière du Nord à sa dernière demeure, et tous deux agenouillés au bord de la tombe béante, et aussitôt ensuite au travail des fossoyeurs au bruit du canon, sous le sifflement des bombes et l’éclatement des obus à quelques centaines de mètres de nous. C’était un vrai tableau digne de la plume d’un Victor Hugo ou d’un Edgar Poe.

Toujours le calme ! pas de canon ! mais un vent de tempête terrible. Dormirons-nous tranquille ce soir ? Malgré les objurgations d’Adèle je couche dans ma chambre. La cave ne me dit rien. Adèle n’est pas contente, pas rassurée, ce que je m’en moque !! Elle m’est bien dévouée quand même la pauvre fille.

Quand donc pourrons-nous reprendre notre vie normale ? Et enfin revoir tous mes aimés et nous retrouver tous réunis ici reprendre nos habitudes, nos ennuis journaliers, nos joies…  enfin revivre une vie un peu humaine et surtout moins douloureuse, moins misérable que celle que je mène depuis 3 mois, oui il y a 3 mois jour pour jour que Reims a été bombardé pour la première fois par erreur ! Le 4 septembre, et depuis combien ai-je entendu d’obus siffler, éclater, broyer, briser, incendier !…  si seulement c’était fini, bien fini, et qu’ils partent, qu’ils soient partis et qu’enfin nous puissions…  …respirer et nous revoir tous.

Lettre de Louis Guédet au Docteur Guelliot

Entête : Louis Guédet – Notaire à Reims – Rue de Talleyrand, 37 – Téléphone 211

Reims, le 4 décembre 1914

Mention en travers de l’entête : « Garder un brouillon »

Mon cher Docteur,

J’ai bien reçu vos deux lettres du 1er décembre 1914.J’en prends bonne note et aviserai pour le mieux : je dis cela : j’aviserai… car je ne sais pas, mais il se passe quelques chose d’anormal à Reims et aux environs : voilà 3 jours et 3 nuits que nous sommes à peu près tranquilles.

Depuis la tempête de la semaine précédente – et je vous l’avoue, (oh ! en tremblant presque !) que je me reprends à espérer entendre sonner l’heure de la Délivrance !!! – bientôt !! Aux croyants : Dieu m’entende !! mon cher Docteur, jamais on ne saura ce que nous avons subi, souffert !! Mais malgré moi, je ne sais. J’espère que nous nous reverrons bientôt !! et c’est pourquoi je vous dis : j’aviserai pour le même ! – et j’ajoute vous pouvez compter sur moi – vous le savez du reste. J’ai écrit tout à l’heure à votre beau-père et lui disais que je vous écrirais incessamment, or comme les allemands sont silencieux, je me suis lancé à vous écrire = il est neuf heures du soir = pourvu qu’ils ne me coupent pas une phrase ou un mot en deux pour m’obliger à descendre à la cave !! Je ne compte plus les fois que pareille chose m’est arrivée ! c’était pas que tous les jours ! M. Lamy, notre trésorier de l’académie est mort lundi dernier après une longue agonie ! J’en ai averti M. Jadart.

Oui, mon cher Docteur, vous qui savez ce que c’est que souffrir. J’ai souffert beaucoup de la mort de mon ami Maurice Mareschal, qui a été littéralement fauché par un obus avec Salaire et deux autres officiers, sans compter les blessés parmi lesquels M. Barillet (jambe broyée), le 22 novembre 1914 à 8h1/2 du soir, avenue de Paris, au moment où, sortant de leur « popote », ils retournaient à Mencière.

Je n’en suis pas encore remis – c’était un ami de la première heure et ceux-là ont ne les oublie jamais ! De plus sa mort m’impose un nouveau devoir, promis de longue date, celui de veiller et sur sa veuve et sur ses 2 enfants. Je n’y faillirai pas ! Mais quel déchirement ! Le revoir exsangue – broyé – ensuite les obsèques et la course derrière le fourgon le ramenant au cimetière du Nord près des siens – au son du canon et sous le sifflement des obus ! puis seul avec son chauffeur tant dévoué, personne d’autre, devant la fosse béante et les obus éclatant à quelques centaines de mètres de là !! Assister au travail des fossoyeurs ! Ce sont des heures tragiques d’horreur, de tristesse poignante qu’on n’oublie jamais. C’est digne de la plume d’un Victor Hugo ou d’un Edgar Poe ! –

Pardon ! mais je sais que vous me comprendrez !

Je suis encore indemne homme et maison mais la rue de Talleyrand en a reçu la semaine dernière !! Reims devient un monceau de Ruines ! Reims Meurt ! agonise ! Savez-vous combien de maisons sont encore habitées rue de Talleyrand, actuellement – 5 ou 6 – et 2 seulement gardées pour les meubles, et de maisons nous sommes 2 : Cahen, du Petit Paris, et moi. Toute la ville est à l’avenant, vous voyez déjà la… Nécropole ! moins le gigantisme ce sont les ruines d’Angkor. Tout le reste est fermé, abandonné.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

4 décembre – Nuit passée dans le calme.
Détonations terribles toute la journée. Bombardement après-midi et le soir.

– D’une lettre insérée dans Le Courrier de ce jour, sous le titre :

Non, Reims n’est pas un nid d’espions, nous extrayons ceci :

Je suis surpris que dans votre courageuse campagne contre les écarts de plume de la presse parisienne, vous n’ayez pas songé encore à protester contre les allégations de vos grands confrères relatives à l’espionnage rémois. A en croire ces messieurs, Reims serait un nid d’espions, et ce serait la faute de concitoyens indésirables si notre ville n’a pu encore être libérée de l’étreinte des canons allemands.

Certes, il y a lieu de penser qu’à Reims comme partout en France, les Allemands se sont assuré des intelligences sur place, et qu’ils ont dû profiter de leur courte occupation de notre ville pour renforcer et rafraîchi leur service d’indicateurs

……………………………………..

Du reste l’espionnage qui a été traqué à Reims de la manière qu’on sait, ne doit plus y être chose facile. Pour être utile à l’ennemi, l’indicateur doit :

  1. savoir quels renseignements celui-ci désire ;

  2. pouvoir se procurer ces renseignements ;

  3. pouvoir les communiquer aux Allemands.

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Parmi les Rémois qui restent à Reims, il en est certainement de peu intéressants ; il y a notamment de jeunes vagabonds qu’on verrait plus volontiers dans les tranchées que sur nos boulevards. Ils sont ce qu’ils sont ! Mais parmi ceux-ci, existe-t-il seulement un traître ? Oui, trouverait-on parmi eux un seul individu assez infâme pour vendre sa ville en même temps que sa patrie, et assez lâche pour coopérer contre argent à la destruction systématique de sa cité, à l’assassinat journalier de ses voisins, de ses amis, de ses proches ? Oh ! si ce Judas existait, il n’y aurait pas de châtiment assez rigoureux à lui infliger, ni d’épithète assez flétrissante à accoler à son nom.

Mais je ne puis pas croire qu’il y ait de Bazaine parmi nous. L’espion doit être plutôt recherché dans les éléments cosmopolites de la population et particulièrement dans le monde des femmes que nous avons vu alternativement faire la cour aux soldats français, puis aux Allemands et de nouveau aux nôtres.

C’est dans ce monde interlope, du moins je le pense, qu’il faut chercher des brebis galeuses, beaucoup plus qu’au sein de la patriotique population de Reims.

Un de vos lecteurs dévoués.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Espion fusillé aux environs de Reims (photo de presse : Agence Meurisse) Gallica-BNF
Espion fusillé aux environs de Reims (photo de presse : Agence Meurisse) Gallica-BNF

Cardinal Luçon

Vendredi 4 – Messe à la Chapelle du Couchant à 7 h 1/2. Bombes à 10 h. Bombes à 3 h. Visite au Dr. d’Halluin. Nuit tranquille. Coups au loin.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

4/12 Vendredi – Ste Barbe, fête des Artilleurs.

Jour auquel la Ville de Reims se souviendra car, dès 8 h du matin on a eu à supporter un terrible bombardement, à 3 h du soir, plusieurs incendies en ville, au Port sec et rue Pasteur, et c’est sans doute pas tout. La conduite d’eau entre sans doute à souffrir car à 3 h du soir, plus d’eau. C’es assez triste, ni eau, ni gaz. Enfin, vers 4 h du soir, calme relatif à7 h 1/2 quand j’écris ces lignes, le calme est complet à part quelques coups de canon des place françaises.

Nuit tranquille. Nombreuses victimes du bombardement et tous les journaux locaux ne donnent pas le nombre.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy


Octave Forsant

Vendredi 4. —Les journalistes des pays neutres sont venus à Reims, aujourd’hui. Leur visite a été rapide. Mais, vers trois heures, la caravane a été saluée par un certain nombre d’obus : à quatre heures, comme ces messieurs filaient de toute la vitesse de leurs autos sur la route d’Épernay, le bombardement faisait encore rage et la rue des Créneaux flambait. Ils ont certaine­ment dû emporter un bon souvenir des procédés de la « Kultur. »

Source 1 : Wikisource.org