Abbé Rémi Thinot
4 OCTOBRE – dimanche –
Rencontré M. Deneux, architecte du Gouvernement, .Quel homme intéressant sur la cathédrale !
Il a été là des années, élève de M. Thiérot[1] ; il voudrait être intéressé à la réfection du monument. Il a la compétence, en tous cas ! Il convient que Margotin est un ignorant en l’espèce, doublé d’une moule…
Et ! Et ! décidément, il faudra que j’aille me présenter à la Mairie ; je n’avais pas compris jusqu’ici que l’avis publié concernant les réformés me touchait. Voilà que je vais connaître la capote pour la première fois et la guerre sous l’uniforme après l’avoir connue sous la soutane… et vue de bien près « dans le civil ». Attendons !
[1] Édouard Thierot, l’architecte diocésain chargé de la cathédrale et professeur à l’École régionale des Arts industriels
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Louis Guédet
Dimanche 4 octobre 1914
23ème et 21ème jours de bataille et de bombardement
9h1/2 matin Vers 2h du matin, comme d’habitude canonnade et fusillade. Ce matin rien, temps chaud, de la pluie probablement.
Je suis toujours aussi abattu, découragé. Voilà déjà un mois que nous sommes sous les bombes ennemies et sous leurs canons. Il n’y a pas de raison pour que cela cesse. Alors, à quoi bon espérer la délivrance, espérer à revoir les siens ! sans nouvelles de qui que ce soit on ne peut que s’éteindre de chagrin et de douleur. Mon courage est brisé, je n’ai plus de ressorts, mes nerfs sont en coton. Je n’ai même plus la force de vouloir, d’entreprendre, de faire quelque chose. C’est de trop, on n’en peut plus, ma tête… Chagrin, tortures morales, inquiétudes, tout, tout m’accable. Souffrir continuellement, et voilà 20 ans que cela dure ! Non. Je n’en puis plus, ma tête se vide !
9h soir On m’apprend que René Tricot a été récemment blessé sous Verdun, mais légèrement, ainsi que l’abbé Borne. Le capitaine Gelly (Jean Gelly, officier, 1888-1970, époux de Marguerite Soullié 1891-1967), gendre de M. Soullié (Alexandre Soullié 1858-1924), a reçu un éclat d’obus à la poitrine, on ignore si c’est grave. Lucien Masson est ici depuis quelques jours et a dit à M. Bataille que St Martin n’aurait nullement souffert, on ne s’y est pas battu, et il n’a vu aucun toit déformé. Il n’a malheureusement pas songé à voir mon pauvre Père. Pourvu qu’il vive encore.
4h1/2 En portant des lettres à la Poste de la rue Libergier j’apprends par le fils Francis Lefort (1880-1950, notaire) que Montaudon (Albert Montaudon, 1880-1916, notaire, mort au champ d’honneur le 27 janvier 1916 à Neuville St Vaast) a été blessé au bras à Pontavert. Le fils d’Henri Collet (1861-1945), Robert (né en 1893), est blessé depuis un mois et est à Saumur. Ses parents viennent de l’apprendre seulement, ils vont aller le rejoindre. L’abbé Camu que je rencontre me prie de tâcher de l’informer de la santé de son neveu André Charpentier, soldat au 106ème de ligne, blessé à Longuyon le 29 août 1914 (André Charpentier, né en 1885, est mort aux Éparges(55) le 5 avril 1915). Je m’en occuperai. Visite de M. et Mme Fréville que je reçois dans ma chambre, ils venaient me remercier de leur avoir fourni l’hospitalité le 24 septembre pendant le bombardement de ce jour. On papote et ensuite M. Fréville me parle d’un article de M. Albert de Mun, paru dans l’Écho de Paris du vendredi 2 octobre 1914, dans lequel celui-ci disait qu’on avait trouvé dans la tour Nord de la Cathédrale de Reims, après le départ des allemands, des bidons de pétrole dont les allemands avaient l’intention de se servir pour mettre le feu à cette tour et à la Cathédrale. Et comme il savait que j’étais monté le 13 septembre à 8h du matin avec l’abbé Dage et Ronné, peintre, 87, rue de Merfy, sauveteur envoyé par le Maire de Reims pour arborer le drapeau tricolore en haut de cette tour Nord, il me demandait ce que j’avais vu et trouvé là-haut : Je suis répondis ce que j’avais écrit le 19 septembre dans ces notes et vu là-haut.
En arrivant seul et le premier sur la dernière plateforme de cette tour, à laquelle on accède par l’escalier à jour qui y conduit, je vis :
1° l’échelle qui permet d’accéder, de grimper à la plateforme en bois qui dépasse les rebords en pierre de la tour, en sorte que la plateforme de la tour proprement dite est comme dans un puisard.
2° à droite de cette échelle, fixé à un des montants (des pieds), qui soutiennent la plateforme en bois une espèce de cadre en bois qui m’a semblé avoir servi à fixer un appareil téléphonique. Un fil descendait extérieurement le long de la tour, on le voit encore côté Est, et 2 fils jaunes montaient le long de ce montant en bois jusqu’à la balustrade sud de la plateforme en bois, et quand je fus monté en haut de celle-ci, je vis, attaché à une douille en cuivre, une lampe avec une ampoule électrique Mazda 2.H-16Bg 220v que je détachais et mis dans ma poche. Je l’ai ici.
3° et derrière l’échelle, sous la plateforme 3 bidons (carrés et longs) de pétrole (2 gros de 10 litres et 1 petit de 5 litres), ils étaient tous trois pleins et l’autre à demi-plein. Je montais seul le premier sur la dernière plateforme, et mes 2 compagnons vinrent me rejoindre quelques instants après. Nous enlevâmes le drapeau blanc et le drapeau de la Croix-Rouge, et fixâmes notre Drapeau tricolore. Sur cette plateforme il y avait 2 mortiers (planches épaisses de 3 centimètres), une caisse de Chocolat Menier vide, couchée sur le côté, dans laquelle les allemands avaient mis des cailloux pour la rendre plus stable et pouvoir monter dessus pour faire leurs signaux de veille, et une chaise paillée, prise sans doute dans la nef de la Cathédrale.
Quand nous eûmes fini notre travail, nous redescendîmes par l’échelle sur la plateforme de pierre. Je rédigeais là mon procès-verbal constatant l’heure du déploiement de nos couleurs et le fit signer par Ronné et l’abbé Dage, puis je le signais moi-même. Nous nous disposâmes ensuite à descendre définitivement. Je pris mon ballot de drapeaux et la chaise que j’avais descendue de la plateforme en bois. Ronné pris les 2 grands bidons de pétrole et l’abbé Dage le troisième bidon. Ronné a du déposer ces bidons à la Mairie. Nous laissons le balai en forme de tête de loup brisée qui avait servi de hampe au drapeau blanc, hissé sur l’ordre des saxons qui étaient à l’Hôtel de Ville le 4 septembre pour faire cesser le bombardement par les Prussiens (Garde Royale prussienne) qui tiraient surtout des Mesneux.
J’abandonnais ma chaise sur la plateforme où on retrouve la voute cimentée qui surplombe la Grande Rose et raccorde les 2 tours de la façade Nord et Sud.
Voilà ce qu’il y a de vrai au sujet de cette histoire de pétrole. Les Allemands avaient-ils prémédité l’incendie de la Cathédrale ? N’avaient-ils pas eu le temps d’apporter plus de pétrole ? mais s’ils avaient eu cette pensée, les 3 (trois) bidons auraient largement suffis. Ce point restant toujours obscur, car les allemands auront intérêt à nier cette pensée, et ce dépôt de 3 bidons pleins abandonnés là sans raison plausible si ce n’est une, or un obus pouvait très bien mettre le feu aux bidons, le pétrole enflammer la plateforme en bois et couler par le trou de la clef de voute de la dernière plateforme en pierre. De là il coulait enflammé, et embrasait le plancher de la première plateforme et de là allait lécher l’échafaudage qui communiquait le feu à la toiture. C’est ce qui est arrivé, d’une autre manière, par les bombes incendiaires lancées le 19.
En tout cas, ils ont contre eux le fait de ces 3 bidons de pétrole abandonnés par eux dans la tour Nord de la Cathédrale, et que nous avons retrouvés le 13 septembre à 8h du matin. Ceci c’est de l’Histoire. Pourquoi aussi tiraient-ils surtout sur la tour Nord le 19, qui est la plus flagellée ? Celle du Sud n’a rien, et c’est surtout le côté Nord de la Cathédrale et ses alentours nord qui ont reçu le plus d’obus. Il y avait là l’échafaudage que flanquait la tour Nord, et… … les fameux bidons de pétrole trouvés par moi, singulières coïncidences ! Singuliers rapprochements ! Singulières constatations ! Qui me laissent fort rêveur ! et… fort sceptique sur l’innocence de Messieurs les allemands et sur leur préméditation.
5h1/2 soir Le canon a tonné très fort, au loin vers Berry-au-Bac et plus loin.
7h50 Calme complet. La journée a été fort tranquille. Les habitants se promenaient comme au bon temps de dimanche après-midi. Il ne manquait plus que la musique au kiosque des promenades. Non aujourd’hui la foule se portait vers le quartier de La Haubette, et comme depuis nombre de jours (3 semaines), l’avenue de Paris était noire de monde. On descend le matin là (je l’ai déjà dit) et le soir on remonte se coucher dans les quartiers exposés. Ce flux et reflux de peuple est fort curieux, et me rappelle, dans un autre ordre d’idée, le départ par le train du matin des pêcheurs pour Guignicourt et leur retour le soir. On s’en va tranquillement avec son ouvrage, ses provisions et aussi tranquillement le soir on remonte chez soi en bavardant. Marée descendante, marée montante humaine et grouillante !!
9h soir Calme plat !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Canonnade au cours de la nuit et dans la matinée.
Le Courrier de la Champagne parle de ce qui s’est passé dans la journée d’hier, en ces termes :
Le bombardement de Reims continue.
Hier samedi, depuis dix heures et demie du matin, à intervalles assez rapprochés, les Allemands ont lancé sur notre ville, une cinquantaine de projectiles.
Ce sont encore les quartiers de Bétheny, Cérès, Cernay et Saint-Remi qui, déjà tant éprouvés, ont encore souffert.
On signale des victimes sur divers points de ces quartiers. En raisons des nécessités que nous crée le nouveau régime du journal, nous n’avons pas eu le temps matériel de coordonner des renseignements précis et officiels que nous publierons demain.
Après enquête, disons toutefois que ce bombardement venant après une journée d’accalmie et les bruits qui avaient couru de l’éloignement des Allemands, a jeté un effroi bien compréhensible dans notre population.
La conclusion du journal donne exactement l’état d’esprit de la population à ce jour.
– D’autre part, il mentionne que le Tribunal civil a tenu son audience de rentrée, vendredi 2 octobre, à 14 heures.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mitraillades et fusillades au loin ; calme jusque vers 8 h 1/2, quelques coups de canon de temps en temps. Itou toute la journée.
Visite à l’Ambulance de Courlancy. Nuit tranquille.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
Gaston Dorigny
Comme les dimanches précédents la journée semble devoir être dure. Le canon gronde toute la journée. La nuit un nouveau combat d’infanterie recommence. On peut dormir assez bien, réveillés seulement de temps à autre par les coups des grosses pièces.
Encore des obus en ville.
Gaston Dorigny
Paul Dupuy
Dans les mêmes conditions que la veille et avec pareil insuccès s’effectue un 1e
essai de retour.
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Dimanche 4 octobre
En Belgique, les Allemands n’ont obtenu aucun avantage sérieux dans leur attaque d’artillerie contre les forts d’Anvers. Leurs attaques d’infanterie ont toutes été brisées.
Une note officielle confirme l’échec total de l’entreprise allemande dans les gouvernements de la Russie occidentale. Les Russes ont pris Augustovo, forcé les troupes du kaiser à abandonner le siége d’Ossowietz. En Galicie les arrière-gardes autrichiennes ont reculé, derrière la Vistule, en pleine déroute.
Deux croiseurs allemands, le Scharnhorst et le Gneisenau ont bombardé Papeete, ville ouverte, capitale de Tahiti dans le Pacifique, et coulé une canonnière désarmée qui se trouvait dans le port.
M. Asquith, dans son discours de Cardiff, a fait de curieuses révélations sur les tentatives multipliées à Londres depuis 1913, par la diplomatie teutonne, en vue de neutraliser le Royaume-Uni.
On reparle de l’abdication du roi Carol de Roumanie.
Source : La Grande Guerre au jour le jour