Louis Guédet

Samedi 24 octobre 1914

42ème et 40ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Toute la nuit on s’est battu et le canon n’a cessé de tonner.

Gare à la journée ! car les allemands désireront se venger sur nous les non-combattants de ce qu’on les ait empêchés de dormir cette nuit ! Et nous ?… Oh ! Çà ne compte pas, diraient nos officiers du … derrière !! (Deutchland über alles).

4h50 soir  Eté déjeuné chez M. Henri Abelé avec Charles Heidsieck. Là M. et Mme Henri Abelé et leur jeune bru Mme Louis Abelé-Delattre. La pauvre jeune femme, quand en février dernier je signais son contrat de mariage à Roubaix, avec mon confrère Ghesquières !! Nous ne songions guère à la guerre !! Que d’événements depuis cela ! Et quand ce sera-t-il fini ? Nos conversations n’étaient pas gaies, et nous nous demandions tous quand nous serons délivrés des allemands à nos portes. Quand ? Quand ? Personne n’avait répondu !!

Tout à l’heure, à 3h3/4, en étant avec M. Bataille dans son jardin, dans le petit jardin du fond j’aperçus un aéroplane allemand, un Taube, qui venait sur nous comme venant de Berru, quand tout-à-coup surgit, alors que nous regardions vers l’Est, un aéroplane Français, un Deperdussin qui prit au-dessus de nous la chasse au Taube qui s’enfuyait. C’était vraiment impressionnant. Le Français tira un premier coup de feu, puis un deuxième, un troisième, à ce moment il gagna énormément de vitesse sur l’allemand qui ralentissait sensiblement et s’enfuyait vers l’Est (les lignes allemandes), puis le Deperdussin arriva sur lui (par rapport à nous, au-dessus de la maison Jolicoeur) et faisant un à droite il fit rouler sa mitrailleuse : Pan – Pan – Pan – Pan – Pan – Pan – Pan ! et alors le Taube descendit, descendit, il était tombé ! Nous saurons demain s’il est tombé dans nos lignes ou les leurs. C’était vraiment un spectacle poignant ! Je pensais à Bock (le chien de son père à St Martin) poursuivant un lièvre blessé.

Le Français aussitôt son air de musique joué, continua majestueusement son virage à droite et revient à une hauteur prodigieuse au-dessus de nous et continua son inspection vers La Neuvillette et Hermonville. Voilà une histoire pour Momo ! Il était 3h3/4.

Tixier et Lesourd, adjoints, revenus ici après leur fuite honteuse, ont eu l’audace d’assister hier à la réunion du Conseil Municipal. La réception a été plutôt glaciale ! Le Maire a lu la démission de M. Lesourd comme adjoint. Il ne reste plus que l’illustre Chappe, avocat, chevalier de la Légion d’Honneur, bâtonnier des avocats, consul de…  etc…  qui est toujours dans les délices de Cythère et de Capoue avec Mme Cama et la petite Marguerite Ponsinet !!

8h soir  Calme sur toute la ligne ! Dans l’après-midi une demi-douzaine de bombes, en plus de la visite d’aéroplanes et du tombage (le terme abattu n’était pas encore utilisé…) d’un Taube. C’était magnifique !!

Malgré tout on reste découragé, car nos troupes semblent ici cristallisées, marmorisées. Nous sommes pourris de tous les freluquets plus ou moins gradés et galonnés de l’administration militaire !! Cela me rappelle les Communards ! J’aimerais mieux ceux-ci que ceux-là, parce qu’au moins les Communards se battaient et se faisaient tuer, tandis que les autres… ??!! Les coteaux de Ville-Dommange, Chamery, Jouy, Pargny, etc…  sont à peine assez loin des lignes prussiennes pour mettre à l’abri leur…  petite peau. Allons nous coucher, ces gens-là me dégoutent trop !

Eux ? Ils pourront dormir tranquilles, tandis que moi… ?! Je me réveillerai peut-être avec…  un obus dans mon lit !! Et je ne suis pas militaire !! Le civil est fait pour les coups et le…  militaire…  pour les galons !

Lettre de Louis Guédet à son fils Maurice
Entête : Louis Guédet – Notaire à Reims – Rue de Talleyrand, 37 – Téléphone 211

Reims, le 24 octobre 1914
Mention en travers de l’entête : « A changer un peu, à rendre plus vif. » L. Guédet

5h1/4 soir

Mon cher Momo,

Je t’ai promis une histoire pour toi, à toi tout seul, et aussi un peu pour André et Marie-Louise : elle est toute chaude !

Tout à l’heure, à 3h3/4 je me promenais avec ton Grand-Père dans son petit jardin du fond, rue des Consuls, quand j’aperçus un aéroplane allemand, « un Taube » qui, paraissant venir de Berru, s’avançait dans notre direction : Grand-Père Bataille n’était pas satisfait !

Il était presque au-dessus de la Caisse d’Epargne quand surgit sur notre droite un aéroplane français, avec un oriflamme tricolore à sa queue, « un Deperdussin », qui prit au-dessus de nous la chasse au prussien : celui-ci vira de bord et chercha à se sauver… Le Français marchait bien, il tira sur le Taube un seul coup de mitrailleuse d’abord, puis un deuxième et enfin un troisième : alors nous vîmes l’allemand ralentir et le Français arrivait, arrivait sur lui comme un aigle sur une proie, puis arrivé à peine à une centaine de mètres et un peu au-dessus du prussien, dans la direction de la maison de Madame Jolicoeur, notre aéroplane fit un virage à droite et aussitôt joua au « Taube » un petit air de mitrailleuse : Pan ! Pan ! Panpan ! Pan ! Panpanpan ! Pan ! Pan ! alors le pauvre allemand descendit, descendit : il était touché !! alors le Français remonta majestueusement bien haut au-dessus de nous et retourna dans sa maison du côté d’Hermonville !

C’était vraiment un spectacle impressionnant ! je pensais à Bo-bock courant après un lièvre blessé !

Voilà mon histoire ! Es-tu content ? Alors embrasse-moi bien fort comme je vous embrasse tous de tout mon cœur.

Remercie bien André et Marie-Louise des leurs lettres qui m’ont fait tant plaisir. Dis leur que, si j’en ai le cœur et le courage, je vous écrirai encore une histoire vraie qui s’est passée près de chez M. de Granrut à Loivre : ce sera pour vous trois.

Embrasse bien ta maman pour moi.

Ton Père, Louis Guédet


Paul Hess

Dans la nuit, les grosses pièces nous ont tous réveillés, avec leur formidables détonations.

Des obus sont tombés ; l’usine des Vieux-Anglais en a reçu encore une dizaine. Matinée calme ensuite. A 13 j1/2, tandis que nous somme dans le quartier des ruines, Jean, Lucien et moi nous entendons de nouveau des sifflements et des éclatements à proximité.

– Depuis quelques jours, l’usine des Longaux, avoisinant la maison de mon beau-père, rue du Jard, où nous habitons provisoirement, est occupée en permanence par de l’infanterie. Aussi, entendons-nous, de temps en temps, de brefs coups de clairon signalant aux soldats qu’ils doivent rentrer immédiatement, afin de ne pas se faire repérer, lors des visites des Tauben.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 24 – Nuit peu tranquille. Bombes de 11 h à minuit. Visite à S. Jean-Baptiste de la Salle avec M. Landrieux, l’abbé Houlou Jubet subit l’amputation.

Après-midi, un aéroplane allemand est mitraillé par un aéroplane français qui l’atteint (1) ; l’allemand descend sans tomber et s’enfuit dans ses lignes. Dix minutes après, cinq ou six bombes sont lancées sur la ville.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
(1) Le premier combat aérien de la guerre a eu lieu le 5 octobre au-dessus de Jonchery-sur-Vesle

Paul Dupuy

24-10 Bonne lettre d’Auxerre (21 8bre), où tout continue à bien aller ; on y a changé de domicile, et l’adresse actuelle est maintenant 26 rue de Paris.

D’Épernay aussi arrivent 4 pages de Suzanne qui traduisent l’impatience du retour qui talonne toute la Colonie, et l’ennui que l’échange de nos correspondances ne puisse se faire en moins de 8/10 jours.

Dans l’après-midi nouvelle lutte d’aéroplanes, sans souci du danger, tout Reims est dehors de chez soi et on suit anxieusement les péripéties d’un combat qui paraît tourner au désavantage de l’Allemand, qui baisse et s’incline, alors que nos frénétiques applaudissements saluent nos hardis Français.

Hélas ! nos manifestations sont prématurées, car on voit le maudit se relever lentement, passer au-dessus de nos lignes et aller atterrir chez les siens.

Pour répondre à Mme Ragot, qui s’informe de Melle Henriette Hutin, je vais à 17H rue du Levant ; les portes du N°11 sont closes et personne ne répond à mon coup de sonnette, mais une voisine qui en a les clefs, m’assure que chez Védie-Jacquard j’obtiendrai tous renseignements utiles au but de ma démarche.

J’y cours (au sens exact du mot) car des obus éclatent dans les environs de la caserne Colbert, et je trouve, en effet, Melle Hutin installée rue des Augustins 6 ; chez son frère qui l’a recueillie depuis le 17 7bre.

Tous deux paraissent enchantés d’être maintenant rapprochés.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


ob_de9262_15-octobre-1914