Abbé Rémi Thinot
16 Septembre ; 11 heures – Nous sommes canardés ici depuis 9 heures réponses des allemands aux batteries qui sont placées chez Lelarge et au Champ de grève.
Vers 10 heures, d ou 3 projectiles sont tombés tout près ; un m’a paru avoir saccagé le Lycée où il y a encore 50 à 70 blessés {à deux d’entre eux, logés au dortoir en face de ma maison, j’ai fait hier une distribution par une musette tendue au bout de quelques cravates liées bout à bout). Je suis sorti vivement ; la bombe était tombée au Grand Séminaire, dans le jardin, démolissant toutes les vitres etc… Elle avait creuse un trou énorme. Je ramasse dans la Salle des Exercices, un morceau tout brûlant encore ; je le donne à M. le Supérieur, réfugié aux Caves avec quelques confrères, entre autres le chanoine Seller etc… Les obus continuent à siffler, mais tous n’ont pas l’importance de celui-là. J’ajoute qu’il y a eu une victime ce matin – j’oubliais ?… – un bon gros rat qui se promenait et qui a eu l’artère carotide tranchée. Je l’ai retrouvé baignant dans son sang, parmi les décombres…
Toute la population est terrée à nouveau ce sont d’austères IV temps de Septembre !
Midi 1/2 ; J’ai senti trop profondément jusqu’ici la protection de notre vénéré Pie X, dont j’ai établi le buste dans mon bureau depuis le commencement des évènements. Aujourd’hui autant en témoignage de reconnaissance qu’en demande d’une sauvegarde continue.
Je fais le vœu, si je ne suis en rien atteint dans ma personne et dans mes biens, si ma mère également est sauve, de toujours avoir une image de Pie X dans mon bureau, et de la vénérer comme celle d’un Saint.
8 heures-soir ;
Oh ! l’atroce journée ! J’écris les mains rouges de sang et rempli de sang des pieds à la tête. J’ai assisté les artilleurs sur le boulevard de la Paix et le boulevard Gerbert. J’ai vu des choses atroces.
La position de ces troupes – caissons et matériel – sous les arbres, à proximité en somme des batteries des Coutures et de chez Lelarge, a été repérée par 1’ennemi à l’aide de signaux. C’est indiscutable ; on changeait de place… et vivement arrivaient les projectiles.
A heures, j’étais à l’angle du Boulevard Gerbert et du Boulevard de St. Marceaux ; les bombes arrivaient de l’autre côté du Boulevard de St. Marceaux. Pan ! Pan ! 2 obus en plein boulevard, saccageant 6 chevaux. Pas d’hommes, criai-je ?
– Si ; un blessé au bras qu’on enlève… Spectacle lugubre ! Ces pauvres bêtes abattues jetant un suprême gémissement.
Vite, on sépare les vivants des morts… Je demande à un lieutenant qu’on achève une pauvre bête qui avait la jambe brisée et un éclat dans la cuisse… Pauvre fier animal ! Il fallut 3 coups de revolver ; il dressait la tête, se détournant du canon braqué sur son cerveau… j’étais retourné.. !
Nous nous étions géré de ces bombes en nous jetant brutalement du côté du boulevard Gerbert, le long de la maison du dentiste. Pan ! Dans notre dos en plein… on se jette par terre… on y est jeté plutôt ! On se relève blanc comme Pierrot. Un homme gémit, se traîne ; je me précipite ; il avait une blessure à la tête ; on le panse sommairement ; je l’emmène chez moi ; je lui fais avaler une coupe de Champagne. Je lui demande d’où il est, s’il est marié. Il fond en larmes
Il est, marié depuis quelques mois et a un petit garçon… Il me montre les lettres de sa jeune femme… C’est Remi Crinquette, de Merville (Nord) Je le conduis au lycée.
Je retourne aux artilleurs – après avoir fait la connaissance du lieutenant, du sous-lieutenant et du sergent-major, à qui j’apportais cigares et Champagne.
On avait fait reculer toutes les batteries aussitôt cet évènement. Le lieutenant, ému, vient me serrer la main ? Je les avais touchés tous, paraît-il (vraiment, je n’avais pensé à rien) en m’occupant du blessé dans la poussière…
Je suis allé aux Caves Lanson rassurer entre autres habitants innombrables de ces catacombes, Th.W. Je reviens à mes artilleurs.
D’autres bombas sur le boulevard les forçaient à reculer toujours. Puis, vient l’affreux moment.
La batterie de l’extrémité des Coutures vient de recevoir un obus en pleine batterie ; on amène des blessés – deux très gravement atteints sont à l’ambulance St.-Marceaux. On les soigne au bout du boulevard, presque à l’Esplanade. Et j’étais avec un blessé qui était atteint des pieds à la tête – qu’on avait fait entrer dans la grande maison du coin, avec véranda, pour le déshabiller – quand un, deux coups effroyables retentissent. C’est en plein boulevard, en haut de la place Belletour que deux obus de gros calibre sont tombés… Vite, l’ordre est donné de reculer encore, puis c’est l’atroce spectacle.
On amène vers moi, qui étais accouru vers l’endroit fatal, des hommes horriblement blessés. Ce sont des infirmiers qui ramenaient 1es blessés de la batterie. Ils sont fracassés ! On coupe les vêtements… ils sont en sang partout, les pauvres amis… et quelles horribles blessures font les éclats d’obus !
On commençait le pansement Esplanade Cérès, pan ! un obus ; on enlève le blessé jusqu’à la rue de Bétheny.
Il y en a d’autres, dit-on, et des mourants place Belletour.
Je retourne avec les infirmiers. Et oui, il y avait là quatre cadavres abominablement atteints ; un était vidé complètement ; nous soignons un cinquième qui avait l’épaule enlevée et qui avait, en dehors, 10 blessures graves… on le panse… Combien paisiblement !… Puis il entre en agonie. Je l’assiste. Il meurt pendant qu’on enlevait 20 mètres plus loin, près du Courrier, 3 autres blessés, à l’un desquels je donne l’absolution.
Combien j’ai été touché alors de ces réflexions des artilleurs qui m’entouraient. « M. le Curé, vous venez avec nous ; vous allez nous accompagner toujours ? »
« – Hélas, mes pauvres amis, je suis de Reims et je dois rester ici »
Entre temps était passé le lieutenant Sorent[1], polytechnicien très courageux, qui portait sans sourciller une grosse blessure à la hanche ; son carnet de poche était troué par un éclat qui avait piqué la peau. Brave et braves garçons…
Ce soir, je fais faire à Poirier le pèlerinage des VI Cadrans {mais la ville est tellement plongée dans l’obscurité qu’on ne distingue rien ; il y a eu là pourtant 6 ou 8 victimes)
Pèlerinage encore aux deux trous de la place Belletour, là où sont tombées les bombes qui ont massacré les infirmiers et tué 5 hommes et 4 chevaux.
Je fouille les trous ; j’en extrais des éclats affreux ; les hommes ont été enlevés ; les chevaux seuls restent.
Pèlerinage enfin aux bombes du boulevard de St. Marceaux ; nous rencontrons les Hommes qui emmènent deux cadavres de chez Lelarge. Là, tout près, est tombé mon blessé qui est au lycée. Je songe aux deux chargeurs prussiens que ce brave garçon m’a sorti de dessous sa tunique pour me témoigner sa reconnaissance.
La ville est dans un morne silence… les lumières filtrent partout sous les portes et par les ais des fenêtres, le long des rues élargies par la plus étrange obscurité. Des chiens, des chats errent. Il en grouillait sous le feuillage des arbres fauchés par la mitraille, auprès des cadavres des bêtes… Beaucoup de chiens et de chats dont les maîtres étaient partis erraient dans la ville.
Mon Dieu, gardez tous ceux que j’aime ; donnez la contrition à tous ceux que vous voulez rappeler, à tous, confiance et encouragement !
[1] Ne figure pas à l’annuaire de polytechnique
Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.
Juliette Maldan
Mercredi 16 septembre 1914
Messe de 6h ½. La dernière messe à laquelle je puis assister dans la cathédrale !… Le canon gronde formidablement, et retentit d’effroyable façon sous les hautes voûtes. C’est sinistre !…
Autour de la chapelle du Saint-Sacrement, l’assistance se fait de plus en plus rare. L’angoisse est dans tous les yeux…
On ne peut que remettre une fois de plus son âme et sa vie entre les mains de Dieu, en s’abandonnant à lui pour tout. Qui sait si cette communion ne sera pas un viatique ?…
Je rentre en hâte, à travers les rues désertes, sous les détonations stridentes.
Au début de la matinée, Charles Heidsieck passe avec Pierre Givelet. Ils viennent de la cathédrale, où après la messe de huit heures, ils sont montés sur les tours avec l’abbé Landrieux. De là, ils ont pu se rendre compte des positions de l’ennemi et des nôtres. Hélas, ils ont pu constater aussi que nos 75 n’atteignent pas les batteries d’artillerie lourde des allemands, qui eux tirent sur nous avec de grosses pièces de siège.
En quelques minutes, ils ont compté une dizaine d’obus tombant sur la ville. Charles Heidsieck, qui toujours nous rassurait, parait très inquiet ce matin. Il n’est venu avec beaucoup de dévouement, que pour nous engager à descendre dans nos caves et à n’en pas sortir. Il insiste encore en me voyant sur le pas de la porte. « Vous n’êtes pas en sûreté là, il faut descendre ! » Lui-même va dans ses caves, où ses ouvriers sont déjà réfugiés en grand nombre, afin d’être au milieu d’eux, et de s’occuper d’eux.
Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.
Louis Guédet
Mercredi 16 septembre 1914
6h1/2 matin La canonnade a repris à 5h1/2. A 6h1/2 un coup plus fort. Est-ce que nous allons recevoir des obus encore ?
9h10 la canonnade a cessé vers 8h1/2 – 8h3/4.
Le fort de Brimont serait enfin tombé dans nos mains. Il n’y a plus que les forts de Berru et de Nogent l’Abbesse. Le Général Franchet d’Espèrey aurait dit que ce serait fini pour 4h, et que nous n’aurions plus d’allemands autour de la Ville.
Hier les faubourgs de Laon et Cérès ont été assez flagellés par un 3ème bombardement, mais il n’a touché ces 2 quartiers sur lesquels nos troupes s’appuyaient, du reste ce n’était que des shrapnels et non des obus de siège brisants comme ceux des 2 premiers bombardements. Le bombardement d’hier ne peut donc pas être considéré à proprement parler comme un bombardement voulu comme les 2 premiers, mais plutôt un accident de combat.
Voilà donc les allemands partis de Reims définitivement, et je crois que je puis dire non pas : Finis Gallia ! mais bien : Finis Germanica ! Ce sont les mêmes initiales, mais aussi la même terminaison finale ! Dieu en soit béni !
11h Eté faire un tour à la Mairie, rien de nouveau. On disait qu’un service postal était organisé, il n’en n’est malheureusement rien. On n’a que des occasions comme celle d’hier, qui a fait naître ce faux bruit : un automobiliste du service des Postes Militaires s’était chargé hier jusqu’à 5h de prendre quelques lettres pour les remettre à la Poste, c’est tout. Que je regrette de n’avoir pas connu cette occasion.
Je viens de passer à la Grande Poste : c’est exact. Je passe jusqu’au Courrier de la Champagne, où je me heurte à un poste d’artillerie qui me demande où je vais. « Au Courrier » – « Passez ! » M. Gobert est très étonné de me voir et me reçoit en me disant : « Comment, vous n’avez pas peur de venir ici ? » – « Pourquoi ? » – « Mais il n’y a pas une demi-heure que nous recevions encore des schrapnels ! » Nous bavardons, nous causons de choses et d’autres.
Un officier m’a dit qu’un fermier des environs avait été fusillé hier pour avoir donné des indications aux allemands. De même un instituteur de Bethon (Ardennes) (lieu inconnu, c’est peut-être Baâlons) aurait subi le même sort pour la même raison. Hier encore, 2 personnes, un homme et une femme.
L’armée de droite et la nôtre auraient fait leur liaison. En sommes peu de nouvelles. Berru et Nogent tiennent toujours et il parait que nos troupes ne peuvent les réduire rapidement, parce qu’il faudrait qu’elles tirent de Reims, et alors les allemands tireraient sur la Ville. Je vais préparer des cartes pour tâcher de les envoyer encore aujourd’hui !
6h3/4 A 1h12 je vais au jardin de la route d’Épernay. Arrivé à l’école de la rue de Courlancy on m’en fait faire le tour pour aller rejoindre le passage à niveau. Au jardin à 2h je trouve 2 trous d’obus, français certainement, un dans l’allée y conduisant et un dans le gazon à gauche en allant au chalet. On a cambriolé le chalet, bu le vin et enlevé des objets insignifiants, quelques cuillères en métal, etc… Calme absolu, tristesse pour moi, car la dernière fois que j’y étais allé j’étais avec tous mes aimés. Çà me serrait le cœur, quand les reverrai-je ? J’abats quelques noix que je rapporte dans le tablier d’André, tandis que le canon tonne sur Brimont. Peu de choses sur Berru. Je suis la progression de notre artillerie sur Brimont. J’apprends en revenant que nos 155 courts ont fait de bonne besogne. Brimont est pris, et on a canonné éperdument sur les colonnes allemandes qui se retiraient. Trois incendies s’allument, on me dit que c’est la ferme Holden de Cernay, les casernes Neuchâtel et une usine. Des aéroplanes français et allemands sillonnent les nuées, ces derniers jusqu’au-dessus de moi, route d’Épernay.
Je reste calme dans l’avenue de Paris. Je m’inquiète. On tire des schrapnels sur les aéros allemands sans effet. Avant d’arriver avenue de Paris, chemin Passe-demoiselles, je suis accosté par un agent de la police secrète, Boudet, qui me force à décliner mes noms et qualités. Il n’a pas l’œil américain celui-là ! Avant d’arriver chez moi, devant le Petit Paris, je rencontre un officier des hussards, je lui demande, en ce moment, où sont nos affaires avec les 4 forts.
« Brimont est maîtrisé par un gros canon, pris, et les allemands l’évacuent en colonnes serrées, c’est ce qui vous explique la canonnade affolée en ce moment (il est 5h1/2), nous tirons sur ces masses à boulets rouges ! Nous les poursuivrons et allons de l’avant vers Berry-au-Bac. Quant aux forts de Berru et de Nogent, vous avez du remarquer qu’on avait tiré très peu de ce côté, je crois qu’ils les ont évacués ou qu’ils vont les évacuer, en tout cas nous laissons 50 000 hommes ici pour les maintenir, vous protéger et les poursuivre !!… » Je puis vous affirmer ce que je vous dis. Nous nous quittons et je rentre fort satisfait et surtout un peu tranquillisé.
Le petit caporal allemand saxon qui m’avait reçu à l’Hôtel du Lion d’Or quand j’étais otage se nommait Matthieu ou Matheleux et était un arrière petit-fils de protestants chassés de France par la révocation de l’Édit de Nantes.
8h30 soir Vers 7h15 j’entendais encore quelques coups de canons et les derniers sifflements des obus allemands, et, mon Dieu ! je croyais que c’était fini. Il parait que non ! Voila 3 coups qui viennent de tonner vers Bétheny. A 8h1/2, comme je me préparais à écrire, j’entends un bruit de…… bottes ! Les Prussiens ? même martellement et deux battements (2 hommes), je regarde à la fenêtre, mais inutile le battement de pied est moins lourd, il est plus vif, plus français, mais j’en ai eu une émotion. Que l’on devient nerveux et impressionnable avec cette insupportable canonnade qui dure depuis 5 jours. Combien sont-ils depuis le samedi 12 septembre 1914 (1), le dimanche 13 entre les français et les allemands à Reims (2), lundi 14 (3), mardi 15 (4), mercredi 16 (5). Quelles batailles aurons-nous à l’ouest pour reprendre nos malheureux forts de Brimont, Fresnes, Witry, Berru, Nogent que l’on disait ne pouvoir résister plus d’une heure, une demi-heure même !!
Les allemands nous prouvent bien le contraire. Il est vrai que pour Reims c’est une chance que l’on n’ait pas cherché à les défendre, mais le tord c’est d’avoir fait faire autant en vue de leur défense avant le 4 septembre. Les allemands ont bien su les utiliser.
8h32 La musique recommence : 1 coup de canon vers Bétheny.
8h36 : 1 coup de canon = réponse 2 coups
8h41 : 1 coup de canon = réponse 2 coups
8h44 : 1 coup de canon = réponse 2 coups
A chaque fois 5 secondes de différence.
En chronométrant ainsi je pense à mon cher Robert, avec sa manie de chronométrer avec mon Grand Jean !
Mais ceci est plus sérieux car ceci tue, et ce n’est plus du jeu, de l’amusement.
8h51 : 1 coup, réponse après 5 secondes
Je remarque, fenêtre ouverte pour mieux entendre que ce que j’appelle réponse à 5 secondes n’est que l’éclatement de l’obus. Donc 1 coup part, l’obus éclate 5 secondes de plus. Je me trompais en croyant que c’était la réponse du berger à la bergère !
Enfin cela m’occupe et… mon Dieu m’amuse car je sens bien que les allemands sont brisés et que bientôt nous n’entendrons plus le grognement de leurs gros canons (grognement de cochon lâche et en colère) sifflement d’obus et éclatement. Tout cela est bien différent du français.
8h55 : 1 coup
8h55’10’’ : 1 coup
A toi Robert !
A toi Jean ! Calcule les distances.
Zut ! Après tout vont-ils me faire passer la nuit ainsi à noter leurs coups. Non, nous les poursuivons et c’est la débâcle. Je le sens.
9h Toutes lumières éteintes dans les rues, il fait noir comme dans un four ! C’est lugubre, juste une lumière au cercle de la rue Noël, chez moi, chez Le Roy bijoutier, chez Bellevoye et chez Bahé, Cochard, rue Libergier, 19, qui fait le fond de notre rue, avec le Cercle par rapport à ma maison.
Je ne comprends pas comment, par une nuit noire comme celle-ci on pense à canonner encore.
Allons ! allons nous coucher ! Préparons bougie, allumettes, veilleuses, rat-de-cave, clef de cave au cas où je serais encore obligé d’y descendre ! J’espère bien que cette préparation de tous les soirs va bientôt cesser. Je commence à trouver que c’est une scie. Il est vrai que si j’écoutais Adèle on coucherait tous les soirs dans la cave !! Je lui réponds invariablement qu’en se couchant avec la clef près de soi cela suffit. Non, elle ne comprend pas cela ! il est regrettable que cette pauvre fille ne soit pas dans un pays de mines. Je suis sûr qu’elle serait déjà depuis 12 jours au fond, au tréfonds d’une mine. Et encore serait-elle bien sûre qu’un obus ne reviendrait pas la chercher par un puit d’aération !!
9h20 Il faut se coucher, mes aimés, où êtes-vous ???!!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Dans les communiqués officiels des opérations publiés par Le Courrier de la Champagne de ce jour, nous trouvons ceci, pour ce qui nous intéresse directement :
» 13 septembre – 15 heures
A notre aile gauche, l’ennemi continue son mouvement de retraite.
Il a évacué Amiens se repliant vers l’est.
Entre Soissons et Reims, les Allemands se sont retirés au nord de la Vesle. Ils n’ont pas défendu la Marne au sud-est de Reims.
Même jour, 23 heures
Aucune communication n’est arrivée ce soir, au Grand Quartier Général. Les communiqués d’hier et de cet après-midi ont montré la vigueur avec laquelle nos troupes poursuivent les Allemands en retraite. Il est naturel que dans ces conditions le Grand Quartier Général ne puisse, deux fois par jour, envoyer des détails sur les incidents de cette poursuite. Tout ce que nous savons, c’est que la marche en avant des armées alliées se continue sur tout le front et que le contact avec l’ennemi est maintenu.
A notre aile gauche, nous avons franchi l’Aisne. »
puis, sous le titre, en très gros caractères : « L’ennemi bat en retraite » sur toute la ligne, nous lisons :
» 14 septembre – 14 h 30 soir- 1°…………………….
2° Au centre, les Allemands avaient organisé, en arrière de Reims, une position défensive sur laquelle ils n’ont pu tenir.
14 septembre – 23 h 15 – A notre aile gauche, nous avons partout rejoint les arrières-gardes et même les gros de l’ennemi ; nos troupes sont rentrées à Amiens, abandonné par les forces allemandes. l’ennemi semble faire tête sur le front jalonné sur l’Aisne.
Au centre, il semble également vouloir résister sur les hauteurs du nord-ouest et au nord de Reims ; etc. »
Ce matin, à 5 h, le canon a annoncé que les Allemands sont toujours bien près de la ville, puisque des obus sont venus encore siffler dans les environs de notre quartier. Nous pouvons en conclure que si l’ennemi, ainsi que le dit le communiqué du 14 (14 h 30), a dû abandonner la position défensive qu’il avait organisée en arrière de Reims, ce n’a pas été pour longtemps.
Nous avons dû passer une partie de la matinée dans la cave ; le bombardement étant redevenu très intense ensuite, il nous a fallu y redescendre et y rester l’après-midi tout entier.
Vers 14 h, un obus explosant sur le pavé, rue Chanzy, aux Six-Cadrans, entre le kiosque et les maisons des Loges-Coquault, cause la mort de neuf personnes, par ses éclats :
Mme Froment-Hardy, fille du succursaliste des Etablissements Economiques, place des Loges-Coquault (inscrite dans les décès, à l’état civil, le 17 septembre) ; Mlle M. Legras, 16 ans, demeurant 82, rue Gambetta (état-civil du 17 septembre) ; M. E. Breton, instituteur retraité, 72 ans, 117, rue Chanzy (état-civil du 21 septembre) ; M. Champrigaud, rue de Contrai 3 (état-civil du 21 septembre) ; Mlle Thérèse Gruy, 12 ans, domiciliée 14, rue du Jard (état-civil du 21 septembre) ; M. Font, Antoine, 3, rue Gambetta (état-civil du 22 septembre).
Enfin, mon ancien condisciple Ch. Destouches; 47 ans, domicilié rue Croix-Saint-Marc 96, qui passait, avec sa famille, au moment où l’obus vint éclater à cet endroit, a été tué ainsi que sa femme, 30 ans et son fils Pierre, 8 ans, tandis que sa fille Juliette, 12 ans, était mortellement blessée. Les décès des trois premiers sont inscrits sous les n° 2.478 à 2.480, à l’état civil, le 22 septembre et celui de la fillette, le 23 septembre (n° 2.537).
Le même obus frappait encore mortellement M. Stengel, maître-sonneur à la cathédrale, demeurant 14, rue du Jard, dont le décès est mentionné à l’état civil le 2 octobre et M. Desogere, adjudant du 132e d’infanterie en retraite, comptable aux Hospices civils, porté dans les décès, sous le n° 2.609, le 23 septembre. En outre quelques personnes avaient été atteintes plus ou moins grièvement, entre autres, Mlle Antoinette Font, dont le père avait été tué.
– Sous le titre « Choses vues », Le Courrier d’aujourd’hui mentionne le dévouement des gens du quartier Saint-Remi (vieillards, femmes et tout jeunes gens) qui, dimanche matin, faisant office de brancardiers et de brancardières de bonne volonté, sont allés spontanément à l’étonnement des officiers et des hommes du 41e, sur lesquels s’abattaient les obus, vers l’octroi de la route de Châlons et à proximité du Parc Pommery, chercher avec des charrettes à bras des soldats blessés qu’ils transportaient avec des précautions infinies, tandis que les gamins, toute la matinée, se chargeaient d’aller faire remplir les bidons de nos troupiers.
Dans le même journal, nous trouvons les avis suivants :
« Postes, télégraphes, téléphones.
Le maire a fait placarder hier, dans l’après-midi, l’avis que voici :
Mairie de Reims Avis, Les lettres mises à la poste, rue Cérès, aujourd’hui
15 septembre, avant six heures, seront expédiées ce soir. »
Reims, le 15 septembre 1914.
Ce service de correspondance est limité à la journée du 15 septembre et a été effectué par des autos postes.
Jusqu’à nouvel ordre, les Postes, télégraphes et téléphones sont exclusivement réservés aux communications militaires ou gouvernementales dans la zone des opérations militaires.
Il faut donc attendre la réorganisation de ces services pour les communications privées.
Avis en sera donné en temps opportun.
Chemins de fer
Des trains étant venus de Paris sur Reims et vice-versa, le public s’est demandé si les trains de voyageurs, dans la direction de Paris seraient bientôt réorganisés.
Là aussi, l’autorité militaire s’est réservée le service exclusif des chemins de fer pour le transport des troupes et leur ravitaillement.
Il en est de même pour le C.B.R.
Nos lecteurs seront informés de la reprise du service public par l’avis officiel qui nous sera communiqué le cas échéant, et que nous publierons aussitôt.
Société française des secours aux blessés militaires Comité de Reims
La situation, jusqu’ici, ne nous avait pas permis l’organisation définitive d’un assez grand nombre de nos hôpitaux.
Aujourd’hui que les choses se modifient favorablement, nous faisons à nouveau appel aux hommes de bonne volonté pour notre service de brancardiers auxiliaires.
Se faire inscrire à notre permanence, 18, rue de Vesle. »
Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918
Gaston Dorigny
Le canon a tonné toute la nuit. Au petit jour, à cinq heures du matin, le combat reprend. On entend la grosse artillerie qui entre en action.
Nos troupes paraissent prendre du terrain vers les hauteurs de Brimont.
A six heures ½ nous allons avec papa Noll chez Thierry.
L’artillerie fait rage, les obus passent sur nos têtes. Nous rentrons heureusement chez nous et partons chez mon père où nous arrivons à neuf heures du matin.
On est à peu près tranquille jusqu’à 10 heures mais à ce moment là on entend à nouveau le canon et cela doit durer jusqu’au soir. Quelle affreuse journée jamais encore depuis le commencement de la bataille de Reims cela n’a été aussi terrible. Des champs avoisinant le boulevard Charles Arnoult on aperçoit les batteries d’artillerie qui font rage. On est inquiet et on se demande quel sera le résultat de la journée. .. … Il a malheureusement encore été négatif.
Entre temps la ville a encore été bombardée à plusieurs reprises. On nous signale encore de nombreuses victimes. Le soir nous retournons chez nous pour coucher, mais en arrivant chez nous quel effroi et quelle vision d’horreur. Au milieu des divers incendies qui éclairent sinistrement le quartier, on entend le canon et les mitrailleuses : On perçoit également le bruit d’un aéroplane qui sillonne la nuit. Il est huit heures du soir et au milieu de ces choses effrayantes, nous décidons de retourner coucher chez mon père. Bien nous en prend car, paraît-il, la nuit a été terrible dans notre quartier. A signaler un obus tombé dans la droguerie, le fils Ritter est blessé assez grièvement. Notre maison a été écornée et les vitres sont brisées chez Mr Guerbet.
Gaston Dorigny
Victimes des bombardements de ce jour :
- DESTOUCHES Julien Charles – 47 ans, domicilié 96 rue Croix Saint Marc à Reims
- DESTOUCHES Juliette – 12 ans, – 96 rue Croix Saint Marc, Tué avec ses 2 parents lors d’un bombardement – décédée en sa maison
- DESTOUCHES Louise Hélène Ismerie – 30 ans – 96 rue Croix Saint Marc, Tuée avec son mari lors d’un bombardement – décédée en son domicile
- DESTOUCHES Pierre Nicolas – 8 ans, domicilié 96 rue Croix Saint Marc à Reims
- FROMENT Blanche Georgette – 29 ans, 2 Place des Loges Coquault, domiciliée rue du docteur Thomas
- LEGRAS Marie Clotilde – 16 ans, 82 rue Gambetta, Victime de bombardement en son domicile
- SCHOLTÈS Lucie Anna – 20 ans, 34 rue de Witry, Décédée en son domicile
Jeudi 16 septembre
Les luttes d’artillerie se sont poursuivies avec intensité au nord et au sud d’Arras, ainsi que dans la région de Roye.
Lutte à coups de bombes et de grenades sur le plateau de Quennevières, dans la région de Lihons, et au bois de Saint-Mard.
Sur le canal de l’Aisne à la Marne, l’activité des deux artilleries s’est concentrée sur le front de Berry-au-Bac à la Neuville, où l’ennemi attaque la tête de pont de Sapigneul. Canonnade un peu ralentie au nord du camp de Châlons.
Lutte de mines dans l’Argonne. Une batterie ennemie a été détruite sur les Hauts-de-Meuse. Actions d’artillerie en forêt d’Apremont, au bois Le Prêtre et dans la région de Saint-Dié.
La poussée allemande continue, plus ou moins retardée, sur le front oriental, dans la région de la Dvina. Mais plus au sud, les ennemis ont été à peu près partout refoulés, particulièrement près de Wisnewietz et en Galicie. Au total, ils ont perdu 12000 hommes en un jour, et leurs pertes en prisonniers, dans les deux dernières semaines, ont atteint 40000.
Les Italiens ont repoussé des attaques autrichiennes en Carnie et sur l’Isonzo. Ils ont forcé à la fuite une escadrille d’avions qui venait sur Udine.