Abbé Rémi Thinot

13 SEPTEMBRE : Une tempête épouvantable la nuit…

Ce matin, de bon matin, du mouvement en ville. Je sors à 6 heures. Déjà, des bandes de garnements pillaient les pauvres restes de l’ennemi ; paille, boîtes etc… sur la Place du Parvis.

Un petit troupier vient d’arriver en courant place Royale et d’ajuster un Prussien – qui se sauve en vain avec quelques autres ; ils sont attendus plus loin par – toute une patrouille et faits prisonniers. Un certain nombre d’ennemis ont été ainsi ou bien fusillés, ou bien faits prisonniers.

La troupe envahit la ville ; ce sont des cris de joie. Des drapeaux surgissent aux fenêtres ; on embrasse les soldats.

En vérité, il y a encore du monde à Reims ; la rue de Vesle en est noire, la Place Royale également.

A la cathédrale, dans la partie réservée au culte, les messes sont dites comme d’habitude. Je dois, moi, dire celle de 10 heures.

Le canon tonne encore, mais au nord cette fois ; c’est l’artillerie française sur les derrières de l’armée allemande.

Nous sommes délivrés – mais pour combien de temps? Je suis angoissé au fond. J’ai dans l’idée que nous n’avons pas vu la fin de 1’invasion… et pas le pire encore. Je prie Dieu de tout cœur que je me trompe !

De vives acclamations arrivent jusqu’à moi. Les troupes entrent probablement. Le canon semble s’éloigner.

4 heures 1/2 ; après Vêpres ; Avant déjeuner, suis allé jusque chez G-H. Mumm avec le P.Paulot pour voir des officiers français blessés. C’était une fausse indication ; il n’y avait que des soldats et des officiers allemands.

A déjeuner, Poirier me raconte comment il a suivi la bataille ce matin, étant dans « sa tour » avec les officiers français, qui en avaient pris possession pour diriger leur tir. Quand il est descendu pour venir chez moi, le commandant venait de faire préparer le feu sur Cernay, où on savait qu’il y avait encore beaucoup de fantassins allemands On voulait les forcer à en sortir pour ensuite « arroser” les pentes par lesquelles ils devaient s’éloigner.

A l’heure qu’il est, je ne sais ce qu’il en est de Cernay ; rien n’y paraissait anormal tout à l’heure avant Vêpres, alors qu’un grand incendie était allumé du côté de Courcy.

J’entends le canon bien plus éloigné en ce moment. Les batteries établies près de Pommery, puis au champ de grève ont fait le « saut » en avant, un grand saut ! Les officiers se plaignaient qu’on perdît du temps et que la poursuite fut trop molle… Les allemands, établis derrière les hauteurs boisées de Berru-Nogent-Cernay étaient très difficiles à repérer. Heureusement, l’éclatement de leurs projectiles se faisant toujours très haut, leur canonnade n’est pas très redoutable.

C’est déjà la foire aux casques à pointe, fusils, baïonnettes, ceinturons etc… Du faubourg de Paris et d’Epernay, ils se sont précipités pour explorer le champ de bataille. Poirier a eu d’un gamin un casque pour vingt sous !

Je suis ce soir tout mélancolique, triste.

La principale cause en est à ce que ces jours comportent d’anormal et d’angoissant, mais encore à tout ce qu’il faut côtoyer – même en des temps aussi austères – d’ambitions et de vaniteuses préoccupations. Chacun veut s’assurer un petit morceau de gloire… et fait rectifier sur le journal si le morceau à lui départi n’est pas aussi glorieux qu’il l’a rêvé. Plus d’un s’occupe de ce qui ne le regarde pas… ainsi ceux qui sont allés ce matin remplacer le drapeau blanc et celui de la Croix Rouge sur la cathédrale, par le drapeau tricolore, ce qui n’était peut-être pas indiqué encore pour passer à la postérité !

Mais, ai-je le droit d’être sévère pour juger de ces choses ? Que suis-je moi-même pour juger?

6  heures ; On vient de mitrailler un avion allemand qui survolait Reims ; il a échappé. Deux autres français, passent en ce moment au-dessus de la cathédrale.

Le soleil couchant est magnifique !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Juliette Maldan

Dimanche 13 septembre 1914

Au petit jour, vers cinq heures, des coups de fusil retentissent dans le silence de la nuit. Que se passe-t-il ? … Nous guettons, angoissés, les vagues rumeurs, les détonations lointaines…

Tout à coup des acclamations retentissent, des cris : « Les français ! ce sont les français ! »

En un instant, le cœur battant, on est aux fenêtres…

En effet, quelques soldats français, noirs de poudre, couverts de boue, exténués mais rayonnants, font irruption dans les rues !

De toutes les maisons, en un clin d’œil, comme un incendie qui s’allume, le drapeau tricolore surgit !

L’heure est indescriptible et inoubliable…

Nous courons vers la Place Royale.

Sous le soleil du matin, nos troupes s’avancent fièrement, portant la fatigue du combat, mais surtout la joie de la victoire. Sur leur passage, on applaudit frénétiquement, on leur jette des fleurs… Les soldats ont tous le canon de leurs fusils enguirlandés, et des gerbes improvisées se tendent vers les officiers.

Dans la foule reconnaissante, enthousiaste, qui se presse au-devant de nos troupes, des larmes d’émotion tremblent dans bien des yeux… Mais le drapeau, surtout le drapeau, quelle émotion salue son passage, sa rentrée !…

14 Il faut avoir mesuré toute la tristesse, l’humiliation que comporte l’occupation ennemie, pour apprécier à sa valeur, la fierté et la joie de cette heure où un patriotisme ardent vibre dans tous les cœurs !

Non, vraiment, les jours de souffrance qui ont précédé, n’ont pas acheté trop cher une telle heure !

Je quitte ce spectacle pour aller entendre une messe matinale à la cathédrale… Là, les traces de la domination allemande pèsent encore. L’odeur de paille qui monte de la grande nef, ferait croire que l’on pénètre dans une grange immense, toute pleine de récoltes nouvelles. Puis, cette cloison qui se dresse dès l’entrée du petit portail, confine les fidèles dans l’arrière-chœur.

Mais, ce qui console de tout, fait tout oublier, c’est la vue des uniformes français remplaçant de su près les uniformes allemands ! Nos chers soldats prient, communient avec ferveur, et comme cela semble bon de les contempler de nouveau au milieu de nous !

Dans la matinée nos troupes, qui emplissent la ville, campent un peu partout. L’artillerie reste pendant une partie de la journée installée dans notre rue. Ils sont fatigués, ils ont faim, nos braves soldats, et de toutes les maisons, on leur apporte et leur distribue des vivres. Des femmes du peuple tendent leurs tabliers, tout gonflé de morceaux de pin, qu’ils dévorent à belles dents.

Nos dernières provisions y passent, mais combien volontiers on vide les armoires ! Dans la rue, et tout le long du jour, nous distribuons, et avec enthousiasme, tout ce que nous pouvons trouver, à ces chers soldats qui ont faim, et font honneur à ce qu’on leur offre. Ce sont les régiments du Nord, toujours sur le front depuis le début de la guerre. Ils se redressent et disent fièrement avec leur accent : « Nous sommes les gars du Nord ! Nous avons bien travaillé ! » – « Oh ! oui, vous avez bien travaillé, merci ! »

On applaudit les officiers qui passent, on leur tend toujours des fleurs.

Il y a tant de fleurs aux canons des fusils, que l’on se demande d’où peut surgir une telle moisson…

Devant la maison, des artilleurs qui n’en n’ont pas, en réclament.

En hâte, je cueille les dernières fleurs du jardin, frêles fleurs d’automne, qui finissent de s’épanouir, et je les distribue à ces mains noires de poudre qui se tendent vers moi…

La joie enthousiaste de ces heures a détourné l’attention du canon qui gronde toujours autour de nous, et qui, aujourd’hui, ne semble plus pouvoir faire du mal, puisque les troupes françaises sont là, revenues au milieu de nous pour nous défendre.

Avec la mobilité du caractère français, la foule passe brusquement, et sans transition, de l’angoisse à la confiance. Pourtant, hélas, tout est loin d’être fini ! Le canon gronde plus violemment que jamais, à la fin de l’après-midi. Quand je sors de la cathédrale, après les vêpres célébrées dans l’arrière-chœur, un Te Deum était chanté, non pas encore, certes, pour le succès de nos armées, lu ? le curé l’avait précisé, car ce succès est trop fragile encore, mais pour l’élection du nouveau pape, dont le nom nous est enfin connu.

Tout le chapitre, les vicaires généraux, sont groupés autour de l’autel. Les beaux offices solennels sont loin ! Cette cérémonie réduite, hâtive, au son du canon, dit bien haut la guerre. Mais qui pourrait prévoir que c’est le dernier office dominical célébré dans la cathédrale !

A la sortie on se retrouve, on cause avec joie après les émotions de la veille et du jour.

Comme le Dimanche précédent, on se retrouve encore groupés dans notre grand salon. Charlotte de Bruignac nous donne d’intéressants détails, et nous raconte ses émotions de la veille, et le danger qu’elle et son mari ont couru, hier soir, sur la place du Parvis, où ils ont été poursuivis par un allemand qui braquait sur eux son révolver… Les sorties du soir sont à éviter en ce moment !…

Après le départ des visiteurs, nous sortons encore vers six heures pour aller prendre des nouvelles d’une amie.

Une foule en fête emplit les rues.

Pourtant, les grondements tous proches ne cessent pas. Des obus éclatent avec un bruit sec, sur le faubourg Cérès, des avions allemands survolent la ville, et passent comme des oiseaux sinistres au-dessus de nos têtes. Ils lancent des bombes, et surtout, cherchent à repérer les positions de notre artillerie. Nos aviateurs les poursuivent, et le bruit de ce combat aérien, mêlé au combat ininterrompu de la terre, n’est pas rassurant pour les promeneurs. La paix est loin de nous, hélas ! Reims, plus que jamais se trouve dans la bataille !…

Le soir, on proclame l’interdiction de sortir de ses maisons, où d’y garder de la lumière une fois huit heures.

En face de ma chambre, à l’entrée de la rue de Luxembourg, des soldats construisent hâtivement une barricade.

D’autres sont dressées dans le faubourg Cérès, et un peu partout. Évidemment, on craint pour cette nuit un retour offensif de l’ennemi, et un combat dans les rues.

Les consignes ne plaisantent pas. Des soldats viennent frapper violemment à la porte de la maison, parce qu’une faible lueur filtre encore d’une des fenêtres.

La ville entière est plongée dans l’ombre. Dans l’obscurité des rues, on entend résonner le pas lourd des chevaux et le cliquetis des armes. De ma fenêtre, j’essaie, dans le noir, de me rendre compte du mouvement des troupes, mais c’est peine perdue…

Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.

Louis Guédet

Dimanche 13 septembre 1914

4h matin  Je viens d’interpeller l’employé du gaz qui éteint les becs pour lui demander s’il connaissait du nouveau. Celui-ci me dit que dans sa tournée il n’a pas vu un Prussien. Que le parc à fourrage a été brûlé par eux. Que les Français seraient à Reims au Pont de Vesle.

Serions-nous débarrassés à jamais de ces bandits qui nous aurons tenus sous l’étreinte de la terreur pendant 10 jours ! du 3 septembre au soir au dimanche matin 13 septembre 1914. Mon Dieu que ce soit bien vrai !

5h20  Une vraie tempête toute la nuit, en ce moment le vent souffle en tempête, la pluie gicle presque horizontalement. Il fait froid.

5h25  Un chasseur à pied français se défile le long de la rue de l’Étape et traverse la rue de Talleyrand vers la rue du Cadran St Pierre !! Vive la France.

« Adèle, mon drapeau !! »

Je cours aux nouvelles à 5h30.

10h matin  Je suis le premier de la rue de Talleyrand qui ait vu le premier soldat français, un chasseur à pied, et qui ait arboré mon drapeau. En criant « Vive la France ! » au risque d’ameuter tout le quartier, ce qui a eu lieu. Je ne me connaissais pas une aussi forte voix !

Je pars du côté de la Cathédrale, rencontre Degermann qui me dit que les otages sont partis du côté de Rethel. Je continue au Poste de Pompiers, un pompier, le gardien qui me connait me dit qu’au contraire les otages ont été relâchés hier soir. Je reviens sur mes pas en jetant un coup d’œil sur la place du Parvis où l’on pille une voiture de fourniment de soldats. Je cours chez M. Bataille que je vois à sa fenêtre causant avec M. Demoulin, l’homme de confiance de Léon de Tassigny, je cause un instant avec mon Beau-père qui en somme a été emmené avec tous les otages jusqu’au Linguet, route de Rethel vers Witry-lès-Reims où là on les relâche vers 6 heures. A 7h il était rentré chez lui.

Je pousse jusqu’à la Porte Mars où gisent un cheval et un cavalier tués sur le trottoir du petit square qui entoure la porte Romaine. Côté des Promenades, en face la maison de Madame Lochet 2, rue Désaubeau, à quelques pas plus loin, vers la place de la République sur le même trottoir, une charrette, un cheval tué et un soldat allemand mort. Tous tués par nos soldats il y a quelques minutes.

Je rentre chez moi. J’aperçois des prisonniers prussiens qui descendent vers la rue de Vesle. Je vais tâcher de les voir par St Jacques où j’entre après tout pour entendre la messe qui commence justement. Je remercie Dieu et je lui demande de me réunir bientôt, le plus tôt possible, aux miens et surtout d’avoir de leurs bonnes nouvelles et de savoir qu’ils sont sains et saufs.

En sortant de St Jacques je remonte la rue de Vesle, j’aperçois Guichard avec un mousqueton saxon poignard au canon, et un autre qui fonce dans le couloir du Cygne Rouge où, parait-il, sont des femmes qui ont couché avec des soldats allemands et les renseignaient…  si Guichard les trouve, je suis  sûr qu’elles ne feront pas long feu.

J’arrive à la Cathédrale. J’entre au Lion d’Or pour revoir ma chambre d’otage n°21 et bien la repérer. C’est fait, on peut voir le plan plus haut, puis j’entre à la Cathédrale. On dit la messe à la chapelle du cardinal. Je me faufile entre les toiles tendues qui masquent la nef où devaient être parqués les blessés allemands par ordre (ils n’ont que ce mot à la bouche avec ceux de fusillade et de pendaison)… Là des tas de paille formées en litière et en ligne le long des bas-côtés à droite et à gauche, et également deux longues litières à droite et à gauche de la grande allée de la nef.

J’aperçois l’abbé Camu, je le félicite de son rescapage d’hier soir, il était dans les 80 à 100 otages qu’on devait pendre. Puis en remontant vers le grand portail, je vois l’abbé Dage avec le sauveteur Ronné, 87 rue de Merfy, qui, tenant un drapeau tricolore, se dirigent vers la porte de l’escalier de la Tour. Je m’informe auprès de l’abbé Dage qui me dit que ce que je suppose est juste et qu’il va accompagner M. Ronné, délégué par le Maire, pour hisser le drapeau en haut de la tour Nord. C’est lui qui du reste à déjà arboré, au risque de se faire tuer avec l’abbé Andrieux, le premier drapeau blanc hissé sur cette tour le 4 septembre 1914 vers 10h du matin pendant le bombardement. Cet honneur de placer (à la place du drapeau blanc) nos couleurs lui revenait bien.

« Allons », dis-je à l’abbé ! « Je vais avec vous ! »

« Oui, venez ! » Nous voilà grimpant le colimaçon qui n’en finit pas. Ronné le 1er avec son drapeau roulé (il vient des Galeries Rémoises), l’abbé Dage le 2ème et moi le dernier. J’ai moins l’habitude qu’eux. Enfin nous arrivons à la sortie de la première plateforme sous les cloches. Mais impossible de passer le satané drapeau qui est trop grand par le petit couloir qui débouche sur la plateforme près des cloches déposées là (en attendant qu’on les reposent) près de la porte qui conduit sous la toiture au carillon. Nous essayons de toutes les manières mais pas moyen. Il est toujours trop grand !

Bref, je dis ou plutôt je crie à Ronné : « Passez donc dehors, nous vous le passerons, le tendrons par une meurtrière ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Il grimpe comme un chat derrière un des Grands rois, passe, repasse, regrimpe. De notre meurtrière avec l’abbé Dage nous passons le drapeau et nous le déroulons un peu en criant à Ronné : « Le voyez-vous ? » – « Oui, j’arrive !! » Il le saisit. Et revient près de nous sur la plateforme le tenant à la main. « Sauvés mon Dieu ! »

Pendant que l’abbé attendait le sauveteur, n’ayant rien de mieux à faire, je grimpe l’escalier à jour de la fameuse tour Nord et j’arrive bon premier en haut de la plateforme. Encore une échelle à grimper pour arriver enfin sur la plateforme en bois qui a été édifiée pour un poste de télégraphie sans fil. Au pied de cette plateforme je vois un plateau à hauteur d’homme auquel les allemands avaient accroché un téléphone et un appareil de signaux à réflecteurs, le fil monte ensuite sur la plateforme en bois, au bout duquel se trouve une lampe électrique. Je prends la lampe et laisse la douille sur la plateforme en pierre derrière l’échelle, et au pied je vois 3 bidons de pétrole oubliés là par les allemands. En attendant mes deux compagnons j’inspecte les environs. Quel joli panorama, le ciel est pur. Quel dommage que je n’ai pas ma lorgnette ! Vois Cernay, Nogent et la Pompelle, on tire le canon. Je vois très bien les éclairs des canons et les fumées des obus qui éclatent. Nos troupes progressent et refoulent les allemands, qui, à mon avis, se défendent mollement.

Mes deux compagnons arrivent. Nous nous attaquons aux deux drapeaux arborés, un blanc et un de la Croix-Rouge. Le drapeau blanc avait été mis il y a quelques jours par les allemands eux-mêmes en remplacement du premier mis pendant le bombardement et fait avec la moitié d’un drap de lit d’un des officiers parlementaires allemands qui avaient couchés à l’Hôtel de Ville. Ce 2ème drapeau blanc était beaucoup plus grand et d’une toile plus fine. Je l’ai presque en entier, j’ai aussi un morceau du premier qui est d’une toile fort grossière. Le drapeau de la Croix-Rouge est de belle flanelle, arboré hier seulement quand les allemands avaient ordonné de mettre leurs blessés dans la Grande nef de la Cathédrale. Nous sommes obligés de déchirer ces drapeaux, de les couper, de couper les cordes, c’est un vrai travail. Enfin c’est fait, nous avons la hampe, le mat, la perche auxquels ils tenaient. Nous enlevons la tête de loup qui avait servie de hampe de fortune au 1er drapeau blanc. Je lui fais piquer une tête en bas de notre plateforme, sur la plateforme en pierre.

Nous ficelons et reficelons notre drapeau tricolore que j’avais au préalable déployé et montre aux curieux qui nous regardaient de la rue de Vesle près du Théâtre et près de chez Jules Matot au coin de la rue des 2 Anges (cette rue a disparue en 1924 avec la création du Cours Langlet). Je l’agite. On applaudit, j’entends très nettement les battements des mains malgré le vent qui souffle en tempête. Enfin voilà notre drapeau est ficelé. Il s’agit maintenant de le dresser et de le ligoter et l’ancrer contre la balustrade en bois de la plateforme. Ce n’est pas un petit travail, car le drapeau flottant, claquant est dur à tenir pendant que Ronné le ficèle avec une grosse corde. Je mets toutes mes forces à le maintenir droit pendant qu’il enroule la corde. Çà y est ! Mais comme le vent qui vient de l’ouest le fait pencher, je dis à Ronné d’attacher encore une seconde grosse corde que je trouve là, abandonnée au milieu de la hampe contre l’étoffe et d’arquebouter cette corde à la rambarde en planche qui forme balustrade. La hampe se tient maintenant bien droite et ne fatigue plus. Il faudrait un autre vent pour casser notre drapeau, et Dieu sait s’il soufflait, nous pouvions à peine nous tenir debout là-haut. Et ça cornait dans les planches des meurtrières !

Flotte !!! Plus loin ! Reste !! ô mon Drapeau !! là-haut toujours !! Il est 8h1/4 juste

Ici j’ouvre une parenthèse en revoyant cette plateforme : hier durant toute la bataille les allemands au nombre d’une dizaine  s’y sont tenus, faisant des signaux avec de petits drapeaux. Ce n’est que vers 5h qu’il n’en n’est plus resté qu’un ou deux sur cet observatoire. Toujours avec leurs drapeaux signaux. Pour eux la bataille était perdue.

Avant de descendre j’écris sur une feuille ci-jointe de mon carnet au crayon ces mots :

« A 8h1/4 dimanche 13 septembre 1914, le drapeau français a été arboré sur la tour Nord de la Cathédrale par : M. Ronné, de la Cie des sauveteurs, rue de Merfy 87 ; M. l’abbé Dage, Directeur de la Jeunesse Catholique et M. Guédet, notaire à Reims ».

En foi de quoi nous avons signé :

(signé)  L. Ronné,

  1. Dage,
  2. Guédet

J’ai un petit morceau rouge de ce drapeau.

Il est 8h1/4 juste.

Flotte ! Claque ! Frisonne ! ô mon cher drapeau ! reste et demeure là-haut ! Toujours !!

Nous redescendons, moi avec mon ballot de drapeaux et une chaise que les allemands avaient abandonnée sur la plateforme en bois. Ronné lui s’empare des 3 bidons pleins, deux gros et un petit, pour les déposer à la mairie. Il prend les 2 gros et l’abbé le petit.

4h10  La bataille continue au nord et à l’est de Reims, mais la canonnade et la fusillade est beaucoup moins nourrie qu’hier. J’écris et ma pensée est ailleurs. Je souffre moralement à ne pas croire. Je crois que je n’y résisterai pas si d’ici peu je ne suis pas fixé sur les miens et si je ne sais pas bientôt qu’ils sont sains et saufs. Je crois que je n’ai pas encore autant souffert et d’une façon aussi angoissante. Mon Dieu auriez-vous pitié de moi ! J’ai déjà tant souffert, je n’ai plus de courage, je suis comme une loque.

8h35 soir  Alerte ! Je devais loger un officier de ravitaillement, et pendant que je dinais l’ordonnance dit à ma domestique qu’il allait revenir chercher les bagages, car son officier devait se tenir prêt à toutes éventualités ! Je cours chez mon Beau-père, rencontre en route l’ordonnance qui vient chercher les bagages de mon officier d’administrat… ion, et me dit qu’à partir de 8h on ne doit plus sortir. Je me risque, bien entendu, M. Bataille ne sait rien et me montre une affiche plus jolie que celle de Messieurs les Prussiens, disant qu’on ne voulait pas de rassemblement et qu’on rentre chez soi. C’est parfait.

En revenant je me cogne sortant de chez Bayle-Dor à un commandant d’artillerie. Je l’accoste et lui demande quelques renseignements. Alors il me tranquillise, et me dit : « Vous êtes comme le volant entre 2 raquettes, nous nous tenons prêts à toutes éventualités, avant ou arrière. Je comprends et nous causons, je le reconduis jusqu’à chez M. Delahaye mon client. Les allemands sont allés jusqu’à Vitry-le-François (mes pauvres chéris, femme et enfants !!) et il me dit sur une réflexion de moi : « Alors Commandant, la campagne de 1814 ? » – « Oui, absolument et fort intéressante !! mais en plus, le succès au bout, ce sera dur. »

(Voir l’article de M. de Mun dans l’Écho de Paris du 2 octobre 1914)

Et du dehors ? Lemberg est pris, les autrichiens battus, et les Russes vont faire le rabat sur Berlin. En Prusse orientale stationnement. Les serbes ont repris Belgrade. Une auto nous arrête devant chez M. Delahaye. Adieu, au revoir ! et je rentre chez moi.

Alors ma femme et mes enfants ? Les sauvages sont allés jusqu’à Vitry-le-François, je n’ai pu savoir quand, quel point d’interrogation !

En tout cas, cet officier me disait : Cette mesure d’arrêt n’est pas surprenante, car depuis 6 jours nous les ramenons « tambours battants ». Alors vous comprendrez qu’on est un peu essoufflé de part et d’autre. C’est le résumé de ce que vous voyez, on se repose, on se tâte, pour combien de jours cette situation d’attente ? D’un autre côté l’état moral de nos troupes est parfait. Entrain, sang froid, endurance, souplesse !

A quelle sauce serons-nous mangés demain ? Française ou Prussienne ?

Cet officier m’a fait une impression de confiance que je ne connaissais pas encore… chez nous !

9h  Je regarde à ma fenêtre. En face du coiffeur et du bijoutier des cyclistes font un barrage de fortune avec des caisses ? Que diable cela veut-il bien vouloir dire. Du côté du boulevard de la République un bruit de cavalerie et d’artillerie. Franchement ce sera la vinaigrette qui nous assaisonnera.

Oh ! mon Dieu ! Sans nouvelles de mes chers aimés, femme ! enfants ! Père ! Je m’en moque, et si je savais que je ne dois plus les revoir, je ne penserais même pas à m’inquiéter, je m’en amuserais. Car si je n’avais pas à songer aux miens, ce serait fort intéressant de voir tout ce qui se manigance durant tous ces jours-ci. Ah si j’avais l’esprit libre de tous soucis, comme j’observerais comme je consignerais pour mes petits enfants ! mais je souffre et je n’ai pas le moyen de me mettre à l’affut de toutes ces petites péripéties journalières qui donnent bien l’impression de la mentalité d’une ville comme Reims pendant des journées aussi tragiques par lesquelles nous passons. Vivons !! Ce sera de la chronique vécue au point d’être un peu de l’Histoire.

Barrage complet de la rue de Talleyrand hors rues de l’Étape et Cadran St Pierre. Cogne et Le Roy forment la ligne de séparation.

Je suis donc dans la zone de l’État-major, nous serons bien gardés et nous pourrons dormir.

La garde française est plus agréable car tous les imbéciles curieux vont se terrer, tandis que devant les Prussiens on pouvait sortir même sans caleçon de bain. C’eut été si agréable de pouvoir avoir une bonne petite raison, occasion de fusiller « un cochon de Rémois » ! le mot passera à la postérité, comme les pendaisons !!

Franchement j’aime mieux la manière française, elle est plus saine, tandis que l’autre, elle est malpropre. Gaulois…  Germains…  la même initiale, mais pas la même terminaison. Je crois qu’une nuit agitée se prépare encore, à moins que…  J’aime mieux dormir tout de même sous les baïonnettes françaises que sous les bottes prussiennes, et puis enfin j’ouvre ma fenêtre et je respire, et je puis regarder.

11h  Je suis descendu dans la rue donner un cigare au poste qui barre la rue de Talleyrand. Je cause de choses et d’autres, et un officier des ambulances vient nous voir. C’est un jeune confrère ! Maurice Damien, notaire à Marchiennes (Nord) (carte de visite en pièce jointe). Nous causons, nous bavardons, je le quitte en lui disant au revoir.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Nous sommes réveillés à 5 heures, par deux coups de fusil tirés dans le voisinage et entendus très nettement. Où en sommes-nous, que se passe-t-il et que nous réserve la journée de ce dimanche ?

A 6 heures, je suis dehors, me dirigeant vers la place royale ; dans le court trajet à effectuer pour y parvenir, je suis rejoint par M. luta, fondé de pouvoirs de la maison de champagne Maréchal & Cie et interprète volontaire à la Mairie, qui me dit en passant :

« Allons les voir. »

A son air joyeux, j’ai compris qu’il s’agit de nos soldats. Il va vite, court presque ; je le suis un instant et il m’annonce que les Français sont dans l’avenue de Paris, depuis hier soir, 20 h.

Quelques minutes après, j’ai en effet le plaisir de voir un de nos cyclistes militaires traverser la place, puis, en descendant la rue Carnot, de croiser deux ou trois fantassins isolés, formant sans doute l’extrême pointe d’avant-garde du corps d’armée qui s’apprête à reprendre possession de la ville de Reims, car ils avancent prudemment, tenant en mains leur fusil, baïonnette au canon et, à hauteur du palais de justice, j’aperçois un groupe de quelques officiers. Malgré l’heure matinale, il y a déjà une animation considérable le long de la rue de Vesle. Tous les visages sont radieux et les drapeaux sortent aux fenêtres, les uns après les autres.

Je me hâte de rentrer, suffisamment fixé, pour annoncer, sans tarder, à la maison la bonne nouvelle de notre libération, et je pense, chemin faisant : « Nous allons donc respirer à l’aise ». On ne peut, il est vrai, se défendre d’éprouver au moins de la gêne, même quand on n’aurait rien à se reprocher, lorsque des menaces sans cesse aggravées sont continuellement suspendues au-dessus d’une collectivité dont on fait partie. Espérons que le régime de l’occupation est bien fini. Il n’est plus question de sujétion. Nous avons retrouvé notre liberté.

En me voyant pavoiser, nos enfants eux-mêmes se réjouissent. Ils vont pouvoir enfin s’ébattre, car depuis plusieurs jours, nous leur avions expressément défendu de sortir en ville ; confinés à la maison, ils avaient dû se contenter de prendre un peu l’air dans la cour et le petit jardin de l’établissement.

C’est avec confiance et dans une grande tranquillité d’esprit que nous attendons nos troupes, qui certes, vont recevoir un accueil enthousiaste.

Dans le courant de la matinée, nous voyons arriver les premiers régiments de la 5e armée, commandée par le général Franchet d’Esperey.

Les 127e et 33e d’infanterie défilent dans la rue Cérès, montant vers le faubourg. Vient ensuite le 27e d’artillerie, qui fait halte tout le long du faubourg et de la rue Cérès, de la rue Carnot, de la rue de Vesle et laisse passer les 73e et 110e d’infanterie.

Nous ne nous lassons pas de regarder nos soldats. La foule s’est massée sur leur trajet. La ville est en fête ; le pavoisement est devenu général et sur la cathédrale ainsi qu’à la façade de l’hôtel de ville, le drapeau blanc a fait place aux couleurs nationales.

Les Rémois cherchent à manifester leur contentement en faisant plaisir aux troupiers.

A la maison Hennegrave (anciennement Petitjean) sur la place royale, on leur distribue en hâte, au fur et à mesure de leur passage, une quantité considérable de pain d’épice, de nonnettes, etc. L’un de nos voisins, plus loin, est occupé à verser dans les quarts qui lui sont tendus, du café chaud, et sans cesse, il retourne remplir sa cafetière dès qu’elle est vide. Le long de la rue Cérès, chacun tient à leur offrir soit du pain, du vin ou du chocolat, des cigares, des cigarettes, des allumettes, etc. Pour tout le monde, c’est un besoin d’expansion. Des bouquets sont remis à bon nombre d’officiers qui sont aussi heureux que leurs hommes de semblable réception. J’entends un capitaine d’infanterie, dont la selle est garnie de fleurs, dire en passant à un lieutenant du régiment d’artillerie au repos :

« C’est plus agréable que la retraite, hein ! »

et celui-ci sourit en répondant :

« Ah oui ».

Naturellement, l’espoir dans le succès définitif et rapide de nos armées, est plus vivace que jamais.

Tout à l’heure, j’ai causé avec quelques canonniers d’une pièce qui stationne à hauteur de notre rue de la Grue, particulièrement avec l’un d’eux, tout jeune, qui à son tour avait voulu faire plaisir à nos enfants, en leur donnant un biscuit de troupe, et, comme je m’étonnais que l’ordre d’avancer ne soit pas donné aux batteries que nous voyons immobilisées, depuis leur arrivée, tout le long des voies suivies par l’infanterie, il m’a répondu très simplement :

« Nous n’avons plus rien dans nos caissons ; que pourrions-nous faire, sans obus ? ».

Nous nous sommes mis réciproquement au courant des événements de la semaine et il m’a appris que la bataille dont nous avons eu les échos, avait commencé le 6, que son régiment, dès ce jour, prenait part aux opérations dans la région d’Esternay et qu’il n’avait cessé de donner jusqu’à hier, tout près de Reims.

A 13 heures, le général Franchet d’Esperey (ancien lieutenant-colonel du 132e d’infanterie, à Reims) vient à l’hôtel de ville, avec son escorte, pour saluer la municipalité, qui s’y tenait en permanence.

Vers 17 h 1/4, tandis qu’à la maison, nous nous entretenions avec mon beau-frère L. Montier et ma sœur de l’heureuse délivrance de notre ville, une vive fusillade assez proche, se fait entendre. Nous montons sur la terrasse et nous voyons un aéroplane – allemand, très probablement – filer vers l’est, poursuivi par des détonations de shrapnells ; il semble échapper ; puis d’autres aéros en reconnaissance apparaissent. C’est pour nous, un spectacle nouveau – nous ne pouvons rien en déduire.

Nous avons su que les coups de fusil entendus ce matin, avaient été tirés par un soldat, de la place royale, sur deux Allemands, l’un montant un cheval et l’autre conduisant une charrette, qui filaient par la rue Colbert. Ils n’avaient pas été atteints, mais arrivés près de la porte Mars, l’un d’eux ayant fait feu sur les premiers éclaireurs qui circulaient vers cet endroit, les nôtres ripostant, avaient tué les chevaux et les deux hommes.

Des prisonniers, traînards ou isolés, n’ayant pas été prévenus à temps d’avoir à déguerpir, ont été faits en ville, par-ci, par-là, en certains endroits par groupes. Ils se laissaient prendre lorsqu’ils étaient découverts. Les gamins, ce matin, indiquaient aux soldats où ils pouvaient trouver des Boches, disant :

« Venez par ici, j’en ai vu un« , ou bien : « il y en a encore là« .

Chez notre boulanger, rue Nanteuil, il s’est passé, hier, une scène amusante. Un Feldwebel était venu dans la matinée, pour réquisitionner le pain et, afin de s’assurer qu’il ne serait rien prélevé, pour la clientèle, sur la fournée en cours, il avait laissé sur place, un homme de faction. Lorsqu’il était devenu évident que la retraite se précipitait, quelques ménagères s’étaient risquées à venir voir s’il ne serait pas possible d’avoir tout de même de quoi manger. L’Allemand était toujours là, de surveillance et c’est alors qu’un client facétieux arrivant à son tour, lui dit brusquement :

« Mais, mon vieux Fritz, si tu ne veux pas rester ici tout le temps, c’est le moment de f… le camp ».

Aux éclats de rire qui suivirent cet avertissement, il comprit qu’il n’avait qu’à rejoindre au plus vite, ceux qui passaient encore rue Cérès. ‘

– Jusque 18 h 1/2, le canon a tonné fortement, mais on est en plein à la confiance ; cela paraît moins inquiétant que la veille et peut s’expliquer par ce fait que les troupes françaises ont repris position à peine hors de la ville, aussitôt après l’avoir traversée, afin de continuer le mouvement offensif déclenché par la bataille de la Marne, sur laquelle nous avons été très heureux de pouvoir obtenir aujourd’hui quelques détails, venus confirmer le peu que nous en avions appris, pendant l’occupation.

– Le Courrier de la Champagne, dans son numéro de ce jour, dit ceci, intitulé : « Du calme jusqu’au bout ».

« Ainsi que nous avons eu occasion de le dire déjà sous diverses formes, il faut que, pour le moment, nos concitoyens restent très réservés dans leurs appréciations sur les événements.

Nous sommes encore trop près des lignes de combat pour qu’il ne soit pas nécessaire d’être prudent et calme, afin d’éviter des représailles éventuelles.« 

Il publie également cette nouvelle :

 » Le prince Henri de Prusse à Reims

Le prince Henri de Prusse, cousin de l’empereur se trouvait hier de passage à Reims. Il a passé la nuit (du 11 au 12, évidemment) à l’hôtel du Lion d’Or, où il occupait les chambres 22 & 23. Quatre personnalités rémoises ayant été demandées comme otages, pour passer la nuit dans des chambres voisines, la municipalité avait désigné MM. Fréville, Guédet, Le Jeune et Rohart.

Puis, il donne les prix pratiqués le 12 sur le marché, disant :

Le grand marché du samedi était relativement bien approvisionné.

Les légumes et primeurs n’ont pas subi de hausse appréciable.

Des fruits avaient été amenés au début du marché, particulièrement un lot de raisins. Toute cette marchandise a été, en presque totalité réquisitionnée.

Le beurre fait toujours défaut. »

Enfin, sur les événements qui se sont passés hier, tout près de Reims, il s’exprime ainsi :

 » La bataille de Reims et les tirs de l’artillerie

C’est au bruit du canon et de la fusillade qu’a été rédigé et composé le présent numéro. Nous félicitons et remercions nos collaborateurs, d’avoir exécuté comme d’habitude leur labeur quotidien, sans souci de l’orage de balles et de mitraille qui faisait rage autour de nous.

Une bataille extrêmement vive a eu lieu, aux portes de notre ville, bataille qui portera sans doute dans l’Histoire le nom de bataille de Reims.

Commencée dans les premières heures de la matinée, elle a atteint son maximum d’intensité à partir de midi, pour ne se terminer qu’à la nuit.

Notre consigne nous empêche d’en dire plus long sur cette bataille. Mais nous voudrions, tout au moins, donner ici quelques indications sur les tirs de l’artillerie, sujet tout d’actualité qui intéressera certainement beaucoup de personnes. « 

A la suite de cette partie d’articles, le journal donne des explications d’ordre technique sur les bouches à feu utilisées actuellement par l’ennemi et par nos armées, leurs calibres, leurs portées, les différentes sortes de projectiles qu’elles envoient, afin de communiquer aux Rémois une idée aussi précise que possible du grandiose duel d’artillerie qu’ils ont si bien entendu.

– Après dîner, un bruit régulier et prolongé m’attire vers la rue Eugène Desteuque. J’y vois passer, l’arme à la bretelle, les hommes d’un des régiments d’infanterie dont j’ai retenu le numéro ce matin, tandis qu’ils étaient dirigés à l’extrémité de la ville par la rue et le faubourg Cérès, alors qu’ils en reviennent maintenant pour être conduits on ne sait où…

Quelques voisins seulement sont venus là, parmi lesquels le commis, d’une quinzaine d’années, de l’épicerie Jacquier, rue Cérès, qui bientôt, n’y tenant plus d’obtenir une explication du mouvement rétrograde qui s’effectue, demande à plusieurs reprises, à haute voix :

« Eh ben quoi, les gars ! ça ne va donc pas, par là »,

et il traduit ainsi exactement le sentiment de curiosité de tous.

Personne ne lui répond ; les soldats sont fatigués et, dans l’ensemble, paraissent assez sombres. Le jeune garçon épicier recommence sa question, du même ton gouailleur, au moment où arrive un sergent-major, à la droite de sa compagnie ; celui-ci tourne la tête en marchant, et répond seulement, comme importuné :

« Non, ça ne va pas ».

Le sérieux de cette courte réplique, contraste tellement avec l’air de plaisanterie que voulait avoir la question, que j’en ressens une vive impression.

D’un autre côté, des sapeurs du génie viennent de placer au travers de la rue Nanteuil, à son extrémité sur la rue Cérès, un camion de la maison Laurent & Carrée, resté dehors ; ils se disposent à passer la nuit auprès de cet obstacle bien précaire, s’il doit faire office de barrage.

Les pensées se heurtent ce soir dans ma cervelle.

Redouterait-on un retour offensif de l’ennemi ? Non, cela ne paraît pas possible. Nous avons vu partir ses dernières unités en pagaye, hier après-midi, et nous avons constaté que, dans la poursuite, elles étaient presque talonnées par les nôtres.

Rien ne nous dit cependant que le gros de l’armée allemande, qui a contourné notre ville, a effectué sa marche arrière dans le même désordre.

Nous ne savons pas et malgré le bel optimisme de la journée, je rentre soucieux, en désirant ardemment que la délivrance de Reims soit définitive.

Nous nous endormons au son du canon. Il ne gronde pas loin et ses détonations ne cesseront pas de la nuit.

Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918


La délivrance de Reims
La délivrance de Reims

 Gaston Dorigny

C’est le jour ou j’ai commencé à écrire ce récit.

Les soldats français sont entrés dans la ville.

Un grand poids semble parti du

Cependant, les allemands chassés de Reims ont réussi à s’emparer du fort de Brimont et de là-haut, apercevant nos troupes dans le terrain de Betheny, envoient sans cesse leur mitraille. C’est une canonnade encore plus effrayante que la veille parce que bien plus près.

A trois reprises différentes nous devons nous réfugier dans la cave, les obus allemands tombent jusque dans le dépôt du chemin de fer.

C’est une journée atroce la canonnade commencée le matin ne se termine qu’à sept heures du soir et encore une fois Reims s’endort à la lueur des incendies allumés dans les communes environnant la ville.

Gaston Dorigny

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Paul Dupuy

On s’était couché la veille demi-vêtue, tenant à sa proximité tout le nécessaire pour une fuite précipitée si les circonstances l’exigeaient ; aussi le sommeil avait-il été plus que léger, d’autant plus que vent et pluie faisaient rage.

On ne dormait donc que d’un œil quand à 5H20 un bruit d’armes et des cris retentissent dans la rue, vite, Mme P.D. s’élance à la fenêtre d’où un rapide coup d’œil lui permet de saisir la situation et de pousser un puissant « vive la France » qui met en une seconde la maisonnée sur pieds.

Oui, ce sont des pantalons rouges qu’on aperçoit, pourchassant les Allemands restés en ville !

Elle est inénarrable, la joie folle du moment et nul doute que s’il avait pu contempler un tel spectacle, et malgré la dignité de sa fonction, le nouveau pape Benoit XV n’eût lui-même dansé une gigue d’allégresse !

La toilette est tôt faite, et c’est avec une hâte fébrile qu’on vole vers le passage des troupes acclamant successivement le 2e Chasseurs à cheval, les 15e et 27e d’Artillerie, les 33e et 127e d’Infie en assistant aux effusions et aux distributions de toutes sortes dont on les gratifie.

La journée s’écoule au milieu d’une saine et patriotique émotion qui ferait oublier les longues et si tristes heures vécues la veille si le canon, qui reprend de 11 à 19H15, ne nous ramenait à des préoccupations moins riantes.

Nos troupes nous couvrent, en effet, mais les forts et les hauteurs environnants n’en sont pas moins occupés par l’ennemi qu’il faut en déloger.

Vers 18H les mitrailleuses tonnent aussi, mais sans succès nous semble-t-il ; elles visent un aéroplane allemand qui survole effrontément la ville.

À 18H45, Sohier accourt, annonçant la visite en bombe, reçue à l’instant, d’André Ragot demandant à embrasser sa mère.

Ne disposant que de 5 minutes, il refuse de pousser jusqu’au 23, et file, sans dire quoi que ce soit qui permette de suivre sa trace.

P.D. part aussitôt communiquer la nouvelle à Couturier, et ensemble nous regrettons de n’avoir pas d’indication suffisante pour le découvrir, d’autant plus que, par arrêté municipal de ce jour, la circulation est interdite à partir de 20 heures.

C’est à ce moment que se posent à nos coins de rues des sentinelles chargées de surveiller le mouvement des automobilistes, car on craint que des patrouilles allemandes, ainsi faites, ne viennent, en vitesse, se rendre compte de nos dispositions.

Des barricades mobiles sont en plus établies avec tous moyens de fortune : caisses, gradins, échelles, etc.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


 Juliette Breyer

C’est aujourd’hui dimanche. Il est six heures du matin. Nous sortons de chez Pommery et que voit-on sur le boulevard ? Trois têtes carrées, deux en voiture et un en vélo. Ils sont poursuivis par les hussards, mais ils ont de l’avance. Ils n’ont plus le sourire et ne disent plus comme quand ils venaient chez nous : « On est bien à Reims, Châlons pas si bien, mais Pariss, oh Pariss ! Heureux tout à fait ». Eh bien mes pauvres vieux, vous leur tournez le dos.

Nous arrivons chez maman. Elle se recouche tout de suite car elle n’est pas encore rétablie. Nous nous faisons un bon café mais tout d’un coup un cri : Voilà les Français ! Et en effet ce sont nos soldats. Papa veut mettre son drapeau et Marguerite court pour donner un bouquet au premier soldat quand Mlle Tassaut la bousculant, l’offre la première. Mais elle ne s’attendait pas sans doute à ce que Marguerite allait lui dire devant tous : « Comment, Mademoiselle, vous osez offrir une fleur à un Français avec la même main qui a serré celle des Prussiens pas plus tard qu’hier et que vous vous êtes fait promettre le mariage par un des leurs ? ». « Tout ce que j’ai fait, a-t-elle répondu, c’était pour qu’ils respectent le quartier ».

Je m’en retourne chez nous car sans doute que je vais avoir de l’ouvrage. En effet, à peine la porte ouverte, le monde arrive en foule. On vient chercher du café, du sucre, du chocolat, des sardines… Enfin en une heure mon magasin est presque vide, et tout cela pour porter aux soldats qui font halte contre la caserne. Ce sont des hussards et moi aussi, je veux aussi porter quelque chose. Je fais un bon punch plein une casserole et prenant mon coco qui tient le verre, tu penses que j’ai été la bienvenue. « Madame, m’ont-ils dit, c’est une gâterie et nous avons si froid que c’est plaisir à nous de l’accepter. Comme remerciement, nous permettez-vous d’embrasser votre bébé car presque tous, nous en avons et nous en sommes privés ? ». Ton petit cadet s’est laissé faire et il n’a pas dit « Méchants ».

Pauvres garçons ! Je les interroge pour savoir si ton régiment vient sur Reims. Ils ne savent pas mais j’ai espoir que tu y viendras. Je t’ai préparé un petit paquet de bonnes choses et de chauds habits. Oh si cela était, quel bon bec je te ferais. Mon espoir ne sera peut-être pas vain.

Tiens, voilà papa. Maman et Charlotte arrivent. Qu’y a-t-il encore ? « Veux-tu nous recevoir ? me dit maman. Nous avons apporté notre dîner. On ne te gênera pas. Figure toi que l’artillerie vient de poser des canons en face de nos maisons et ils ont commencé à tirer. Les artilleurs ne nous ont même pas laissé le temps d’emporter quoi que ce soit. Nous n’avons que nos papiers. Laissez-nous, ont-ils dit, et partez tout de suite. Il faut que personne ne reste, cela nous gênerait car les Prussiens pourraient répondre. Mais nous allons les déménager et ce soir ce sera fini. Vous pourrez revenir ».

« Eh bien, dis-je à maman, restez là, il serait malheureux que je vous repousse. La maison est grande et vous coucherez là ; comme ça je ne serai pas seule ».

Nous dînons tranquillement et tout d’un coup le bruit que nous commençons à connaître se fait entendre : ce sont nos canons qui tirent. Mais quel est ce sifflement ? Ce sont eux qui répondent car ils se sont installés au fort de Berru puisque ces forts étaient libres. Ah maudits Prussiens. Pendant une heure sans interruption l’un et l’autre continuent et à un moment un coup plus formidable, des cris et des plaintes arrivent jusqu’à nous. Tant pis, je vais voir ce qu’il y a. Nous sortons rue de Beine :  rien ; rue Croix St Marc : cette fois-ci j’en ai encore froid. La maison de Mme Soriaux, Albert et Marcel, ses fils, tous morts ; Charlotte Soriaux, les jambes coupées, est morte le long du trajet ; par contre Mme Walter n’était que légèrement blessée.

Je n’en reviens pas qu’un obus puisse faire tant de choses. Je frémis en pensant à M. Soriaux quand il saura la nouvelle. Mais n’ai crainte, mon Charles, je ferai tout ce que je pourrai pour garantir ton coco. C’est sans doute fini car on n’entend plus rien. Ils ont mis un drapeau blanc au fort, dit-on. Mais les Français n’y prennent garde, ils connaissent leur ruse.

Voici la nuit, on va pouvoir dormir tranquille. Avant de m’endormir, je pense beaucoup à toi. Sans nouvelles, où peux-tu être ? Mon pauvre coco, je lui fais croiser ses petites mains « Petit Jésus, garde la vie à mon petit papa Charles, qu’il n’ait ni faim ni froid ». Pauvre tit cadet. Si tu le voyez, mon Lou, comme il devient grand et il ne veut plus me quitter. Il te reconnaîtra, vois-tu, quand tu reviendras.

Je t’aime toujours et je t’attends. Ta Juliette.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Les Allemands sont délogés de Reims.

Combats incessants d’artillerie en Artois, autour de Neuville spécialement, au sud de la Scarpe, dans la région de Roye, au nord de l’Aisne, sur les plateaux entre Paissy et Craonnelle. Sur ce dernier secteur, l’artillerie allemande a tonné avec violence, en usant de ses canons de tous calibres et nous avons répondu par des tirs efficaces sur les tranchées et les batteries ennemies.
Des rencontres de patrouilles ont eu lieu près de Roye, à Andéchy. Une tentative ennemie contre notre poste avancé de Sapigneul a été, comme les précédentes, repoussée.
Canonnade en Champagne (Auberive,Saint-Hilaire); entre Meuse et Moselle, dans le bois de Mortmare; sur le front de Lorraine, près de Nomény et de Xousse, ainsi que dans la région du Ban-de-Sapt.
Le calme règne aux Dardanelles. Les Turcs ont ouvert des feux violents d’artillerie et d’infanterie, mais sans sortir de leurs tranchées dans la zone nord. Dans la zone sud, nos mortiers de tranchées ont infligé des pertes sensibles à l’ennemi.
Les Russes semblent dominer la situation dans la plupart des secteurs du front et ils ont continué à faire des prisonniers en grand nombre.
Le gouvernement allemand dément officiellement que Tirpitz soit en disgrâce.
Un nouveau raid de zeppelins a eu lieu sur la côte orientale de l’Angleterre, mais il n’a causé ni pertes de vies, ni dommages matériels.

Source : La Grande Guerre au jour le jour