Abbé Rémi Thinot

11 SEPTEMBRE : 6 heures du matin ; toute la huit, les convois ont remonté la rue de l’Université – et des convois qui faisaient trembler la maison – l’artillerie lourde probablement.

Rencontré en tramway un bonhomme se plaignant que la politique ait empoisonné le pays ; « voyons, M. le Curé, vous vendez des prières ; je vends du café ; chacun notre métier ; qu’on nous laisse tranquille chacun, pas vrai? »

Ce matin, j’ai donné la voiture d’enfants de chez M. Hervé à une pauvre femme de Verdun, retournant à pied à Verdun ! Pauvres gens ; pauvres femmes, les yeux gonflés par la fatigue et les pleurs !

Le Courrier annonce que nous avons un pape – Benoit XV. Nous ne savons pas encore qui il est.

Rencontré M. l’abbé Camus, rentré hier de Rethel. Le commandant d’armes de la place a été tout juste convenable. Huguenots, anticléricaux, sectaires.. ! Ils gardent 5 prêtres comme otages. C’est indiqué ; pas d’autorité, ni maire, ni adjoint à Rethel pour les recevoir etc… La vérité est que les autorités civiles ont été en général d’attitude pitoyable.

Devant le Grand Hôtel, pas moyen de passer, ni d’un côté, ni de l’autre. Le général de l’armée qui couvre le pays y loge.

On dit que l’Italie a déclaré la guerre à l’Autriche, la France et l’Angleterre à la Hollande etc… Tant de « on dit » parmi une population d’autant plus avide qu’elle est séquestrée…

5  heures ; J’apprends de façon ferme (source allemande confirmée) que nous avons un pape – Benoit XV[1] – qui est cardinal archevêque de Bologne – Mgr della Chiesa – Le cardinal secrétaire d’Etat serait Mgr Ferrasa. C’est la reprise de la manière de Léon XIII ; le nouveau pontife est plutôt un diplomate, et Mgr Ferrasa fut à Paris très gouvernemental. L’élection était faite le 2 septembre, c’est-à-dire après seulement 3 jours de Conclave.

Les allemands se reforment sur Laon pour prendre un autre chemin vers Paris. Des officiers auraient dit (rapport de M. l’Abbé Landrieux) à M. de Bruignac, otage à son tour au Lion d’Or, que la bataille qui venait de se terminer avait été terrible pour eux ; les français avaient pris des positions merveilleuses, desquelles il n’a pas été possible de les déloger. Ce serait, à leur avis, la plus grande bataille du siècle. Toutes les masses possibles de part et d’autre, sauf ce qui est occupé dans les Vosges, à Anvers et contre les Russes, auraient été là aux prises entre Montmirail et Vertus d’une part, les rives de la Marne d’autre part

Le canon tonnait tout à l’heure encore, comme ne l’avais pas encore entendu.

10 heures du soir ; Poirier sort d’ici et m’apporte des nouvelles réconfortantes ; les français sont bien près d’ici. C’était vers Jonchery, ou mieux entre Gueux, Rosnay et Epernay que le canon tonnait tout à l’heure. Pourvu que nos armées n’essaient pas de rentrer à Reims avant d’avoir contourné les forts… autrement, les allemands, campés dans les dits forts, bombarderont Reims à nouveau. Attendons dans la main de Dieu.

C’est aujourd’hui que l’autorité allemande a occupé la tour nord de la cathédrale – défense de sonner à cause des signaux –

Poirier a remarqué comme moi, combien les soldats allemands manquent d’entrain. Ils sont disciplinés, solides comme la fatigue, mais pas enthousiastes, jusqu’aux officiers d’ailleurs. Ils sont trompés ; ils ignorent la vérité sur les choses, nos alliances et l’invasion russe. D’aucuns se rendent compte des causes vraies de la guerre « Guillaume » disait l’un, « bon père de famille, mais le Kronprinz cruel, méchant »

J’achèterai un pic pour ma cave demain, en cas de nouveau bombardement.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_XV (note Thierry Collet)

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Juliette Maldan

Vendredi 11 septembre 1914

Le canon continue toujours à gronder… il semble même qu’il se rapproche.

Nous ne savons toujours rien du reste du monde. Mais des bruits courent dans l’air qui disent la situation bonne…

Plusieurs centaines de blessés allemands ont été amenés dans les ambulances pendant la nuit. On parle d’une défaite pour eux du côté d’Épernay.

Du reste, il est simple que si la colonne allemande qui a occupé Reims, avait continué sans difficulté vers Paris, nous n’aurions plus entendu le canon tous ces jours derniers, et au lieu de s’éloigner, les grondements vont toujours en se rapprochant…

La ville est plus que jamais envahie par les troupes. Aujourd’hui leurs lourds châssis sont campés sur la Place Royale qu’il est laborieux de traverser au milieu de cet encombrement.

Devant nos fenêtres, c’est un défilé ininterrompu de leur pesant matériels, le bruit assourdissant des grosses roues sur le pavé n’a pas cessé de la nuit. Le soir, dans l’ombre, la longue file de ces charriots primitifs, aux bois à peine dégrossis, couverts de lourdes bâches gonflées par le pillage, donnent bien l’évocation des grandes invasions barbares.

Toutes ces troupes, tout ce matériel, s’en vont en sens inverse, vers le faubourg Cérès. Est-ce là un mouvement stratégique ? Faut-il espérer une retraite ?…

Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.

 Louis Guédet

Vendredi 11 septembre 1914

3h3/4 matin  Depuis plus d’une heure j’entends un roulement continu de voitures ou d’équipages vers la rue de Vesle. Je regarde par la fenêtre : impossible de distinguer si cette colonne remonte vers l’Est ou descend vers Paris. J’attends anxieusement le gazier qui éteint les becs de gaz : enfin il débouche de la rue de l’Étape et il va pour éteindre le bec qui est en face de chez moi (37, rue de Talleyrand, celui de l’Indépendant rémois, pas le mien qui n’est pas allumé), je l’interpelle et lui demande avec émotion : « Toutes ces troupes remontent-elles ou descendent-elles ? » – « Elles remontent, Monsieur ! » – « Elles ne vont pas sur Paris, alors ? » – « Oh ! bien au contraire, çà n’arrête pas depuis 3/4 d’heure que je descends la rue de Vesle pour remonter chez vous par la rue St Jacques et la rue de l’Étape, tout cela va vers Rethel ! c’est de l’artillerie en masse, au commencement ce n’était que des caissons, pas de pièce, maintenant ce sont des pièces de canon, sans doute que les autres ont été laissées abandonnées là-bas !! » – « Merci ! mon brave ! » – « De rien Monsieur, mais cela me semble bien de la retraite » m’ajoute-t-il.

Mon Dieu ! Dirait-il vrai ! et la grande bataille entre les 2 Notre-Dames prédite par les prophéties serait celle que nous avons entendue pendant 3 jours et nous aurait-elle donné la Victoire ! Oh ! que ce soit vrai et que je revoie bientôt mes aimés.

Recouchons-nous ! et tâchons de dormir si c’est possible !! Mon Dieu que ma femme et mes enfants soient sains et saufs !! et qu’ils n’aient pas trop soufferts !

7h1/4 matin  Il passe en ce moment sous mes fenêtres un convoi d’ambulanciers du Feld-Log 8 qui se dirige vers les promenades, sans doute vers Laon.

9H1/2  Été à l’enterrement de Madame Gianolli (à vérifier) et vu encore quantité de voitures remonter les rues de Vesle et Cérès.

Mon Dieu, je suis comme un halluciné. Je ne puis penser aux miens sans trembler. J’ai déjà fait le sacrifice de ma vie pour eux. Je le fais encore bien volontiers pourvu qu’ils soient sains et saufs et pas malheureux !! Je crois que je n’y résisterai pas si cela continue encore quelques jours.

11h matin  Ma pauvre femme et mes enfants me pardonneront, s’ils retrouvent pas mal de documents sur les tristes jours que nous passons, ainsi que ces lignes, mais cela m’est une occupation, un dérivatif. Cela m’occupe et m’aide à souffrir.

Vu à l’Hôtel de Ville M. Bataille, pas ou peu de nouvelles. M. Meunier, directeur de la Verrerie de Cormontreuil qui venait causer avec M. Émile Charbonneaux me disait que toutes les troupes à pied et à cheval combattantes évitaient Reims et la tournait à l’Est. Toute la nuit ils sont remontés vers Rethel ou La Neuvillette. Ils ne font passer en ville que les blessés, les ambulances et les équipages du train. En passant place du Parvis une colonne remontait la rue du Cardinal de Lorraine, c’était des voitures d’ambulance marquées : « Son.K.2 » 5, 6, 7ème Wagen. Toutes remplies de blessés couchés sur des brancards, rideaux tirés !!

Tout ceci me parait comme une débâcle, pourvu qu’elle continue. Gobert me disait qu’on lui avait dit que certains régiments n’étaient plus représentés que par une compagnie, et Dieu sait en quel état. C’est la débandade ! Je viens de voir un grand officier qui avait le pied broyé et qui sautillait, appuyé sur un ambulancier vers le Lion d’Or, et paraissait souffrir beaucoup. Je n’ai pu m’empêcher de murmurer entre mes dents : « Oui, c’est bon, souffre bien, c’est bien ton tour, c’est bien votre tour. » C’est le moment de réparer ce que vous avez fait souffrir bandits !!!

11h50 matin  Une trentaine de camion, voitures de toutes sortes, passent sous mes fenêtres, ce doit être des voitures régimentaires marquées : B.W.8 – B.W.15 – V.W.4 – et la dernière est une française ! marquée Équipages régimentaires 319ème de Ligne. Je n’ai pu lire sur les pattes d’épaules des soldats qui étaient empilés sur tous les bagages un seul n° de régiment : le n°2. Les autres n’avaient aucun numéro.

Elles se dirigeaient vers la rue de la Tirelire (venant du Théâtre) et le boulevard de la République.

Midi 3/4  Il ne cesse de passer des troupes de tous les côtés.

Un officier allemand logeant chez le docteur Colanéri aurait dit que c’était la fin de tout pour eux, et que les Corps qui se retiraient allaient tâcher d’en former un à La Fère avec les tronçons de 3 Corps. Tout cela sent la déroute. C’est leur tour, la fin de leur orgueil.

Des prisonniers français à Tinqueux auraient dit que les Français approchaient. Ce sont des Territoriaux qui paraissent plutôt joyeux, en disant « Ça y est, ils F..tent le camp !! ». Depuis 3 jours, 3 nuits roulement continu et pas continu de troupes se retirant…  si nombreuses !…  Et ils reculent…  en déroute !!

3h1/2 soir  Pluie torrentielle, je viens de faire un tour du côté du faubourg de Laon, Caserne, La Neuvillette. Des équipages qui tournent et retournent. Je reviens par Laon, Dieu-Lumière. Le centre de la ville est une cohue !!

Tous ces allemands tourbillonnent comme des corbeaux au milieu d’une tempête !! Rencontré le Dr Jacquinet qui vient d’être prié de reprendre son ambulance de la Bourse du Travail. 5 000 blessés sont arrivés des marais de St Gond. Paix et gloire à vos cendres, Maries-louises de 1814. Vous êtes vengés ! Les anglais seraient à Soissons, peut-être à Fismes, à Laon et les Français à Épernay ! Alors l’encerclement et la débâcle. Dieu ! Mon Dieu ! Merci pour la France ! Mon cœur déborde ! Car pour moi c’est la souffrance de 44 années de Morgue Prussienne subies. Et maintenant à notre tour ! Et puis je suis sûr de revoir tous mes chers aimés, j’ai souffert pour eux. Je dois donc les revoir tous, femme, enfants, sains et saufs. C’est une épreuve mais mon Dieu nous ne nous en aimerons que mieux. Et vous savez si je les aime, mais que j’aurais souffert !!

La Bataille des 2 Notre-Dames, avec la Victoire est donc un fait accompli.

4h1/4  M. Bataille vient de me prévenir que j’allais être prié de me rendre au Lion d’Or comme otage ce soir vers 7h où je devrais passer la nuit avec M. Fréville receveur des Finances, comme civils notables, et M.M. Rohart et Jallade comme conseillers municipaux. Nous sommes les 1ers, Fréville et moi qui sommes désignés comme otages notables civils. Jusqu’ici c’était les conseillers municipaux.

Ah la grâce de Dieu ! Je n’en suis nullement effrayé, au contraire, je l’offre pour retrouver les petits et ma chère femme sains et saufs !

Ma réquisition d’otage est du Lieutenant Colonel Springmann.

5h1/2 soir  Je viens de voir le Maire M. Langlet qui m’a dit que je devais me présenter au Lion d’Or à 6h pour prendre les ordres du Springmann. Il est probable qu’on me laissera dîner à la maison et je devrai me rendre à 8h du soir à l’Hôtel.

6h10  Je quitte le Lion d’Or  où nous nous sommes présentés à un officier, Fréville et moi comme civils et Rohart avec Lejeune remplaçant Jallade en mission à Nogent l’Abbesse. Cet officier nous salue et nous dit que nous pouvons aller dîner chez nous et de revenir à 8h, heure française.

Fréville est furieux qu’on l’ait pris comme otage en sa qualité de fonctionnaire, receveur des Finances, il prétend être exempté de pareille corvée. Il est furieux et dit qu’il en référera à Paris à son ministre des Finances

 

C’est simple, je m’en remets à Dieu ! Ce n’est pas avec ce que je souffre en ne sachant rien de mes chers aimés (Père, femme et enfants) qu’un ennui et un risque de plus me ferait m’émouvoir. J’espère dormir tranquillement et que les habitants de Reims seront sages et tranquilles cette nuit ! Dieu nous protègera !

7h1/2  Je vais partir. Que sera demain ? Je ne suis pas inquiet, j‘ai pris tout ce qu’il fallait pour écrire. J’espère bien qu’on me laissera cette consolation, et cette occupation. Je m’en vais si calme. Oui mes chers adorés, femme, enfants, je suis si calme, si seulement je savais où vous êtes et si vous êtes sains et saufs !!! J’irai là comme à une partie de chasse. J’offre toutes ces bagatelles d’ennuis à Dieu pour que nous nous revoyions bientôt tous heureux, sains et saufs et enfin délivrés de l’ennemi.

Je vous embrasse tous : Madeleine, Jean, mon grand, mon remplaçant, Robert, si gentil, si dévoué, Marie-Louise ma pouparde, André, mon gros paresseux,  s’il voulait il arriverait à tout, et Maurice, c’est le dernier. Je ne puis m’empêcher de l’aimer un peu plus que les autres. A toi mon Jean d’être le chef de famille s’il m’arrivait quelque chose.

Non, ce n’est pas possible, il faut qu’avec mon pauvre vieux Père que nous voyons ces bandits écrasés !

A demain !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Nous avons été réveillés par le roulement de voitures, dont le passage a recommencé ce matin, vers 3 heures, se poursuivant sans arrêt jusqu’à 4 heures.

Après le nombre considérable de celles qui ont déjà traversé notre ville hier, nous avons lieu d’être ébahis d’en entendre arriver encore dans la matinée, par longues files se développant sur des kilomètres et de voir de nouveaux trains, toujours aussi nombreux, monter la rue Cérès et le faubourg, à différents autres moments de la journée.

Ce défilé d’autos, fourgons divers, prolonges, caissons d’artillerie, chariots, quelquefois aux dimensions énormes, chargés jusqu’au plus haut de sacs qui paraissent contenir du grain et de la farine, fourragères remplies à déborder de quantité de colis divers, ne cesse pour ainsi dire pas, ce vendredi 11, et cela nous donne une idée de ce que peuvent devenir encombrants et gênants dans certains cas, pour les armées, leurs impedimenta lorsqu’ils doivent atteindre de pareilles proportions.

En flânant, ce matin et cet après-midi, j’ai été amené à faire, à différentes reprises, la même constatation. Si les caissons d’artillerie que nous voyons rouler parmi ces charrois sont en quantité surprenante, les pièces – de 77 ou autres – y sont plutôt rares.

J’ai remarqué, lorsqu’il est venu, suivant les autres et comme perdu au milieu d’eux, un de nos fourgons régimentaires du 205e d’infanterie et, un instant après, mon attention a été attirée par la vue d’un trompette ayant son instrument dans le dos, mais qui était certainement heureux et fier d’avoir un clairon français attaché à la selle de son cheval.

Cette fois, à n’en pas douter, l’armée allemande est en pleine retraite. Toutefois, ces convois interminables ont une marche très régulière et fort bien ordonnée. De distance en distance, des officiers, des sous-officiers à cheval ou assis sur une auto, transmettent, souvent par un simple signe du bras, un ordre qui vient d’être donné d’arrêter, afin d’éviter l’embouteillage ; cela s’exécute instantanément, puis tout repart sur un nouvel ordre.

Mais combien de centaines, peut-être même de milliers de ces véhicules, aurons-nous eu à contempler aujourd’hui et hier.

En dehors de cela, il arrive toujours beaucoup de blessés allemands. Aujourd’hui, les autos continuent leur va-et-vient pour les amener et les déposent encore chez les particuliers ou même sur les trottoirs.

Après déjeuner, j’ai croisé, sur le boulevard de la Paix une cinquantaine de ces malheureux de toutes armes, formant une longue colonne ; leur vue faisait pitié. Ceux qui avaient les bras en écharpe pouvaient avancer, mais beaucoup d’autres, derrière, se traînaient lamentablement à l’aide de cannes, de béquilles, quelques-uns marchant à même sur leurs pansements. Ils se dirigeaient du côté de la place de la République où des autos les attendaient car, quelques instants après, me trouvant par là, je remarquais encore d’autres blessés, plus grièvement, étendus dans des voitures sanitaires prêtes à partir et à proximité desquelles, un car, portant une quinzaine de religieuses au costume bizarre et paraissant faire partie de leur service de santé, se trouvait en station. Là, il y avait une grande activité. .

– Comme nous entendons de plus en plus, non seulement le canon, dont les détonations sont bien plus rapprochées que ces jours derniers, mais le tac-tac des mitrailleuses alternant avec de très nombreux coups de fusil, nous pouvons tout de même avoir espoir, il nous semble, en la libération prochaine de notre ville. On dit que les troupes françaises sont bien près de Reims ; cependant, il nous faut patienter encore.

– L’affiche suivante, imprimée en trois langues, allemande, française et russe, a été placardée en divers endroits de la ville :

« Avis

Sera fusillé : quiconque endommagera un fil ou câble du service télégraphique ou téléphonique, également quiconque arrachera cette affiche.

Si un tel délit a lieu dans le territoire d’une commune, celle-ci encourra les plus graves représailles dans le cas où le coupable ne serait pas saisi.

Le Grand Quartier Général Allemand. »

– Le Courrier de la Champagne, annonce aujourd’hui le nom que le nouveau Pape portera dans l’Histoire : Benoît XV, mais il dit ignorer quel est celui des cardinaux qui, élevé au Souverain Pontificat, a choisi ce nom.

– D’autre part, le journal publie ceci, comme suite à une information parue dans le numéro du 8 septembre 1914, sous le titre « Au champ d’aviation » :

« Les moteurs et avions du champ d’aviation

Notre article relatant l’abandon, par nos aviateurs, de moteurs et d’avions, au champ d’aviation, dont s’est emparé le génie allemand, a causé à Reims une pénible émotion.

Nous sommes heureux de pouvoir annoncer, d’après les indications qu’a bien voulu nous donner un aviateur, que les moteurs Gnôme ne pourraient pas servir à nos ennemis, puisque les aéroplanes allemands n’ont que des moteurs fixes. Quant aux avions même, ce sont des appareils d’école, qui ne sont pas utilisables pour la guerre. Ces aéroplanes sont d’un modèle lourd ; ils sont très pratiques pour apprendre à voler, mais ils ne peuvent absolument pas être utilisés comme avions militaires. » (Dans son article du 8, le journal annonçait que des otages : MM. Drancourt, Lejeune, Bataille, Chevrier et Chézel, conseillers municipaux avaient été emmenés par un officier supérieur de l’aviation allemande, accompagné d’officiers du génie, au champ d’aviation de Deperdussin où se trouvaient vingt moteurs Gnôme tout neufs et intacts et une dizaine d’avions, que nos aviateurs n’avaient sans doute pas eu le temps d’emporter.

Les Allemands craignaient que ces engins aient été laissés intentionnellement, pour les attirer et les faire sauter au moyen de mines préparées par nos troupes sous ce matériel.

Ils s’étaient rendu compte facilement que ces objets ne masquaient aucun piège et avaient rendu la liberté aux otages, le même soir de ce dimanche 6 septembre 1914.)

Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918

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Gaston Dorigny

Toute la journée d’interminables convois allemands paraissant venir de la route de Paris ou d’Épernay traversent la ville pour en sortir par la route de Neuchâtel. Cela ressemble à un commencement de déroute.

Gaston Dorigny

Paul Dupuy

Entre 3 et 5 heures des voitures à l’infini se dirigent vers le fg Cérès, venant du fg de Paris, et dans la matinée c’est le défilé des blessés qui commence.

A 14h1/2 nous installons chez Mme Ragot la famille Sohier, Mr Mme et fillette de 4 ans ; la cuisine et la chambre voisine avec un 2e lit leur sont attribuées.

Cette prise de garde leur donne droit au coucher, à l’éclairage et au chauffage avec allocation journalière de 5F.

Consigne : entretien des chambres qui pourraient être occupées éventuellement par des hôtes de passage.

On dit qu’un fils de Guillaume est logé depuis hier au Grand Hôtel et que c’est à son intention qu’ont été sablées les rues avoisinantes ; confirmation de sa présence à Reims est donnée par ce fait que l’écrivain a vu, circulant en ville, une auto aux armes impériales.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


Juliette Breyer

Des bruits courent au sujet de notre prochaine libération. On entend le canon au loin. Ils ont l’air moins gais et moins arrogants. On dit qu’ils ont subi une grosse défaite à Montmirail. Il y a eu une grande bataille. Pourvu qu’il ne te soit rien arrivé, si quelquefois tu y étais.

Mais s’ils s’en vont de Reims, les nouvelles vont revenir. Enfin attendons, elles seront peut-être meilleures que je ne pense.

On m’apprend que le fils Varlet, rue Grandval, a été tué en Alsace. Pauvres parents, c’est triste.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Samedi 11 septembre

Lutte d’artillerie en Belgique (Nieuport, Streenstraete); autour d’Arras, devant Roye et en Champagne (d’Auberive à Souains).
En Argonne, combats de grenades et fusillades de tranchée à tranchée devant La Harazée. L’ennemi bombarde la Fontaine-aux-Charmes et prononce une attaque entre Saint-Hubert et La Harazée. Il est refoulé.
Action d’artillerie dans les régions de Flirey et de Saint-Dié.
Dans les Vosges, attaques allemandes, à l’aide de gaz suffocants, du Linge au Barrenkopf. Violents combats au Schratzmaennele. Plusieurs offensives ennemies ont échoué à l’Hartmannswillerkopf.
Deux avions allemands ont bombardé Compiègne sans atteindre personne. Un autre a été capturé dans le Santerre; six autres ont essayé de survoler Ste-Menehould, mais ont dû rebrousser chemin devant le feu de nos batteries.
Le communiqué du maréchal French annonce que deux taubes ont été descendus dans le secteur anglais.
Les Russes ont remporté un nouveau succès en Galicie, élevant à 17.000 le total de leurs prisonniers.
Le gouvernement américain a réclamé du cabinet de Vienne le rappel de l’ambassadeur Dumba, qui avait commis dans les affaires intérieures de l’Union des intrusions illicites.

Source : La Grande Guerre au jour le jour