Les derniers jours avant sa mort « en première ligne » le 16 mars 1915

On peut constater que R. Thinot, après des débuts difficiles (cf.début février)  avait trouvé sa place au front, telle qu’il l’avait voulue : un sacerdoce en terre de mission et au feu, bien différent des ses activités à Reims de 1899 à septembre1914. Il est mort à la fin d’ une première grande offensive française des Monts de Champagne (cf.11-12 février), dans l’hiver et le boue (cf.6 février) et  qui sera arrêtée par le Haut Commandement, faute des résultats attendus, le 17 mars…

Voir aussi, après la fin du tapuscrit : une nécrologie détaillée parue dans le journal de la Schola Cantorum, une vue de sa tombe provisoire à Suippes et le caveau familial au cimetière de l’Est à Reims.

7 MARS – dimanche –

L’Abbé M. n’a pas voulu organiser une messe. On nous a fait sentir à bon droit que le dimanche s’était passé sans « service divin » Je me passerai de lui désormais.

Jamais le canon n’a rempli la nuit et la journée comme aujourd’hui. Le 16ème Corps attaquait pour prendre Bois Sabot. Çà été un grondement, une furieuse canonnade tout le temps.

13 MARS – samedi –

Je me lève de bonne heure pour préparer l’instruction pour la messe des soldats défunts, que je vais dire à 9 heures pour le 14ème, à La Cheppe.

Église archi-comble ! Combien il en reste dehors? Le général Delmotte est là, ainsi que le colonel et tous les commandants.

Le général est venu me remercier à la sacristie, aussitôt la messe. Je sentais que je tenais mes hommes. Du reste, le texte de mon instruction, avait jailli très spontanément ce matin. Le colonel de Riencourt m’a invité à déjeuner ; J’y vais de ce pas.

9 heures soir ; Réunion merveilleuse ce soir. J’ai, par ailleurs, passé toute mon après-midi à confesser et le soir, jusqu’à 8 heures ; j’ai promis d’être à l’Église demain, dès 5 heures 1/2.

Braves gens, qu’il est facile de réveiller, de remuer, de jeter dans le bien.

Je vais décidément adopter ces deux régiments. Les colonels et les officiers sont charmants.

14 MARS 1915 – dimanche –

Tournée merveilleuse, Infiniment consolante.

A 5 heures 1/4, je suis à l’Église pour les confessions. Je n’arrête pas.

Messe de communion à 7 heures ; Église pleine, pas assez d’hosties. Je parle trois fois, à l’Évangile avant la communion et après !

A 9 heures, messe du 83ème ; Église archi-comble
A 10 heures, messe du 14ème   d°
A 11 heures 1/4, messe paroissiale ; c’est la messe des dragons.

Déjeuner avec le colonel d’Hauterive.

J’ai été profondément impressionné par la confession de tous ces hommes, depuis 1 commandant jusqu’à des centaines de simples soldats. Et tant de retours ! AU moins 30 de 5 à 20 ans ! C’est admirable ! Et ils ont communié avec une foi.. !

Et voici que l’après-midi le 14ème reçoit l’ordre de partir. Il faut aller réparer les sottises faites par le 4ème Corps, qui s’est laissé reprendre plusieurs entonnoirs.

Décidément, je crois qu’on a bien tort de médire du 17ème Corps !


Texte ajouté à la fin  des Extraits des notes de guerre de l’abbé Remi Thinot vraisemblablement par Robert Carré et/ou Marius Poirier :

Le 16 Mars, l’Abbé THINOT tombait en première ligne, frappé d’une balle à la tête, méritant cette citation à l’Ordre du Jour de l’Armée :

Abbé Remy THINOT, aumônier :

« ÉTANT ALLÉ DANS LA TRANCHÉE AU MOMENT D’UNE ATTAQUE,
« POUR L’ACCOMPLISSEMENT DE SON MINISTÈRE, Y A ÉTÉ FRAPPÉ
« MORTELLEMENT PENDANT QU’IL SE PORTAIT AU SECOURS DES
« SOLDATS ENSEVELIS SOUS LES DÉBRIS D’UNE EXPLOSION DE
« MINE ET QU’IL EXHORTAIT LES HOMMES A FAIRE LEUR DEVOIR »



Documents complémentaires :

1 – Texte paru dans La Tribune de Saint-Gervais, organe  de la Schola Cantorum, XXIème année, éditée en 1919, p.17-18, Chronique nécrologique 14-18 par A.Gastué. Avant la guerre, ce mensuel contient de nombreux renseignements sur la musique religieuse à Reims et l’activité militante de Thinot dont le projet diocésain est résumé ici. La Tribune est en ligne sur Gallica :


A comparer : la citation militaire officielle, se terminant par  « …faire leur devoir », avec ce récit de sa mort plus religieux et précis… « absolution suprême », « tireurs d’officiers »… Quel en est la source ainsi que celle de « tué en première ligne » ? Témoignages de compagnons d’arme, journal de marche, rapport de commandement…? Autre question : que sont devenus les effets personnels de Thinot dont, probablement, un appareil photo et bien sûr son journal manuscrit ? La qualification de « Mort pour la France » est instaurée fin 1915 mais Remi (son prénom d’État civil) Thinot apparait, avec cette mention et « tué à l’ennemi » sur sa fiche, dans la base nominative de Mémoire des hommes. Dans La Preuve du sang .- Livre d’or du clergé et des congrégations 1914-1922, paru en 1925 à Paris (en ligne : travail remarquable pour la liste nationale, martyrologique, des morts/tes de la guerre, avec une introduction partisane  de Mgr. Luçon  avant celle, plus consensuelle, de Mgr.Tissier…), Thinot est cité p. 850 avec mention d’une Légion d’Honneur à titre posthume… Dans la base nominative de la Légion d’Honneur (LEONORE de la BN) Thinot n’apparait pas mais un dossier versé aux AN devrait être quelque part entre Paris, Vincennes, Pierrefitte, Fontainebleau, Caen…

2 – Aquarelle et dessin en recto-verso (18.5×13.8 cm) par Gaspard Maillol de la tombe provisoire de l’abbé Thinot dans le parc, près de la chapelle, du château de Nantivet à Suippes.

Document important car montrant une forme de lieu de mémoire. Il est conservé aux Invalides, à la BDIC devenue La Contemporaine (cote OR F3 101 avec une datation de 1917.- Copyright en cours) .- Texte : tombeau de l’abbé Thinot maître de chapelle de la cathédrale de Reims- (à Suipe) tué en 1ère ligne
Il s’avère que Gaspard Maillol (1880-1945), artiste  (cf. Bénézit) et neveu du sculpteur, originaire des Pyrénées Orientales, a été incorporé en 1914 dans le 23e Régiment d’Artillerie de Campagne (régiment de la 34e division) qui était dans le secteur de Suippes en février-mars 15. Un de ses dessins gravés sur bois « Les arches de l’église de Mesnil-les-Hurlus (Marne). Effet de Nuit en 1915 » publié en 1926 dans Petites églises de la guerre, rare livre mais sur Gallica, montre aussi qu’il était présent dans le secteur même où Thinot est mort…Cependant, en 1917, G. Maillol n’est pas loin non plus (vers Moronvilliers, 52e et 44e RAC)… Pour l’historique des régiments et le contexte de l’offensive de février-mars 15, voir le site Chtimiste et merci à Thierry Collet. Il reste au sujet de Thinot à dépouiller les journaux de marche et d’opérations.

3 – Tombe familiale actuelle de l’abbé Thinot au cimetière de l’Est à Reims : « ABBÉ REMI / THINOT MAITRE / DE CHAPELLE A / LA CATHÉDRALE / DE REIMS / AUMÔNIER VOLONTAIRE / 34E DIVISION / TUE EN 1ER LIGNE / LE 16 MARS 1915 / A L’AGE DE 41 ANS

On sait maintenant que c’est fin 1920 que de la tombe de Nantivet les restes de l’abbé Thinot ont été transférés à Reims. Voir p. 261 de Cardinal Luçon, journal de la guerre 1914-1918 publié en 1998, TAR, 173e volume, 315 pages. Ce journal va jusqu’en 1930 ; il a été édité par Jean Goy avec Marc Neuville et des annexes bien utiles en fin de volume. C’est la seule mention de l’abbé Thinot dans le journal du cardinal :  rien en décembre 1914 ni en mars 15.
Dans son journal (en ligne), Louis Guédet, notaire et juge de paix pendant la guerre, mentionne la mort de Thinot le 18 mars 1915 « Hubert m’apprend à l’instant la mort de l’abbé Thinot, ancien vicaire de la Cathédrale, qui s’occupait de la Maîtrise, parti il y a 2 mois comme [aumônier…] sur sa demande quoiqu’il était ajourné. Il vient d’être tué à Perthes-les-Hurlus et il est enterré à Suippes. Quelques jours avant son départ il était venu me demander conseil pour son testament ! Pauvre abbé ! Il était fort intelligent et avait du cœur ! » ; le 18 mai, le curé de Saint-Benoit lui remet le testament de l’abbé Thinot, « tué à l’ennemi ».

Merci à tous ceux/celles, à Reims et ailleurs, qui nous ont aidé d’une manière ou d’une autre dans cette étude en cours et qui devrait déboucher sur une édition collective complète. N’hésitez pas à nous envoyer vos remarques et vos informations.