Louis Guédet

Samedi 28 avril 1917

959ème et 957ème jours de bataille et de bombardement

10h matin  Temps laiteux, soleil perçant difficilement à travers la brume. Pas de saucisse dans la matinée comme hier. Elles ne s’élèvent qu’à midi. Il fait doux. Nuit de bataille avec canon bien fatigante. Assez calme ce matin. Vers 9h un agent de police du 4ème canton vient m’apporter, de la part de M. Gesbert, commissaire de Pailler, un paquet enveloppé dans un mouchoir contenant un couteau, une vieille montre, etc…  et 2,25 en espèces…  pour que je dépose sans doute tout cela à la Caisse des dépôts et Consignation !!!  Il y a des gens intelligents. Je ne suis cependant pas courir m’amarrer au Mont-de-piété !! Je refuse à l’agent en lui expliquant pour la Xième fois qu’il n’y a lieu de me remettre que les sommes importantes et les valeurs trouvées soit chez les personnes tuées ou asphyxiées, soit sur elles ! mais quand cela vaut la peine. Je suis convaincu que le brave agent n’a pas encore compris, ni Gesbert. Ces objets avaient été trouvés hier sur une dame veuve Eugène Cauchy, 9 rue de Cormicy, tuée hier vers 11h aux environs de son domicile… L’agent me dit que cette personne doit avoir des valeurs chez elle, et qu’il faudrait peut-être apposer les scellés. Je lui réponds que je n’ai pas de greffier et que je ne le puis…  mais que le plus simple, ce serait au commissaire d’envoyer 1 ou 2 agents, assistés d’une voisine ou 2, pour rechercher ces valeurs et me les apporter. Du reste qu’il ne peut être question d’apposition de scellés, attendu que cela n’empêcherait pas les pilleurs de voler les valeurs, s’il y en avait. Que c’est donc le plus simple de les enlever et de me les remettre. Comme il ne parait pas disposé à procéder de cette façon, je lui dis, comme la course est plutôt longue, que si on me conduisait avec l’auto du Commissaire Central, j’irais volontiers assisté d’un agent. Mais il ne parait pas se soucier de cela et…  son commissaire également, ce qui me confirme dans l’opinion que j’ai sur ce dernier. Attendons !

Je suis ainsi désœuvré, et las. Ce n’est pas une vie.

8h1/2 soir  Depuis ce matin, rien de saillant, toujours la même existence au milieu du tintamarre du canon, de la mitraille des combats, des obus, des aéros qui vibrent au-dessus de nos têtes sans discontinuer pour garder les saucisses, etc…  Tout cela pour rien.

Vu le Père Desbuquois qui, m‘apportant les clefs de la maison Hébert, 54, rue des Capucins, m’apprend que le Général Mazel, commandant la Vème Armée qui était ici à Gueux (Olivier Mazel, commandant la Vème armée jusqu’au 22 mai 1917, évincé suite à la tragédie du Chemin des Dames (1858-1940)), a eu l’oreille fendue (expression signifiant « être mis en demeure de prendre sa retraite ») à la nuit de notre échec sanglant sur Brimont. Dire que cela m’étonne ?! non ! ces gens travaillaient plutôt le Champagne et les femelles que leurs plans stratégiques !! Nous allons ensemble dans le jardin Hébert déterrer toutes les clefs de la maison qui y étaient enfouies par le gardien qui a été blessé grièvement en même temps qu’à été tué Jacques Wagener. A 1h1/2 des bombes, en cave pendant une demi-heure, on vient me trouver, Pocquet, syndic de faillite qui m’apportait l’inventaire après le décès de mon confrère Lefebvre, notaire à Ay, à signer. Je régularise cet acte avec 2 autres et les lui rend avec une lettre pour ma chère femme afin qu’elle lui arrive plus tôt. De là à la Poste où je trouve lettre de celle-ci me donnant de bonnes nouvelles de Robert, du 20 avril,…  à la Poste je me heurte à mon brave Landréat, qui est toujours à St Brice dans son four de verreries. Il vient chercher son courrier tous les 3/4 jours ou le fait prendre, donc je suis sûr d’être en liaison avec lui. Je lui parle de l’affaire Cauchy de ce matin avec le fameux Gesbert, et le prie d’aller rue de Cormicy, 9, qui est sur son chemin, pour faire le nécessaire. J’ai la conscience plus tranquille, le nécessaire est fait. Je vais au Tribunal, trouve lettre d’un officier qui me recommande une jeune veuve…  consolée par son allocation militaire. C’est un nommé Adrien Oudin, sous-lieutenant d’État-major, secteur 37, se recommandant de ses qualités d’avocat à la Cour, conseiller général de la Seine et conseiller municipal de Paris !!  Ou Diable va-t-il se nicher avec une veuve Cornet-Briffoteaux de Chaumuzy (Blanche-Cécile Cornet-Briffoteaux (1868-1952))!!…  Enfin… !…  Puis Hôtel de Ville, où je ne vois personne. Rencontré le père Hapillon qui me confirme l’histoire des sous-officiers surpris en train de piller rue de Tambour, qui pour leur excuse ont répondu que c’était leurs officiers qui les avaient envoyé piller !!!…

Ce soir en rentrant j’étais exténué, on n’est plus fort et puis on est découragé. J’envisage déjà un voyage à St Martin, car notre délivrance est bel et bien renvoyée aux Calendes grecques !…  C’est une vraie agonie. Certainement je serai mort à la Guerre avant que Reims ne soit délivrée…  Comme je le disais hier à M. Bossu. J’aurai la Croix de Bois avant toute autre.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

28 avril 1917 – Quelques fusants, vers 13 h 1/2. Du perron de l’hôtel de ville, où nous sommes réunis à quelques collègues, nous les voyons éclater à gauche de la place, au-dessus des toits. A 16 h 15, nouveaux sifflements ; une douzaine d’obus viennent éclater à proximité de l’hôtel de ville.

Dans la matinée, le chauffeur de l’auto à la disposition de la recette municipale, Maurice Lamort, nous avait annoncé, en venant déposer des pièces au bureau de la « comptabilité », ainsi qu’il le fait chaque jour, qu’il devait, au cours de l’après-midi, dévisser un obus de 305 tombé dans la cathédrale et non éclaté. Nous lui avions souhaité bonne chance.

Son Éminence le Cardinal s’était opposée d’abord, paraît-il, à ce dangereux travail, ne voulant pas qu’un homme risquât sa vie en des conditions aussi périlleuses.

Mgr Luçon ne s’était laissé convaincre que parce qu’on lui avait représenté que ce grand jeune homme de 18 ans n’en était pas — loin de là — à son coup d’essai.

Ce sont en effet des centaines d’obus, de tous calibres, qu’il a manipulés et vidés de leurs charges d’explosifs. Sa sûreté de main nous avait étonnés dernièrement, lorsqu’il nous avait montré le mécanisme d’une torpille d’avion, délicat et compliqué comme celui d’une horloge, qu’il avait réussi — en courant quels risques — à démonter de l’engin, rendu ainsi inoffensif.

Nous avons revu ce chauffeur sur la fin de l’après-midi et lui avons demandé :

« Alors ! votre opération a réussi ? »
« Ho ! très bien » a-t-il répondu en souriant, ajoutant simplement :
« Comme le projectile était enfoncé dans le dallage, les pompiers sont venus dégager un peu ses alentours, avec précaution, et puis, ils sont partis et on m’a laissé seul dans la cathédrale ; dix minutes après, c’était fini. »

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 28 – + 9°. Nuit tranquille en ville. Combats autour de Reims. Matinée tranquille en ville ; combats au nord. Visite à Courlancy et à Rœderer. Bombes sur la ville de 1 h. à Un éclat est tombé sur la salle des Archives : le toit est percé en deux endroits. Visité la Cathédrale et vu l’obus de 305 non-explosé. Visite de M. Sainsaulieu m’apportant la nouvelle que la fusée de l’obus a été extraite par le jeune Lamort et que M. le Dr Langlet, Maire de Reims, veut venir me faire visite de condoléances pour le désastre de la Cathédrale. Précédemment, le 19 déc. 1916, il m’avait amené une délégation américaine dont faisait partie M. Sharp, ambassadeur des Etats-Unis, et avait refusé d’entrer avec eux ; il explique que c’est parce qu’il n’estimait pas « digne de faire visite au Cardinal par ricochet ». Il demande le jour et l’heure. Arrivée des hirondelles.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Samedi 28 avril

Activité marquée des deux artilleries dans la région au nord-ouest de Reims et en Champagne.

Aucune action d’infanterie.

Au cours de la journée du 26, 3 avions allemands ont été abattus par nos pilotes, 6 autres appareils ennemis sérieusement endommagés, ont été contraints d’atterrir ou sont tombés dans leurs lignes. Dans la nuit du 26 au 27 avril, un de nos groupes de bombardement a lancé de nombreux projectiles sur les gares et bivouacs dans la région de Ribemont-Crecy-sur-Serre (Aisne).

Sur le front britannique, l’ennemi a tenté sans succès une petite attaque dans les environs de Fayet, au nord-ouest de Saint-Quentin. Après un combat acharné, ses troupes ont été rejetées avec des pertes. L’ennemi a laissé un certain nombre de prisonniers entre les mains de nos alliés. Les soldats britanniques se sont emparés des carrières qui se trouvent aux lisières est d’Hargicourt, où l’ennemi a abandonné des fusils et du matériel d’équipement.

Une attaque de destroyers allemands a été mise en échec devant Ramsgate.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour