Louise Dény Pierson

22 avril 1917

Cette division, chargée d’attaquer les positions ennemies entre
les Cavaliers de Courcy et la redoute de Loivre, se heurta à une puissante contre-attaque allemande, fut mise en complète déroute et ses soldats se dispersèrent à l’arrière des lignes, jusque dans les bois d’Hermonville et de Merfy.
Ce fut la division française voisine chargée d’attaquer le fort de Brimont (photo ci-dessous) qui dut se déplacer rapidement pour boucher le trou et rétablir le front. Par la suite les Russes furent regroupés au camp de La Courtine, dans la Creuse, où après un long repos, ils revinrent sur le front en avant de Mourmelon et s’y comportèrent courageusement. Un petit cimetière en témoigne entre Mourmelon et Saint-Hilaire.

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

 Louis Guédet

Dimanche 22 avril 1917

953ème et 951ème jours de bataille et de bombardement

10h matin  Temps assez élevé, mais nuageux clair. Il fait bon. Toute la nuit bataille, bombardement, on ne peut dormir que vaincu par la fatigue, on dort comme dans un cauchemar. Cela vous affaiblit beaucoup. Et parfois je me demande si je ne tomberais par manque de forces. Cette vie de cave la nuit et souvent dans la journée vous anémie extraordinairement. On n’ose même pas sortir en ville, on fait juste les courses dont on ne peut se dispenser : Poste, nourriture, c’est tout.

Ce matin été messe de paroisse à 8h1/2 du matin, rue du Couchant. Nous étions peu de monde (40), y compris les 2 chantres et l’organiste maitre de chapelle, vicaire de la Cathédrale. Le Cardinal est arrivé en camail, assisté de l’abbé Compant et l’abbé Camu Vicaire Généraux et le 2ème vicaire (le petit). L’abbé Camu, curé de la Cathédrale, tend l’aspersoir au cardinal qui asperge les fidèles. L’abbé Divoir avec un seul enfant de chœur dit la messe basse. Boudin et le valet de chambre de S.E. le Cardinal Luçon, accompagné de l’orgue tenu par le vicaire maître de chapelle chantent juste le Kyrie, le Credo, l’O Salutaris et le Salve Regina. Monseigneur Luçon donne la bénédiction pontificale à l’Ite Missa est. Voilà sous le bombardement une messe de la Cathédrale de Reims. Au prône l’abbé Divoir annonce que désormais les messes du dimanche basses (il n’y a plus de grand-messe faute de chantres et à cause des bombardements) seront dites à 6h, 6h1/2 et 7h, celle-ci paroissiale comme celle de tout à l’heure.

De la rue du Couchant je vais à la Poste porter mes lettres et écrire un mot à ma pauvre femme, bien seule, bien isolée maintenant ! Ses 2 ainés partis, moi absent. Quel martyre pour elle.

Je descends la rue Brûlée, remonte la rue Hincmar, et de là rue Chanzy, vers le Palais de Justice où est la Poste. Le café St Denis, au coin de la rue Libergier et Chanzy est réduit en miettes, littéralement. C’est la première bombe d’hier à 7h du soir qui nous avait tant effrayés qui a fait ce beau travail. Un trou énorme barrant toute le rue Robert de Coucy. Toujours le tir sur la Cathédrale pour la démolir ! Vandales !! Au Palais rien de nouveau, je prends une des lances de la barrière de fer qui entoure le square devant l’entrée principale. Ce sera un souvenir, un obus est tombé hier bers 11h50 du matin, brisant quelques barreaux de la grille et abattant 3 des lances qui surmontaient ceux-ci, à droite en entrant, à quelques mètres de la porte d’entrée de la susdite grille. Ce n’était pas un gros obus. Je monte dans mon cabinet où j’écris quelques lignes à ma chère Madeleine !!! Je poste mes lettres à la Poste et redescends la rue de Vesle jusqu’à la rue des Capucins. Là, chez Brunet, le ferblantier, une bombe qui a rasé la maison, en face de l’épicerie Robert, commissariat de Police du 1er canton. Il parait qu’il en est tombé aussi une sur la rue Clovis, qui a fait un trou énorme. Toujours le même tir, absolument dans l’axe de la Cathédrale, ou trop court ou trop long. La basilique en aurait encore reçu cette nuit et hier soir 3 ou 4. Dieu permettra-t-il cette destruction ?!! Qu’il fasse donc un miracle et nous délivre bientôt, tout de suite de ces Sauvages. Ce sont des bêtes enragées, ce ne sont plus des hommes. Qu’on détruise donc la Race pour toujours…  Le bombardement recommence, il est 10h1/2 du matin.

11h20  Les obus rapprochent. Je descends à la cave, c’est extraordinaire ce que je deviens craintif. Est-ce affaiblissement ? ou manque de courage ?

11h1/2  Ce n’est qu’une alerte. Tout à l’heure j’ai été faire le tour du jardin, mais je n’ai pas le courage d’aller jusqu’au bout. Trop inquiet que je suis à chaque sifflement. Cueilli quelques violettes. Et rentré pour descendre ici, où mes braves Parques m’ont installé une table ou je puis écrire plus facilement. Juge de Paix de Reims et notaire de Reims travaillant dans sa cave, ce serait une photographie à faire !

4h1/2 soir  A 1h20 je n’y tenais plus et je suis sorti. Où aller ? L’idée me vient d’aller voir mon vieux clerc le papa Millet. Je passe rue Clovis où je vois le trou formidable fait par l’obus tombé devant chez Senot (André Senot, quincaillier (1884-1976)). Un ancien clerc de Valentin, notaire, qui travaille maintenant chez Redout sort de chez lui, en face de ce trou, et me dit qu’il a eu une belle peur : il me conte qu’il a 8 ou 10 pavés de la rue qui ont été projetés sur son toit, tellement l’explosion a eu de force.

Je descends la rue de Vesle, rue Polonceau et le petit chemin de toue qui tombe rue Dallier. Là je rencontre le Général Cadoux, nous causons de choses et d’autres, il me parait pas très rassuré sur le résultat de notre Grrrrande offensive ! Ah ! non ! il n’est pas encourageant ni réconfortant. Il est resté toujours chez Neuville avec Lallier et Cornet. Je passe rue Souyn où je trouve M. Millet et sa femme, il est un peu enrhumé et las de la vie qu’il mène. Tous deux couchent aux caves Brissart, ils passent la journée chez eux. Comme je sortais de chez eux, une première bombe arrive vers la Porte de Paris. J’en profite pour filer rue de Courlancy et voir la Supérieure des Religieuses à l’Hôtel-Dieu de Reims, à Roederer. J’attends là en causant avec elle la fin du bombardement. Elle aussi est comme moi et nous tous, elle est lasse. Du moins leur quartier est fort tranquille, ce n’est pas comme ici. Je la quitte à 3h1/4 et revient par la rue du Pont-Neuf, et l’allée des beaux ormes et tilleuls entre Vesle et canal, dite l’allée des Tilleuls. Il fait assez vif, le vent est tourné à l’Est. A 4h j’étais à la maison, pour descendre à la cave où je suis encore.

3 ou 4 obus tombent très près. Et comme toujours Lise ne descend pas. Elle est à battre cette vieille entêtée. Quel mulet ! Je ressens toujours beaucoup de lassitude, pourvu que je ne succombe pas à la fatigue, à l’émotion de cette vie et l’affaissement moral. Mon Dieu ! faites donc que notre délivrance arrive de suite. Nous n’en pouvons plus !… Je n’en puis plus. Nous avons suffisamment assez soufferts pour que nous ayons enfin la tranquillité et le bonheur de reprendre une vie normale.

4h40  Nous remontons, encore un orage de passé, il était bien près.

8h1/2 soir  Le calme à partir de 6h, mais dire quel tintamarre depuis hier soir. Canonnade, fusillade, mitrailleuses, obus sifflant continuellement, éclatant, aéroplanes, etc…  On en est assourdi, assommé, abruti. On est dans un cauchemar habituel. Et puis c’est à peine si on peut sortir, on devient enragé de sortir à la fin. Tout cela vous use, vous éreinte, on ne désire qu’une chose, c’est de voir la fin de cet enfer.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dimanche 22 avril 1917 – le vicaire général Compant, notre compagnon d’abri, célèbre la messe dans la cave de mon beau-frère, à 6 h 3/4. Nous sommes cinq assistants, voisinant là en réfugiés, y compris le fils Pailloux, qui fait office de servant.

Aussitôt, je me rends à l’hôtel de ville, où je pourrai au moins avoir de l’eau pour ma toilette, à laquelle il me faut procéder en me hâtant, dans le bureau que nous avons abandonné hier, car le bombardement pour ainsi dire ininterrompu maintenant, nuit et jour, se rapproche de plus en plus jusqu’au moment où il m’oblige à déguerpir pour filer à la cave, un premier obus bientôt suivi d’autres, venant de faire explosion sur la place.

—  Au cours de l’après-midi, fort bombardement et toujours 305 sur la cathédrale qui, depuis deux jours encore, a subi de nouveaux dégâts très importants.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Dimanche 22 – Nuit tranquille autour de nous. De 2 à 3 h. bombarde­ment de la ville (nuit). + 4°. A 2 h. après-midi, bombardement (de 2 h. à 3 h.) sur la ville ; + 4°. A 2 h. 15, bombardement de la Cathédrale par obus de gros calibre. A 9 h. soir, bombardement (?).

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Dimanche 22 avril

Entre Somme et Oise, actions violentes des deux artilleries, notamment dans la région au sud de Saint-Quentin.

Entre l’Aisne et le chemin des Dames, nous avons poursuivi nos progrès sur le plateau au nord de Sancy. Une lutte à la grenade nous a permis de gagner du terrain dans le secteur de Hurtebise. Par quatre fois, nos tirs de barrage ont brisé des tentatives faites par l’ennemi pour déboucher des tranchées au nord de Braye-en-Laonnois.

Canonnades assez vives dans la région de Reims et en Champagne.

Du 9 au 20 avril, le chiffre des prisonniers allemands faits par les troupes franco-britanniques dépasse 33000. Le nombre des canons capturés est de 330.

Les Anglais se sont emparés de Gonnelieu, à l’alignement des positions qu’ils tiennent plus au sud. Un parti ennemi, qui tentait de pénétrer dans leurs tranchées près de Fauquissart, a été repoussé.

Les armées britanniques ont également remporté des succès en Mésopotamie, près de Samarra, où le général Maude a fait plus de 1200 prisonniers, et aux abords de Gaza.

Le cabinet portugais, présidé par M. d’Almeida, a démissionné.

Les grèves se multiplient en Allemagne dans les usines de munitions, à Berlin, Essen, Nuremberg, Magdebourg, etc.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour