Louise Dény Pierson

23 avril 1917

A la tombée de la nuit elle se retira comme la veille vers Rilly et la riposte allemande ne se fit pas attendre.
Couchés dans les caves Walfart, nous entendions le bombardement qui encadrait tout le quartier. Au lever du jour, nous pûmes constater les dégâts, des entonnoirs partout, les vignes dévastées, les murs de clôture de la clinique Mencière éboulés sur une grande longueur, certains de ses arbres réduits à l’état de pinceaux. Par bonheur le train blindé ne revint pas. Je ne le revis jamais par la suite et le calme qui suivit dans notre quartier nous apparut comme un bienfait du ciel.
Calme assez relatif, il faut le reconnaître, car, si les bombardements étaient devenus plus rares sur Sainte-Anne, le reste de la ville n’était pas épargné, surtout les quartiers de Bétheny et de Cernay.
La saucisse de Montbré a brulé deux fois dans la même journée. L’observateur, sauté en parachute, était mitraillé en l’air par l’Allemand qui avait attaqué la saucisse, je trouvais cela une véritable lâcheté de sa part puisque l’aéronaute était sans défense et bien assez en danger sous son parapluie jaune, mais il paraît que c’était ça la guerre !!
En savoir plus sur le docteur et la clinique Mencière

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

 Louis Guédet

Lundi 23 avril 1917

954ème et 952ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 matin  Temps magnifique, froid, il a dû geler. A peine monté vers 8h pour m’habiller, il a fallu descendre en cave. Les journaux deviennent muets. Je crains bien que la grande offensive dont on nous a encore leurrés pour la ? Xième fois est encore…  retardée. C’est désespérant, décourageant. Voilà donc 32 mois de stoïcisme, de courage, de dévouement sacrifiés pour rien !! J’en suis anéanti. Tout, tout aura donc été contre moi. Sacrifiez-vous ! Dévouez-vous ! c’est en pure perte. Dieu ne protège que les lâches ! C’est la négation de tout. J’aurai tout perdu, tout sacrifié pour rien, pour rien. C’est honteux, injuste, révoltant.

A l’intérieur de ce double feuillet se trouve une petite feuille de calepin de notes relatant les évènements « pris sur le vif » concernant les journées des 21, 22 et 23 avril. Ils sont intégralement repris et développés dans le journal quotidien.

Toute la nuit on s’est battu et nous avons été aussi fort bombardés. Je ne sais encore où, étant bloqué ici et ne pouvant sortir. Pourrais-je même aller chercher mon courrier et poster mes lettres à la Poste. On n’ose plus sortir, car à chaque instant on risque d’être pris dans une rafale. Cette vie devient réellement désespérante, et sans issue !

6h soir  En cave. Il y avait longtemps qu’on y était descendu, mais je crois que ce n’est qu’une alerte.

A 9h1/4 été chercher mon courrier au Palais où j’ai répondu à quelques lettres dans la crypte tandis que çà tombait ferme aux alentours du Palais et de la Cathédrale. Un incendie s’allume rue de la Clef (située Cours Langlet et supprimée à la reconstruction de Reims. Étroite, ne faisant que 3 mètres, elle avait une longueur de 80 mètres) près de chez Thiénot, notaire (rayé).

Je rentre vers 10h1/2, mais cela bombarde toujours, on déjeune tranquillement cependant. Vers 2h1/2 je me décide à pousser jusqu’à la Poste pour retirer le courrier d’aujourd’hui. Quantité de lettres auxquelles je réponds en partie dans la crypte même, et les autres sont écrites chez moi, en tout une 15aine (quinzaine). En sortant du Palais vers 3h, rencontré un capitaine du 47ème d’Artillerie qui me connait, M. Arthault (?), il était à l’aviation ici avant la Guerre. Nous causons avec le Rémois qui l’accompagnait, M. (en blanc, non cité), devant chez Touret, rue des 2 Anges. Il nous dit qu’il était à la prise de Courcy, du château de Rocquincourt dont il ne reste rien, tout est rasé. Nous sommes au canal, rien de plus. Mon soldat de l’autre jour du 61ème d’Artillerie s’était trompé. Nous étions allés plus loin, mais il avait fallu rétrograder de peur d’être trop « en l’air ». De la verrerie de Courcy, le pavillon habité par Givelet est rasé par notre artillerie, à cause des mitrailleurs qui y étaient installés. Comme nous lui disions que le sentiment de tous les Rémois était que l’attaque était ratée, il protesta très nettement et très simplement, disant qu’on ne faisait que commencer et que du reste on massait de nouvelles troupes vers Merfy et St Thierry pour enlever Brimont. Il me disait une chose qui m’a surpris, c’est qu’il est plus facile de prendre une position en montant qu’en descendant. Aussi la prise prochaine de Brimont ne paraissait faire aucun doute pour lui. Il parait aussi que nous les avons inondés de gaz asphyxiants, et que les allemands avaient perdu là énormément de monde. Il narrait que la prise de l’ouvrage quadrangulaire à l’emplacement du moulin à vent de Courcy avait coûté 50% des effectifs russes chargés de s’en emparer. Bref il nous a réconfortés, et très aimablement il me prie de rectifier cette idée que notre grande offensive était avortée. Il estime que nous devons les déloger d’ici sous peu. Je le quittais en lui disant : « Que Dieu vous entende ! »

Je poussais jusqu’à l’Hôtel de Ville où la municipalité n’est plus. Elle est installée dans une cave de la Maison Werlé, en face du commissariat central (ancienne maison Jules Mumm), j’y trouve le Maire, qui me dit qu’on me cherche pour me donner connaissance du testament du pauvre Colnart à sa femme et à sa belle-mère, et Legendre me cherche. Je saute dans l’auto d’Honoré et je rentre à la maison où je trouve la malheureuse veuve. Je lui donne connaissance du testament et lui dit d’aller chercher l’autre testament qui est enterré dans leur jardin, 41, rue Montoison. Legendre les y conduit et quelque temps après me remet ledit testament qui est la réplique de celui que j’avais déjà, sauf des recommandations et des développements sur le spiritisme. Il demandait d’être enterré selon le rite de sa secte, à moins que sa Mère (qui est morte) ait voulu qu’il fût enterré religieusement. Dans ce cas il demandait des obsèques catholiques, disant que cette religion était celle qu’il croyait la plus sincère et la plus rapprochante de ses idées spirites !! Singulière mentalité. C’était un illuminé dans son genre, et un rêveur.

Je mets ensuite mon courrier au courant. C’est fait. Il est 6h1/2, le calme. Je remonte dîner.

8h1/2 soir  Dîné en vitesse, çà tombait tout proche. A peine fini, le silence. Je sors dans le jardin, et à 7h3/4 exactement j’aperçois les 2 premières hirondelles de l’année 1917 voletant sur Reims ruiné. Sont-elles au moins les messagères de notre délivrance prochaine et définitive ??…  Toujours le calme, nous descendons nous coucher.

Aujourd’hui St Georges, il n’a pas plu, nous aurons des cerises !! dit le dicton (« Quand il pleut le jour de Saint Georges, sur cent cerises, on a quatorze »). Souhaitons que nous les mangions en Paix ou tout au moins délivrés.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

23 avril 1917 – Bombardement serré, commencé plus tôt que d’habitude, vers 8 h du côté du boulevard de Saint-Marceaux et qui s’étend sur le centre. En même temps, un dépôt de grenades saute dans le haut de l’avenue de Laon. Des gros calibres font entendre ensuite leurs explosions autour de l’hôtel de ville. Un soldat est tué rue du Clou- dans-le-fer ; un autre blessé.

Dans la matinée, un cheval blessé dans les environs, est venu mourir rue de Mars. Cet après-midi, un poilu de passage en a dé­bité, sur place, les meilleurs morceaux. C’était une aubaine pour les amateurs des popotes de l’hôtel de ville. Guérin, notre cuistot, n’a pas laissé passer non plus cette occasion ; il s’est fait adjuger la moitié du filet.

— Nous nous demandons à quel propos le communiqué fait mention, aujourd’hui, d’un violent bombardement de Reims, puis­que depuis le 6 courant ce n’a été, pour nous, qu’une suite de bombardements terribles, dont il n’a rien dit.

Nous préférerions qu’il soit plus explicite sur les résultats donnés par la fameuse offensive déclenchée de notre part, le 16 avril, et dont nous espérions tant un changement complet de situation pour Reims, car tout ce que nous sommes à même de constater jusqu’à présent, c’est une sérieuse aggravation des condi­tions déjà fort pénibles d’existence, dans notre malheureuse ville.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Avenue de Laon
Avenue de Laon

Cardinal Luçon

Lundi 23 – + 2°. De 2 h. à 9 h. au nord (?) violent combat d’artillerie mitrailleuses (allemandes). A 5 h. aéroplanes. Matinée : bombardement pres­que continu en toutes directions. 2 heures : série ininterrompues de bombes allemandes : la matinée et l’après-midi, roulements de bordées de canons à l’est de Reims. Souscription ouverte par Mgr Gibier. Lettre à Mgr Gibier, publiée dans les journaux. (Recueil, p. 129).

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 23 avril

Entre Somme et Oise, lutte d’artillerie très active dans la région au sud de Saint-Quentin et au nord d’Urvi1lers.

Entre Soissons et Reims, action d’artillerie intermittente daus certains secteurs.

En Champagne, la journée a été marquée par une série de réactions de l’ennemi sur les hauteurs que nous tenons daus le massif de Moronvilliers.

Une violente attaque, dirigée sur le Mont-Haut, a été réduite à néant après un vif combat: nos feux de mitrailleuses et nos contre-attaques ont infligé de sanglantes pertes à l’ennemi. Un bataillon ennemi a été pris sous nos feux et s’est dispersé.

Trois avions ennemis ont été abattus par nos pilotes.

Les troupes britanniques ont effectué une nouvelle progression à l’est du bois d’Avrincourt et la partie sud du village de Trescault est tombée entre leurs mains. Vif combat au sud-est de Loos. Nos alliés ont réa1isé une nouvelle avance en ce secteur et ont fait des prisonniers. Ils ont abattu quatre avions allemands, mais quatre des leurs ne sont pas rentrés.

Une escadrille de cinq destroyers allemands a lancé des obus sur Calais, puis sur Douvres. Attaquée devant cette ville par des navires patrouilleurs anglais, elle a perdu deux de ses unités: les autres ont pris la fuite.

Canonnade sur l’ensemble du front italien.

On annonce une sortie de la flotte allemande de la Baltique dans la direction des côtes russes.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour