Louis Guédet

Dimanche 15 avril 1917

946ème et 944ème jours de bataille et de bombardement

9h1/2 matin  Temps gris, nuageux, vent froid, un temps de 1er novembre. Toute la nuit combats, batailles, tirs de barrages dont les obus nous empêchent de dormir. Je suis assommé de sommeil. Toujours des avions tourbillonnant au-dessus de nous. On en est obsédé. Messe à 7h dite par l’abbé Camu, pour le repos de l’âme de mon pauvre Jacques. Il n’y a plus de messe chantée à 8h1/2 faute de chantres et d’organiste. La messe paroissiale est remplacée par une messe basse, où on chante juste le Credo. Jusqu’à présent nous sommes au calme, mais je désespère presque de voir cette grande offensive dont on nous a tant…  gargarisé depuis 15 jours. L’assaut devrait même être donné aujourd’hui au plus tard… !!! Ah ! là ! là ! nos officiers d’état-major aiment mieux se tenir à l’abri et boire notre Champagne pillé par leurs embusqués de secrétaires et autres.

6h soir  J’apprends la mort par gaz asphyxiants de Valicourt (Léon Valicourt, décédé par asphyxie au commissariat de la place Suzanne), sa femme et sa fille. Je l’avais connu dès les débuts de mon arrivée à Reims en 1887 – 88 par la Mère St Jean et Charles Decès. Il avait commis des détournements aux Hospices, fait de la prison. Il avait remboursé et vivait de quelques leçons, et de sa place de chantre à St Remy. Il s’était bien racheté. Une vieille physionomie rémoise encore disparue, le type du vieux professeur de français et de latin d’il y a 60 ans !! On me remet des fonds d’une autre victime des gaz, Delaitre, dit Noëllet, 6 rue du Réservoir. Bref tout le quartier St Remy a été fortement atteint par ces gaz. Une bombe de ce genre est tombée place Subé (place d’Erlon), on dirait la place peinte au minium (pigment de couleur rouge orangé indiquant la présence de gaz suffocants).

Le bombardement n’a pas cessé depuis 10h du matin, et la rue Courmeaux est entièrement détruite cette nuit. Nous sommes toujours séparés du monde, peu de lettres, pas ou point de journaux. Vu Féron, marchand de vins, rue Boulard, qui me disait qu’un soldat du 7ème Génie, cantonné à Dieu-Lumière lui avait avoué, à l’instant vers 9h, que ses camarades pilaient les caves de ce quartier, vins en bouteilles et même en cercle qu’ils revendaient à leurs camarades de cantonnement à 1 F le litre ou la bouteille !!

Été porter lettre à Landréat. Vu à maisons Jacques et Gambart. Tout va bien, mes gardiens font bonne garde. Repassé rue de Talleyrand quand j’aperçois des soldats russes du régiment n°2 sortant de mon ancienne maison au n°37. Ils se sauvent, j’entre et me heurte à un qui n’avait pas eu le temps de filer. Je fais le geste de tirer mon revolver, il me met la main sur la mienne en disant : « Niet ! Niet ! » et faisant signe qu’il n’a rien pris, et pour assurer sa déclaration fait force de signes de croix !! Je le laisse partir et il prend ses jambes à son cou. Je crois que celui-là regardera à deux fois avant d’entrer dans une maison abandonnée. Je revisite ma pauvre demeure, c’est lamentable. C’est une ruine. Je tombe à genoux dans le jardin et je prie, demandant à Dieu de faire cesser mon martyr et d’être bientôt sain et sauf délivré des allemands, qui nous bombardent avec rage. J’y cueille une violette et quelques primevères que j’enverrai à ma pauvre femme.

Remis mon pli Delaitre au Commissaire de Police du 1er canton pour être remis à un automobiliste qui le déposera au Receveur des Finances de Reims à Épernay.

Je suis fatigué, fourbu, et très exténué…  abattu. Il parait que mon commissaire de police du 3ème canton Speneux a été incommodé par les gaz ce matin en procédant au sauvetage des victimes, et qu’il vient de partir à Épernay.

Mon Dieu faites que je sorte indemne de cet enfer bientôt, avec mes 3 malheureuses qui ne veulent pas me quitter ni m’abandonner. Mon Dieu, faites que Reims soit bientôt délivré !! Il a déjà suffisamment payé sa part aux malheurs et aux sévices.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Quasimodo -15 avril 1917 – Après une nuit épouvantable de bombardement avec obus asphyxiants sur le faubourg de Laon, le quartier de Saint-Marceaux, Gerbert et du Barbâtre, obus à gaz encore dans la matinée, même dans le centre. On signale une trentaine de victimes, intoxiquées, de tous côtés.

Dans la journée, bombardement ininterrompu en pleine ville ; les rues Courmeaux et Notre-Dame de l’Épine, notamment, sont fort éprouvées, comme dégâts.

Nous avons dû passer la journée entière dans les caves de l’hôtel de ville. Le soir, à 20 h en regagnant la cour du Chapitre, je m’arrête un court instant auprès de quelques personnes qui, de la place des Marchés, regardent le clocher de l’église Saint-André. Au quart de sa hauteur, à peu près, le trou d’entrée d’un obus laisse voir, au milieu des ardoises, un disque rouge décelant seul un incendie intérieur en train de dévorer la charpente.

Lorsque je repasse au même endroit, le lendemain matin, le clocher a totalement disparu.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

La place des marchés, actuelle place du Forum

Cardinal Luçon

Dimanche 15 Quasimodo – Nuit terrible, surpassant toutes les précé­dentes. Toute la nuit, canonnades et bombes, surtout de 6 h. à 11 h. et de 3 heures à 6 heures, par rafales. Dès le matin, avions en l’air. A 10 h., une quinzaine d’avions français paraissent à la fois en même temps dans l’air. Toute la journée, mais non par rafales, des obus tombent ici ou là, pendant que les avions français et allemands évoluent dans les airs.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Dimanche 15 avril

Entre Saint-Quentin et l’Oise, nos batteries ont poursuivi leurs tirs de destruction. Nos troupes se sont organisées sur le terrain conquis.

L’ennemi a réagi, par son artillerie, sur nos premières lignes, notamment aux abords de la vallée de la Somme.

Au sud de l’Oise, nons avons réalisé des progrès sur le plateau au nord-est de Quincy-Basse. Notre artillerie s’est montrée particulièrement active sur les organisations allemandes de la forêt de Saint-Gobain et de la haute forêt de Coucy.

Au nord de 1’Aisne et dans la région de Reims, activité réciproque des deux artilleries.

En Champagne et dans les Vosges, canonnade assez violente dans divers secteurs. Un coup de main ennemi sur un de nos petits postes au nord-est de Ville-sur-Tourbe a échoué.

Les Anglais ont enlevé le village de Fayet, au nord de Saint-Quentin, ainsi que les positions de la ferme de l’Ascension et de la ferme du Grand-Parel. Au nord de la Scarpe, après avoir occupé Angres, Givenchy-en-Gohelle, Vimy, ils se sont emparés de la fosse n° 6 et de la gare de Vimy. Le chiffre des pièces de canon prises par eux monte à 170. Le terrain conquis rejoint les positions saisies lors de la bataille de Loos.

Un navire hôpital anglais a coulé sur une mine; il y a 52 manquants. Un autre a été torpillé.

Le Brésil a saisi les navires allemands internés. La Bolivie a rompu avec le cabinet de Berlin.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour