Louis Guédet

Mardi 2 mai 1916

598ème et 596ème jours de bataille et de bombardement

6h  Temps lourd et orageux. Le calme hier entre 7h-8h, bombardement vers Pommery, ces obus passaient très haut au-dessus de la maison. C’est fort désagréable. Journée occupée. Pas de nouvelles des miens, mon pauvre enfant partait sans doute et sa pauvre Mère n’a pas pu m’écrire sans doute.

Vers 9h1/2 été au Palais de Justice pour voir le Procureur de la République. Rencontré dans la salle des pas perdus le Procureur, M. Creté juge et Dupont-Nouvion, avocat, qui accompagnaient M. Eugène Leroux, directeur du Personnel au Ministère de la Justice (Conseiller d’État, directeur de l’administration pénitentiaire en 1922), auquel M. Bossu a tenu à me présenter. Le Procureur, Creté et Dupont-Nouvion faisaient mon éloge, mais il paraissait très renseigné sur mon humble individu. Ils ont fait le tour du Palais et avant de partir M. Leroux a tenu encore à me serrer la main. Vu ensuite le Procureur avec lequel j’ai causé quelques minutes, et je suis ensuite rentré chez moi. Je vais lire un bouquin que le brave procureur m’a prêté parce qu’il me trouvait des idées belliqueuses, c’est « Le Sabre du Notaire » de Louis d’Hurcourt (Le Sabre du Notaire, mémoire d’un poltron, est un roman humoristique de Louis d’Hurcourt (1853-1920)). Je le relirai volontiers, mais je suis tout de même moins peureux qu’Onézime Prudent Nicolas Bourdonnais, notaire à Noisy-le-Bar !! En tout cas cela me changera un peu mes tristes pensées pendant quelques heures…  Je suis fort triste, découragé…  Et puis rien pour me consoler, rien pour m’encourager.

8h soir  J’ai fini de lire le « Sabre du Notaire », cela m’a amusé mais je ne puis n’exprimer qu’un regret, c’est que lui, « l’Infernal Tabellion » au moins se battait, tandis que moi je suis ici à recevoir les coups sans pouvoir les rendre, et que je ne puis même pas me défendre et tuer quelques prussiens…  Tout en ayant peur il était brave et moi j’ai du courage sans peine, mais…  sans gloire. Il a été décoré par l’Empereur sur le Champ de Bataille, tandis que moi je ne le serai jamais, et…  me dira-t-on merci, seulement, je ne le crois pas. En tout cas j’aurais fait ce que j’aurais pu pour rendre service à mes concitoyens. Peu importe le reste.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Mardi 2 – Nuit tranquille. Matinée silencieuse, jusqu’à 4 h. Décision. Visite aux Petites Sœurs des Pauvres pour leur communiquer décision écrite à la Supérieure Générale, faisant connaître qu’il n’était pas prudent de lais­ser les Sœurs là où elles sont, tout près des batteries françaises, que visent les batteries allemandes, dont les bombes tombent sur les maisons de l’Asile ou dans le jardin.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mardi 2 mai

En Belgique, notre artillerie a bouleversé les tranchées allemandes, en face de Boesinghe et de Steenstraete.
En Argonne, lutte de mines à la Fille-Morte. Nous avons occupé la lèvre sud d’un entonnoir provoqué par une explosion. Nous concentrons nos feux sur les organisations ennemies des Courtes-Chausses et du bois de Cheppy.
Les Allemands ont tenté une série d’attaques dans la région du Mort-Homme. Ils ont été chaque fois repoussés. Dans l’ensemble, leur pertes ont été énormes.
Sur la rive droite de la Meuse, ils ont canonné violemment la côte du Poivre et la région de Douaumont.
D’après un communiqué officiel, notre aviation de combat, durant le mois d’avril, a abattu 31 avions ennemis : 9 de ces derniers sont tombés dans nos lignes; les autres ont été vus en flammes. Nous n’avons, de notre côté, perdu que 6 avions.
La situation n’a pas changé sur le front de Macédoine, dans la deuxième quinzaine d’avril. Il n’y a eu que des escarmouches sans importance, bien que relativement fréquentes.
M. Venizelos a publié, dans son journal, le Kyrix, un article pour soutenir la demande des alliés que les Serbes puissent traverser le territoire hellénique.
La révolte irlandaise touche à sa fin. Les insurgés de Dublin ont invité ceux de province à capituler; 800 prisonniers ont été faits; les principaux chefs ont été capturés. Une partie de la presse réclame la démission de lord Winborne, le vice-roi d’Irlande, qui, d’après elle, aurait été inférieur à sa tâche.
L’enquête faite en Allemagne avec la collaboration des autorités hollandaises, a montré que le Tubantia avait bien été coulé par un sous-marin.
Un raid, tenté par les Allemands sur le front britannique, près de Fricourt, a échoué. L’ennemi n’a pas été plus heureux dans le secteur Messine-Wulverghem, où il avait recouru aux gaz asphyxiants. Guerre de mines plus active dans le secteur de Loos. Canonnade violente sur le front belge, dans la région de l’Yser.
Violent bombardement par les Allemands du secteur de Riga, comme aussi sur les positions de Dwinsk.
Au nord de Mourovitza, sur l’Iksa, les Autrichiens ont attaqué en force les tranchées russes. Après un violent combat, nos alliés ont capturé ce qui restait de deux bataillons hongrois, environ 600 hommes, les deux bataillons ayant subi, durant l’affaire, de très lourdes pertes.
Dans la région de Diarbékir (Asie Mineure), les Russes ont repoussé des attaques des avant-postes turcs. Les troupes ottomanes ont évacué deux localités à 100 kilomètres à l’ouest de Trébizonde.
L’ambassadeur américain Gérard a quitté le quartier général allemand pour rentrer à Berlin. Mais l’envoi de la note allemande à l’Amérique tarderait encore.
La Russie et l’Angleterre ont conclu un accord avec la Perse.
Une mutinerie a éclaté en Belgique parmi les soldats allemands cantonnés à Bruxelles.
Le gouvernement suisse se déclare satisfait à la suite de la démarche que notre ambassadeur, M. Beau, a faite à propos d’un raid de deux avions français sur le territoire helvétique.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Le Mont-de-piété
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