Le 7 décembre 1914 [reçue le samedi 12]

Ma chère maman,

Je mets toujours la même adresse. J’espère que papa ne s’en plaint pas, car il devait lire les lettres en même temps que toi. Hier dimanche, j’étais tranquillement en train de prendre mon café au mess !! Lorsqu’on me fait demander au bureau, un officier d’artillerie, tu juges de ma tête : un officier d’artillerie ; j’ai pensé à tout excepté à M. Prandière, quel brave homme très aimable. Il a fait 8 kilomètres pour venir me serrer la main. Il est à un convoi et a pas mal d’embêtements mais enfin, il est en bonne santé et de bonne humeur et a la veine d’avoir un très bon cheval, et il ne monte qu’en selle anglaise. Nous avons causé deux bonnes heures et j’irai le voir un de ces matins.

Maintenant, une autre nouvelle, moins folichonne, comme la cavalerie ne sert à rien par ici et en ce moment, nous allons dans les tranchées, 48 heures à tour de rôle avec les fantassins, ce qui n’a rien de rigolo.

9 décembre. Arrêt forcé. Je viens d’aller [   ] parce que les camarades aux tranchées, dans 6 jours, ce sera mon tour. On a de l’eau jusqu’aux genoux et de la boue par-dessus la tête…

J’ai reçu les deux paquets. Celui du BM d’abord et ensuite le tien. Tu es vraiment bonne. Je me crus un instant dans le civil. Les lundis me vont épatamment et je puis enfin me laver les dents, ce qui n’était pas du luxe. Le calot me va comme sur mesure et le reste aussi. Le tabac est en fumée. Demande à Raoul s’il veut m’envoyer son paletot de cuir s’il n’en a pas besoin, car il me sera utile comme fantassin d’occasion. Nous touchons les mousquetons avec baïonnettes, ce qui est tout de même quelque chose, car charger avec nos carabines n’a rien de drôle ni de terrible, et les Boches en ont déjà profité avec le 2e Dragons.

Voilà longtemps que je n’ai de nouvelles d’Élisabeth et je commence à fulminer. Il paraît que nous avons maintenant une artillerie lourde épatante. Cela fait plaisir. Pas de nouvelles de Jean. Il est dans la région où nous étions d’abord avec de Castelnau, avec qui nous sommes encore ici. Il n’a pas l’air d’un imbécile. Je ne peux plus écrire, j’ai les mains gelées. Je vais mettre ma lettre au train ; il paraît qu’elles arrivent vite de cette façon.


Mets groupe A, cela marche bien ainsi. Nous sommes toujours à Tincques et nous allons dans les tranchées au mont Saint-Éloi et à Arras, pauvre patelin qui était si joli il y a deux mois. On ne peut se faire une idée de ce qui en reste.

Je vous embrasse tous et vous dis à bientôt.

Jacques

Même adresse


Le 13 décembre 1914

Ma chère maman

Nous avons enfin changé de cantonnement pour tomber plus mal malgré tout. Nous avons touché des mousquetons avec coupe-choux. Dire que maintenant, nous nous plaignons et que nous ne faisons plus rien. D’après les journaux, tout va bien excepté pour les Boches. Si cela pouvait les faire partir d’ici, ça ne ferait pas de mal car nous commençons à connaître la région. As-tu des nouvelles de Jean ? Et de Georges. Donne-m’en s’il tu en as. La santé est toujours bonne malgré le mauvais temps.

Ceux qui reviennent des tranchées n’ont pas envie d’y retourner. Ils ont de l’eau jusqu’au ventre sans exagération, ce qui n’a rien de drôle, surtout pour 48 heures et tu penses s’ils reviennent jolis.

Écris-moi souvent et de longues lettres, tu me feras bien plaisir. Écris maintenant comme ceci, c’est épatant :

23e Drag.
5e esc.
4e pel.
Par secteur postal n° 128, c’est tout.

C’est une innovation intelligente, et pratique si nous changeons de régions, nous changerons de secteur et c’est tout

Dis bien des choses de ma part à toute la famille et embrasse tout le monde de ma part.

Je vous embrasse tous
Jacques