Ma chère maman,

J’ai eu ta lettre avant-hier, ainsi que celle de papa et son contenu. Je vous  en remercie infiniment. Je voudrais bien que la guerre commence à se terminer pour pouvoir enfin travailler car ce métier commence à me dégouter. Cela ne va pas assez vite, malgré que les nouvelles soient bonnes et je crois que cela va tarder d’ici peu. Tant mieux, l’inaction n’est pas très bonne surtout pour des militaires.

Sais-tu où est Jean ? Il y a en ce moment pas mal de mouvements de troupes, cela est bon signe et les Boches ne sont plus aussi tenaces. Il y a quelques jours, dans notre secteur, on a pris 3 lignes de tranchées et nous n’avons que 3 blessés, ce n’est pas cher. quand nous allons aller en Allemagne, je compte bien que nous leur donnerons la monnaie de leur pièce avec usure à ces salauds-là, ils ont des matelas dans leur tranchées.

Raoul  va-t-il mieux ? Comme il commence à faire beau, j’espère que cela va le remettre complètement à flot. Qu’il tâche de se rétablir vite pour nous recevoir proprement quand nous allons rentrer……

Quoi de neuf à Paris ? Jack le photographe est-il toujours là ? S’il n’était pas bête, il m’enverrait un appareil et des pellicules. Je lui enverrai des photos qui auraient certainement de la valeur et dont vous profiteriez par la même occasion. Il y en a qui gagnent de l’argent avec ce truc-là et quand nous marchons, les vues ne manquent pas. Suzanne ne m’écrit pas souvent, ce n’est pas chic car les nouvelles me font bien plaisir. Et toi, tu es restée 15 jours sans m’écrire. Pourquoi ? Je t’assure qu’en ce moment, j’ai du travail depuis cinq heures et demie du matin jusqu’à six heures le soir et je suis vanné et n’ai pas toujours le courage d’écrire. Il ne faut pas m’en vouloir. Je suis résigné. Je ne fais plus rien pour me sortir de mon cambouis.

Je suis avec Narjollet, le plus brave garçon qui puisse exister, du moment qu’il veulent me conserver intact en me mettant à l’abri. Tant mieux, tant pis, je ne force pas le sort.

Élisabeth, elle, est enchantée de ce truc-là et m’en écrit quatre pages à ce sujet. Vraiment, je crois que je ne serai pas malheureux. Écrivez-lui souvent, je suis sûr qu’elle est désespérée quand vous tardez à lui répondre et tranquillisez-la aussi. Je lui ai demandé une photo, elle a maigri d’une façon épouvantable et je ne veux pas épouser un squelette.

Au revoir, je vous embrasse tous de tout cœur.

Un embusqué,

Jacques