Louis Guédet

Jeudi 9 janvier 1919

1581ème et 1579ème jours

5h soir  Quelle journée !…  de deuil ! Ce matin vers 7h j’ai trouvé mon pauvre Père mort dans son lit ! Il n’avait pas fait un mouvement et semblait dormir ! La petite bonne, fille de Mme Girard (Camille Girard, née en 1902), lui a apporté son déjeuner comme d’ordinaire, et l’ayant appelé, voyant qu’il ne répondait pas, est venue nous appeler. J’y cours !! C’était fini !

Dors en Paix dernier des de Guériot. Honnête homme si jamais il en fut ! Trop bon ! Trop bon ! Ce qu’il s’est fait exploiter ! Homme juste à l’excès ! Il est mort à presque 83 ans, étant né à St Martin-aux-Champs le 29 mars 1836, mort le 9 janvier 1919 vers 5h du matin sans doute, même date que ma mère qui est morte le 9 mai 1898 !

Pauvre Père ! Toujours aussi lucide ! aussi vif d’esprit qu’à 50 ans. Pas une infirmité. Pas une défaillance. Toujours aussi alerte, actif, l’esprit en éveil et se tenant au courant de tout. Quelle belle vieillesse il aura eue ! Hier encore il s’occupait de son jardin, son cher jardin, et taillait des arbres. (Il était même monté sur son toit la veille pour y replacer quelques tuiles, témoignage de Marie-Louise quelques 50 ans plus tard).

Le soir (hier) il a dîné comme d’ordinaire, potage, un œuf et un peu de fromage ! Nous l’avons quitté comme d’ordinaire, lui très dispos, et l’œil vif ! devinant même nos demandes à table, pain, sel ou un plat !

Belle vieillesse ! Physique ! mais bien triste et douloureuse vieillesse au moral à la vue de cette Guerre, et de mes peines et désordres ! Il n’en parlait pas avec moi, mais je sentais, devinais tout ce qu’il en souffrait !… Quelle pensée pénible pour moi, qui n’avait travaillé toute ma vie que pour le rendre heureux et surtout fier de son fils !! Il aura fini sa pauvre chère vie en me voyant sans foyer, sans rien ! que des ruines accumulées sur moi, qu’il aimait tant !

Me voilà seul ! Auprès de lui ! le veillant pour les dernières heures que j’ai à l’avoir dans sa maison, maison de famille depuis 1780. Me voilà seul, seul, sans famille !… Et ce matin pendant qu’on l’ensevelissait sur son lit, dans le jardin je revoyais dans un éclair toute ma prime jeunesse, toute ma vie passée entre ma mère et lui ! si joyeux et si heureux ! et chaque objet, chaque arbre me rappelait tout cela et un sentiment d’ineffable douleur m’étreignait et m’incitait à venir ici mourir aussi à mon tour !! Cela me sera-t-il donné ? Je ne sais ! mais mon grand désir, c’est de pouvoir conserver ma maison familiale, ancienne demeure seigneuriale ! et venir y finir mes tristes jours ! Oh mon pauvre cher Père ! fait que je puisse garder ta maison toujours, toujours ! Ta maison que tu aimais tant, et que j’y vienne finir mes jours ! Oh ! Conservez-moi Saint Martin ! Ce serait une ultime consolation pour moi. L’aurais-je ?… ?… moi qui n’ai que malheurs sur malheurs, ruines sur ruines ! Je suis tellement délabré, désemparé par la souffrance, le malheur, les peines que je n’ose même plus espérer ! de voir le plus modeste de mes désirs se réaliser !

Pauvre Père. Pauvre cher Père ! Pauvre St Martin ! Dors en Paix ! mon cher et aimé Père ! dernier survivant d’un passé ! Dernier des hommes d’Honneur du dernier siècle !… Il n’en n’existe plus de cette race, de cette phalange !! Il lisait encore Virgile à livre ouvert ces derniers temps, esprit très cultivé ! très fin comme rédaction et style. Il n’est plus !

Dors en paix ! Et soit heureux à jamais ! Ton malheureux enfant ne t’oubliera jamais ! Les obsèques auront lieu samedi à 11h, toutes simples comme il le désirait, lui si ennemi du faste et de la gloriole ! Il dormira son dernier sommeil près de ma mère. Et sa tombe se refermera pour jamais sur eux deux (témoins des de Guériot) au chevet de l’Église, car plus personne n’y sera inhumé, pas même moi… ! Car je ne sais où j’irai mourir… ! Et peu m’importe où je serai gisant !! (Il sera finalement enterré dans cette tombe en juin 1929). Je ne désire que l’oubli. Pauvre Père, dors ton dernier sommeil, tu es heureux maintenant, toi qui a tant souffert !…

Triste vie que la sienne, orphelin à 18 ans de père et de mère, marié à ma mère en 1860, 1870 avec toutes ses douleurs, son accident, un pouce enlevé par un coup de fusil en 1872. (Il allait à la chasse avec son fusil avec une seule cartouche et ramenait toujours un lièvre ou un lapin. Un jour son vieux fusil lui éclata entre les mains et lui sectionna en partie le pouce gauche. Il rentra à la maison, pris le couteau de cuisine, coupa ce qu’il lui restait de doigt sous l’œil horrifié de sa femme puis trempa le moignon dans un verre d’eau-de-vie pour désinfecter le tout. La cicatrisation s’effectua sans problème). Puis moi les quittant en 1874 pour aller au collège, et puis ma mère morte resté seul pendant 21 ans, car les quelques rares instants où je venais le voir ne peuvent compter pour cesser sa solitude. Et jamais une parole de lui sur cet isolement ! Pauvre Père !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

Jeudi 9 – Visite du Cap. Linzeler ; de M. de Mun et d’un rédacteur d’Excelsior.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Jeudi 9 janvier

Une première réunion a eu lieu à Paris entre les représentants des grandes puissances de l’Entente. On annonce que l’armistice, conformément d’ailleurs aux prévisions, sera de nouveau prolongé.
Berlin a été le théâtre de luttes très sanglantes. Il y a eu de nombreux morts et blessés. Finalement, les indépendants se sont entremis entre le gouvernement et les spartaciens. Le gouvernement a posé des conditions, parmi lesquelles la reddition des armes et le renvoi de l’ancien préfet de police Eichhorn. Des mouvements d’émeute ont eu lieu également à Munich, à Spandau et à Schwerin. Les indépendants et les spartaciens ont eu le dessous. On annonce que Ludendorf vit sous un faux nom en Suède.
Le parti ouvrier anglais a décidé d’interdire à ses membres toute participation au gouvernement. M. Lloyd George se préoccupe à la fois d’assurer la démobilisation tout en évitant le retour de certains incidents et de reconstituer son cabinet.
Tous les forts de Posen ont été occupés par les Polonais. D’après les renseignements parvenus, le coup de force de Varsovie aurait été accompli non par les bolchevistes, mais par la droite. Le cabinet Morachewski se serait renforcé à gauche. Les combats continuent autour de Lemberg, entre Polonais et Ukrainiens.
Soixante-dix professeurs allemands ont été expulsés de Strasbourg.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

forteresse de Poznan