Louis Guédet
Vendredi 22 février 1918
1260ème et 1258ème jours de bataille et de bombardement
8h soir La pluie. Très mal dormi, avec de la fièvre. Je suis brisé de fatigue et d’émotions. Ma bonne est malade. Quant à Lise la pauvre fille, je crains bien qu’elle ne soit obligée de partir d’ici. A 10h1/2 je vais au Crédit Lyonnais où nous ouvrons les 6 derniers coffres. La mise en caisse et les scellés se font rapidement. A 11h tout est terminé.
Les 2 agents de la sûreté de Reims arrivent pour accompagner Dondaine jusqu’à Paris. Le Procureur de la République a télégraphié qu’il arriverait à 1h et qu’on l’attende. J’envoie Dondaine et Landréat déjeuner. Je fais prévenir à la maison qu’on ne m’attende pas. A 1h le Procureur arrive. Je lui rends compte de tout ce qui a été fait. Il envoie une dépêche au Procureur de Meaux afin qu’il donne des agents pour assurer la garde du camion cette nuit… Partant à 1h, le camion militaire arrivera à Meaux vers 5h où on couche, et le lendemain il repartira pour Paris vers 7h pour arriver vers 10h, heure à laquelle au Crédit Lyonnais toutes mesures seront prises pour mettre les caisses en coffres-forts.
A 1h1/4 le chargement est fait. Les 2 militaires chauffeurs montent au volant. Dondaine avec les agents de la sûreté à l’arrière avec les caisses. A 1h20 la voiture décolle. Devant le Théâtre l’auto écrase le petit chien noir d’Olza, le pâtissier d’en face. Est-ce « fas » ou « nefas » ??! pour le voyage de ce brave Dondaine !!
Les gendarmes de garde nous quittent ainsi que le représentant du Crédit Lyonnais. Je vais avec le Procureur visiter la Cathédrale qu’il trouve dans un bien triste état depuis qu’il l’a visitée pour la dernière fois. Nous causons très aimablement et je le quitte à 2h devant le Palais de Justice d’où il va à la Mairie pour parler de l’évacuation de l’État-civil.
Je déjeune rapidement, j’écris un mot à ma chère femme pour qu’elle ait de mes nouvelles quand même et je cours à la Poste rue Libergier où j’arrive juste pour la dernière levée. Je reviens faire mon courrier, et de là vais à la Mairie pour « aller aux nouvelles ». Tout est à l’évacuation ! J’apprends que M. Pizot, secrétaire Général de la Marne est ici avec de Bruignac. Je demande à le voir. Nous causons, lui très aimable avec moi. Il me demande si je désire rester. Je lui réponds affirmativement, ce qu’il comprend. Je lui demande alors qu’on me laisse mes 2 filles dévouées, mais il me laisse entendre que pour Lise ce sera impossible. La pauvre fille a 70 ans, c’est de rigueur à partir de 60 ans. Mais Adèle me restera. Nous allons être bien seuls !… Dans la fournaise et dans l’attente.
M. Pizot me laisse entendre que courant mars la situation sera nettement éclaircie. Dieu l’entende ! et le veuille ! et que nous n’ayons pas tout ce que ces mesures nous laissent supposer et craindre ! Nous causons de choses et d’autres et nous nous quittons très cordialement. Je rentre à la maison mettre un peu d’ordre… chez moi. Je passe chez Bauler pour m’entendre sur l’emballage et l’évacuation de ma vaisselle et de mes verreries et autres objets intéressants que j’avais laissés jusqu’ici. J’aime mieux en finir et avoir l’esprit tranquille là-dessus. Quant à ma cave je verrai Carbonneaux de chez Charles Heidsieck pour sa sûreté. J’ai l’intention de la faire mettre dans les caves de la Maison Charles Heidsieck comme Henri Heidsieck me l’a proposé. Enfin, à la Grâce de Dieu !
Sur ma route je rencontre le Père Griesbach qui m’apprend que le Père Desbuquois a été incommodé par les gaz, et qu’il est encore assez souffrant. Je vais lui écrire demain.
Demain ? De quoi sera-t-il fait ?
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
22 février 1918 – L’Éclaireur de l’Est, ce matin, donne connaissance de l’avis suivant, de la mairie :
Évacuation partielle de la ville de Reims.
L’évacuation d’une partie de la population de Reims est décidée. Elle sera exécutée à bref délai et ceux d’entre nous qui devront quitter la ville, seront prévenus individuellement du jour, de l’heure et de l’endroit où des voitures viendront les prendre et les conduire.
Tous les habitants qui doivent ou non quitter la ville, sont donc priés de procéder le plus rapidement possible à un inventaire de leurs mobiliers et marchandises, qui devra être porté à la mairie le samedi 23 et le dimanche 24 février, pour être revêtu du visa municipal, en vertu d’une circulaire de M. le ministre du Blocus et des régions libérées du 9 février 1918.
Le maire : J. -B. Langlet
— Bombardement le soir.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Vendredi 22 – + 4°. Nuit tranquille à Reims. Préparé les restes des Cœurs des Cardinaux de Lorraine et du Cardinal Gousset, pour les expédier à Cormontreuil. A 9 h. soir, bombes tout près de nous, pendant 5 minutes seulement, reste de la nuit tranquille.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Vendredi 22 février
Au nord-ouest de Reims, dans la région de Loivre, un coup de main ennemi a échoué sous nos feux.
Le chiffre des prisonniers faits en Lorraine, au cours des opérations au nord de Bures et à l’est de Moncel, est de 525, dont 11 officiers.
Assez vive activité d’artillerie de part et d’autre sur l’ensemble du front, notamment dans les régions de Pinon, Vauxaillon, Malmaison, Pontavert, Guyencourt et la butte du Mesnil.
Nos pilotes ont abattu trois avions allemands, contraint deux autres appareils à atterrir dans leurs lignes, gravement endommagés, et incendié un drachen.
Les troupes britanniques ont réussi un raid à l’est du bois du Polygone et capturé quelques prisonniers. L’artillerie ennemie a été active devant les positions de Flesquières.
Les aviateurs anglais ont attaqué de nouveau Thionville et jeté vingt-six bombes sur la gare. Une forte explosion s’est produite et des incendies se sont déclarés. Tous les appareils sont rentrés indemnes.
Les aviateurs anglais ont bombardé également les usines et la gare de Pirmassens, où une tonne de projectiles a été lancée. Tous les appareils sont rentrés.
Les troupes britanniques refoulent pas à pas les Turcs à l’est de Jérusalem. Elles ont progressé de quatre kilomètres et demi sur un front de douze kilomètres.
A l’ouest de Jérusalem, elles ont progressé d’un kilomètre et demi sur un front de six et demi. Elles ont bombardé les campements de la rive gauche du Jourdain.
Les Italiens ont jeté des bombes sur Innsbruck.
Source : La Grande Guerre au jour le jour