Louis Guédet

Mercredi 28 novembre 1917

1174ème et 1172ème jours de bataille et de bombardement

1h soir  Nuit calme. Temps nuageux, brumeux, et comme disait Henri IV à ses gardes du corps Ménéhildiens (habitants de Ste Menehould (51)): « Il Mousine !! » (Pleuvoir d’une pluie fine) L’expression est encore courante dans notre noble Champagne, que de fois dans mon pauvre village natal de Saint-Martin-aux-Champs les braves paysans me disaient-ils : « Oh ! M’sieur Louis. Y mousine fort à c’matin !! » Temps triste, sombre, les soirées sont longues. Je pleure le soir. Je pleure sur les miens, sur mes soldats, mes petits, ma pauvre femme et sur moi-même. Car ! quelle vie !! est la mienne ! Vu à 10h Beauvais qui me remet des dossiers d’appel pour les allocations militaires. Je vois le sous-préfet M. Bailliez, qui très aimablement (Beauvais m’avait prévenu) me demande de lui faire sa souscription à l’Emprunt. « Je veux mon cher juge de Paix (Osmont ne nous écoute pas, ni Herbaux, ni le Garde des Sceaux !) faire acte de bon Français entre vos mains en souscrivant à la Banque de France de Reims, à Reims !… Il a pris 24 F de rente, soit 411.60 de versés.

Oh ! que Dieu me pardonne ! est-ce exact que je suis le seul à recevoir sa souscription ? ou est-ce Diplomatie ? Alors Charles, receveur municipal ! Fréville receveur des Finances de Reims ! auraient reçu la même souscription ?… Je le saurai ! Mais je suis bon physiologiste et bon psychologiste. Je crois que M. Bailliez est sincère… J’en suis d’autant plus touché.

Bref mes souscriptions marchent tout doucement, il est vrai que les petits ruisseaux font les grandes rivières ! Je le souhaite pour Reims. Et je serais heureux pour le renom de ma chère cité que nous ayons à la Banque de France une belle souscription totale ! Le petit tabellion de Reims aura fait ce qu’il aura pu du moins pour sa Ville, pour la France.

6h1/2 soir  Reçu la visite de M. Gilbrin, Directeur de la succursale de la Banque de France de Reims. Je lui ai remis En compte 8 060 F. A peine parti reçu 3 souscriptions, dont une de 300 F de rente, soit 5 124,50 F en or, par l’abbé Debout, vicaire de St Jacques de Reims, actuellement curé intérimaire de Champfleury et Villers-aux-Nœuds, qui a déniché là-bas un trésor chez des paysans qui se sont décidés à s’en séparer, mais il parait que ce n’est que le 1/4 de la cachette, et le bon abbé m’a promis qu’il me remettrait le reste, 20 000 F d’or enterrés à quelques centaines de mètres des allemands !! C’est fabuleux. J’ai insisté auprès de l’abbé pour qu’il déleste les vieux cachottiers de leur magot. Je crois qu’il y arrivera.

J’ignore qui, mais je dois les connaitre m’a dit l’abbé, mais il a promis de ne pas dire révéler leur nom. Et on dira que les curés ne sont pas utiles à quelque chose ! Quand ce ne serait que pour faire déterrer les vieux pots à or. C’était caché dans des bouteilles à fruits !

Vu un moment Charles Heidsieck qui repart à Paris demain.

Fait quelques courses, et ensuite rentré faire mes écritures d’emprunt et refaire mes 5 rouleaux d’or. L’abbé m’a remis exactement 5 180 F en or. Je suis assez fatigué. Avec les 60 F or déjà touché, 5 180 + 60 = 5 240, cela fait 5 240 F d’or.

Il parait que ces vieux avares n’osaient plus donner leur or de peur qu’on ne les inquiétât pour ne l’avoir pas versé plus tôt. L’abbé n’a pas hésité alors à leur proposer de servir d’intermédiaire en disant que je me chargerai du reste. Cela deviendrait anonyme avec moi. Et çà a marché. J’ai dit à l’abbé de me rapporter le reste au plus vite, et de dire à ses…  clients qu’ils ont raison de se défaire de leur or, car bientôt on démonétisera tout l’or antérieur à la Guerre… Alors !…  les vieux marcheront d’emblée. Et moi j’aurais eu une souscription pas banale ! Que n’aurais-je vu ?!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Paul Hess

28 novembre 1917 – Bombardement, le soir, sur Saint-Charles.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Mercredi 28 – Paris : rentrée de l’Institut Catholique. Ephrem est frappé d’une congestion cérébrale, dans une rue montant à Montmartre, rue du Chevalier de la Barre. Il est conduit chez les Frères de Montmartre. Je l’ai visité le soir ; il était mieux. Reçu Croix de Saint-Georges de Russie. J’ai trouvé le Diplôme et la Croix dans son écrin sur la table de l’Assemblée, à ma place (grande surprise en ouvrant l’écrin), je n’ai rien dit à personne.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

L’ordre impérial et militaire de Saint-Georges, martyr et victorieux, est un ordre honorifique russe qui récompense exclusivement les mérites militaires.

En savoir plus sur la Croix de Saint-Georges


Mercredi 28 novembre

Actions d’artillerie assez vives en Belgique, dans la région de Juvincourt et sur le front du bois Le Chaume.
En Champagne, un de nos détachements a pénétré dans les tranchées allemandes au nord-est de Prunay. Après avoir exploré les positions, il est rentré, au complet dans ses lignes.
Sur la rive droite de la Meuse, nous avons exécuté avec succès une opération de détail au nord de la cote 344 et réduit un îlot de résistance ennemi.
Sur la rive gauche, aux abords de Béthincourt, nous avons fait des prisonniers. De même en Lorraine, nous avons réussi un coup de main près de Nomény.
Les Anglais ont brisé une contre-attaque au coin nord-est du bois de Bourlon.
En Macédoine, nous avons repoussé de petites attaques bulgares. Canonnade dans la région de Monastir.
L’aviation anglaise a bombardé la gare de Drama et les environs de Sérès.
Les Austro-Allemands ont lancé une forte attaque sur les positions italiennes du col Berretta, à l’est de la Brenta. Ils ont été obligés de se replier après avoir subi des pertes très élevées et en laissant des prisonniers.
En Albanie, l’ennemi a également subi un échec au sud-est de Berat.

Source : La Grande Guerre au jour le jour