Louis Guédet

Vendredi 14 septembre 1917

1099ème et 1097ème jours de bataille et de bombardement

8h matin  Nuit absolument calme, combats lointains. J’ai pu me reposer un peu. Pluie toute la nuit. Ce matin temps couvert avec lourds nuages venant du sud. Il fait assez doux. Je puis ouvrir mes fenêtres et respirer encore un peu l’air pur et voir un peu de verdure sous mes yeux. Dans quelques semaines il n’en sera plus de même, il fera froid, il faudra fermer les fenêtres, et avec mes carreaux de toiles je serai dans ma chambre enfermé comme un prisonnier, je ne pourrai même pas voir un coin du ciel.

Hier Lelarge comme moi était heureux que le nouveau ministère fut sans socialiste, menés par ce sinistre Caillaux, dont la femme est l’assassin de (en blanc, il s’agit de Gaston Calmette) du Figaro, et qui a été acquittée !! Signe de notre décadence, aussi la Guerre était déclenchée quelques jours après. Nous étions mûrs pour la défaite et l’esclavage ! Dieu ne l’a pas voulu, heureusement !

Nous parlâmes aussi des succès de l’armée de Sarrail, et il était convaincu que cette avance manifestait d’une façon évidente le commencement de l’usure des allemands, puisqu’ils ne pouvaient plus tenir comme naguère. A Riga ils paraissent essoufflés, en Galicie Roumaine ils sont arrêtés et maintenus. Ah ! que bientôt ils s’avouent vaincus, ou alors qu’un coup de théâtre, un miracle se produise et nous délivre de suite. Nous avons trop souffert ici pour que cela ne nous soit pas donné bientôt.

Les journaux de ce matin sont insignifiants, et ne parlent que du nouveau ministère Painlevé qui parait avoir une bonne Presse.

6h1/2 soir  Au courrier pas mal de lettres. Jolivet qui est à Braisne et qui a l’air de s’y ennuyer fermement, son fils Roger qui voulait s’engager a été encore refusé (Roger Jolivet (1898-1980)). Lettre de mon cher Procureur Général Bossu qui part pour Bastia, et quittera Nice le 19, mercredi à 5h du soir. Je vais lui écrire encore une dernière fois à Nice, Hôtel Masséna. Il m’écrit très aimablement, et parait très touché de ma lettre que je lui avais adressée à Bastia pour son arrivée. Il est d’une vieille famille de magistrats depuis 1789. Avant ses parents étaient avocats, procureurs, mais à la souche 1620, ils étaient meuniers dans les Vosges. Il m’avait prié d’aller lui chercher quelques livres dans sa bibliothèque, et notamment son palmarès du collège de Mirecourt où son père était magistrat. Il était toujours premier et raflait tous les prix, mais il avait fait sa rhétorique et sa philosophie à Gobelins à Paris, où il décrochait toujours des prix. Bref c’était un lauréat. Il me dit qu’il a l’intention en Corse d’écrire ses Mémoires sur Boulanger, sa magistrature à Tunis et enfin à Reims… Ce sera certainement des Mémoires intéressantes. Il avait fini ses études en 1870 – 71. Il m’annonce que je Lettre de rougirai en octobre comme une jeune fille ou en janvier. Je lui réponds que préfère le plus tôt possible, et qu’on n’en parle plus. Je lui raconte mon émotion de lundi dernier. Il pourra l’écrire à Herbaux s’il le juge bon, puisqu’il veut lui écrire avant de quitter la France.

Lettre de ma chère Madeleine qui me donne des nouvelles du 9 de Robert, pas de Jean. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé. Elle me dit qu’elle a vu mercredi au mariage Dagonet – Hémard à Châlons (Jean Dagonet (1889-1969) épouse le 11 septembre 1917 Élisabeth Hémard (1892-1981)) Ed. Dagonet (Edmond Dagonet, officier (1863-1951)) qui lui a dit qu’il venait d’apprendre à la Préfecture de Chapron (Préfet) (André Chapron, préfet de la Marne de 1907 à1919) ou Bizot (secrétaire général) que j’allais être cité, et que c’était un acheminement pour mieux. Que ce soit bientôt, car cette attente est fatigante. Néanmoins je crois que le ruban suivra de près la citation. Hors de cela rien de nouveau, causé avec Beauvais qui insiste sur l’apathie du Maire, et voudrait que déjà on s’occupât d’organiser l’alignement, la reconstruction de la Ville aussitôt la délivrance. Créer des commissions, s’entendre avec les entreprises de Reims qui, dès maintenant, pourraient amener des matériaux à proximité de la Ville. Obtenir de suite la loi sur les expropriations des terrains et quartiers dévastés, etc… Il est dans le vrai, mais on se heurte devant l’apathie du Maire, et quant aux adjoints, je crois qu’ils s’en…  fichent !… Comme lui je suis d’avis que si on ne fait rien dans ce sens dès maintenant, on sera débordé au moment voulu, et ce sera la cohue, le désordre, et l’avance que Reims aurait pu gagner ainsi sera perdue et profitera à d’autres.

Dans ces commissions techniques il faudrait le conseil de vieux tels que Albert Benoist, Charbonneaux, de Bruignac, Wenz, Warnier avec le conseil des jeunes, « l’exécutif », tels que les Martin (Arthur Martin, industriel (1883-1979)), Masson (Lucien-Paul Masson, fabricant de tissus (1874-1948)), Laval (Fernand Laval, industriel (1876-1958)), etc…  ce serait parfait. Mais rien !

Pluie torrentielle toute l’après-midi, à partir de 3h. Que la ville est lugubre par ce temps. Comme politique et Guerre, rien. L’anarchie en Russie, chez nous la « bouillabaisse »… Et au front le calme, l’inertie.

Mon Dieu faites donc un coup de théâtre et qu’on en finisse.

Le concierge du tribunal Touyard me disait que le Général Fayolle était venu ici hier, et que demain ou après Pétain viendrait. Si c’était pour nous annoncer notre délivrance !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

14 septembre 1917 – Dans la matinée, un officier vient procéder, à la mairie, à des achats de cuivre rouge.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Vendredi 14 – + 13°. Nuit tranquille ; projections. Visite de deux prêtres canadiens. Via Crucis in Cathedrali. A 6 heures soir, visite du Père Jésuite qui s’occupe de l’Action Populaire.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Vendredi 14 septembre

En Belgique, la lutte d’artillerie reste très violente, dans la région de Bixschoote.
Sur le front, au nord de l’Aisne, notre artillerie, dominant les batteries allemandes particulièrement actives dans la région au sud de Juvincourt, a rendu impossible toute attaque de l’infanterie.
En Champagne, nous avons repoussé plusieurs coups de main ennemis dans le secteur de la Main-de-Massiges, à l’est de la Butte-du-Mesnil, au nord et au nord-ouest de Saint-Hilaire.
Canonnade dans la région des Monts.
Activité de l’artillerie sur la rive droite de la Meuse, dans la région des Caurières, sans action d’artillerie.
En Alsace, un coup de main sur les tranchées allemandes, à l’ouest du village du Bonhomme, nous a permis de ramener des prisonniers.
Des avions allemands ont bombardé la région de Dunkerque. Notre aviation a bombardé Hooglede, Cortemark, Gils, Gûte et les terrains d’aviation près de Thourout.
En Macédoine, canonnade près de Monastir. Dans la région des lacs, nos troupes ont atteint Momulista ( près du lac d’Okrida ) et la cote 1704 (10 kilomètres nord-ouest de Momulista). Elles ont capturé 160 prisonniers, 2 canons et 3 mitrailleuses.
Les Autrichiens ont subi un échec au San Gabriele.
Après avoir pris les armes contre lui, Kornilof a offert à Kerenski de se rendre sous condition. Kerenski lui a répondu qu’il devait se rendre sans condition.

Source : La Grande Guerre au jour le jour


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