Louis Guédet

Samedi 7 juillet 1917

1029ème et 1027ème jours de bataille et de bombardement

9h1/2 matin  Nuit d’insomnies, agitée. A partir de 1h du matin des avions, des dirigeables, avec signaux de trompettes, n’ont cessés d’aller et venir jusqu’à 3/4 heure du matin. Et bombardement à la clef un peu sur toute la ville, rien dans notre coin. Bref j’ai passé une nuit de cauchemar et je suis brisé de fatigue. Ce matin un peu de calme. Temps magnifique qui annonce une journée fort chaude. Toute la nuit on s’est battu terriblement vers Prunay – Cornillet !! Quand j’entends ces bruits de bataille je ne puis que penser à mes 2 chers grands non sans angoisse, sans douleur. Voilà ma vie, souffrir, souffrir, souffrir toujours sans discontinuer, sans une minute de repos, de paix, de consolation.

Il y a trente ans, 30 ans ?!! jour pour jour et presque heure pour heure que ma destinée s’est décidée, et que j’ai choisi la carrière de notaire que j’exerce. Pour mon malheur, et pour le malheur des chers miens.

6h1/4 soir  Journée calme. Au courrier quantité de lettres, un mot de ma chère femme, une lettre de Robert qui ne désespère pas de venir en congé. De toutes façons je pars lundi matin et j’ai pris mon billet d’autobus place d’Erlon. Robert parait très content d’être brigadier, pauvre petit, cela lui était bien dû. Reçu lettre de M. Bossu qui a vu Herbaux qui encore insiste sur ma proposition. Leroux (chef de bureau) qui dit que j’aurai sûrement mon ruban, mais qu’il ne sait pas encore quand. Il n’avait pas été mis au courant (prétend-il) des dernières propositions faites pour Reims. Je n’ai plus qu’à attendre tout en constatant mélancoliquement que comme toujours rien ne peut aller vite, tout seul et sans accroc pour moi. C’est la fatalité qui me poursuit toujours. Souhaitons que la Croix de Bois ne vienne pas avant, la question serait tout de suite tranchée.

Bossu m’apprend aussi que Leroux voulait nommer un juge de Paix titulaire. Bossu s’y est opposé, il a eu raison, car ce serait un soufflet gratuit pour moi, dont les bons amis se réjouiraient et exploiteraient à plaisir. J’ai envoyé une dépêche à Bossu et je lui écris que je suis de son avis et que si on nommait ce titulaire de carrière, ce ne pourrait à la grande rigueur ne se faire qu’après que j’aurais reçu ma décoration. J’ai été à la peine, au danger, c’est bien humain que je sois et reste à l’Honneur… Enfin attendons. Voilà ma journée.

Je viens de fixer une audience de simple police le 31 juillet prochain pour mon retour. Pourvu que je me repose un peu à St Martin et qu’il m’arrive un peu de bonheur. J’en ai bien besoin.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

7 juillet 1917 – La censure a laissé passer un article, reproduit dans l’Éclaireur de l’Est de ce jour, qui ne donne pas encore lieu d’espérer sous peu, le dégagement de notre malheureuse ville de Reims ; le voici :

Devant Reims.

Un rédacteur de L’Écho de Paris, M. Eugène Tardieu, a passé « une nuit devant Reims ». De la lettre qu’il a adressée à son journal, on lira les passages suivants que nous reprodui­sons à titre documentaire :

Ce qui se passe à Reims, est un sujet d’angoisses pour tous les Français, c’est comme une blessure au cœur. Le long mar­tyre de la cathédrale, l’entêtement héroïque des habitants qui continuent à vivre dans les caves sous les plus effroyables bombardements, tout ce que cette capitale d’une des plus belles provinces de France évoque de souvenirs, font de Reims, aux yeux du monde entier, comme une ville-drapeau. Elle symbo­lise aux yeux des peuples nos souffrances et notre esprit de ré­sistance.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette réflexion ingénue : « Pourquoi n’essaie-t-on pas de dégager Reims ? Si seulement on pouvait obliger les Allemands à reculer suffi­samment pour que la ville soit enfin hors de la portée de leurs canons ?… « 

La promenade rapide que je viens de faire de ce côté du front m’a fourni une réponse claire à cette question, car, ici, il suffit de voir pour comprendre.

Mon confrère examine l’horizon de Reims au Mont-Cornillet et il laisse la parole à un officier d’artillerie qui le guide :

— Derrière cet horizon, lui dit cet officier, se trouverai l’est de Reims, les forts de Nogent-l’Abbesse que vous apercevez et, plus au nord, celui de Witry. Ah ! s’il n’y avait que les forts Mais il y a une organisation qui couvre tout un territoire accidenté et dont la puissance nous a été révélée par les observations d’avions. Immédiatement devant Reims, le terrain se découvre et les Boches sont à peine à deux kilomètres de la ville. La ligne s’en éloigne vers le nord. Là se trouvent le fort de Brimont, par qui l’ennemi la domine, puis, jusqu’à Craonne et au-delà d’autres puissantes organisations encore que le boche a eu le temps de perfectionner depuis la bataille de la Marne. Pour dégager Reims, il faudrait donc, par Moronvilliers à l’est et par Craonne au nord-ouest, progresser en écrasant tout cela. C’est une entreprise considérable, qui exige plus de matériel que de masses d’hommes, des canons et encore des canons mais des canons appropriés à cette tâche…

C’est égal, si les explications données sont exactes, le défaut de ce matériel approprié nous a coûté horriblement cher, jusqu’à présent.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 7 – Une escadrille de 15 avions a été vue vers midi ; combat violent aussitôt après, vers Prunay, Prosnes, Les Marquises, peut-être. Vi­tres remises à mes fenêtres ; on les a prises sur des maisons dévastées, par morceaux.

Samedi 7 juillet – Nuit tranquille à Reims. Au loin, il m’a semblé enten­dre un combat. + 13°. Temps sous nuages. A 8 h. 30, 19°. Visite aux mé… de la rue des Capucins. Visite du Capitaine Brun et du Capitaine Chanoine.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173