Louis Guédet

Au mardi 24 juillet 1917 1044ème et 1042ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Je rentre par une chaleur torride par l’autobus Épernay – Reims. Voyage charmant par la forêt (Dizy, Champillon, Montchenot) si c’était à une autre époque et si je ne rentrais pas dans ma vie d’Enfer, et si je ne venais pas de quitter les miens et quand les reverrai-je ? Trouvé ici la même vie, rien de changé à part 2 ou 3 obus dans les murs du jardin que je vais faire boucher. Je retrouve Lise et Adèle toujours fidèles au poste, toutes affairées du déménagement d’une partie de mes meubles qu’on vient de mettre en wagon pour Épernay par route, et de là à St Martin par chemin de fer…  mais je n’ai pu mettre dedans tout ce que je voulais enlever. Enfin on verra. Le calme en ce moment. Vu à Épernay à mes affaires, pris un coffre-fort plus grand à la Banque de France. Je pourrai mettre plus de choses et travailler avec plus de documents. Vu Fréville fort affaissé, on dirait qu’il a de graves ennuis qui le tourmentent, ou bien…  il est vidé !! (Rayé) !! Vu M. de Courtisigny, mon Procureur de la République, mon Président Hù, toujours aussi cordial. Et Dupont-Nouvion, toujours (rayé) ! Texier juge fort aimable. Le Président m’aime beaucoup, et nous avons causé au moins 3 heures ensemble, il m’a déclaré qu’il ferait son possible pour que je sois décoré bientôt. Attendons. En tout cas, il peut me pousser par Léon Bourgeois auquel il est lié très intimement. En causant je suis revenu sur la question de Reims cour d’appel. Il m’a promis d’en causer à la Chancellerie.

Je viens de passer 15 jours près de mes chers aimés, et là j’ai eu le grand bonheur de voir enfin mes 2 grands artilleurs. Robert vient de passer brigadier de tir, poste recherché, et son capitaine désire l’envoyer à Fontainebleau comme y a été son frère Jean. Je crois que sa conduite à Berry-au-Bac y a été pour quelque chose : il a secouru des blessés quand ses camarades voulaient se sauver, et lui-même a échappé à la mort par miracle, un obus a blessé grièvement son maréchal des logis qui était à cheval près de lui, botte à botte. Quant à Jean l’ainé qui est aspirant au même régiment, le 61ème d’artillerie avec fourragère, le pauvre enfant a été enterré par des obus de 290 (200 en une heure de temps). Dans sa sape avec 5 de ses hommes, ils ont été 1/2 heure sans air. Enfin ils ont pu faire un trou de la grosseur de la cuisse qui leur a donné un peu d’air, mais il leur a fallu néanmoins 2h1/2 de travail acharné pour se déterrer !! C’est miracle qu’ils n’y soient pas restés, car la terre s’effondrait au fur et à mesure qu’ils déblayaient !! Il était temps, parait-il, car ils commençaient à suffoquer.

Je rentre triste, triste, comment en serait-il autrement ?

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

24 juillet 1917 – Bombardement très violent au cours de la nuit passée — vers 22 h surtout.

Ce matin, je sortais de la maison 10 rue du Cloître, où je passe les nuits, pour me rendre au bureau, quand un voisin occa­sionnel, M. Havez, gardien de l’immeuble mitoyen (Polonceaux) dont il balayait le pas de porte, m’arrête pour causer un instant de la distribution de projectiles que nous ont encore faite les Boches, pendant la nuit.

– « Quelle séance ! » dit-il,

et cela suffit, entre bombardés, pour se comprendre ; on ne s’étend généralement pas beaucoup sur un sujet qui est toujours le même.

– « Oui, dis-je, ça a bien tombé par ici.
– Vous avez dû recevoir un obus”, ajoute-t-il.

Je continue :

– « Non pas, je l’avais cru aussi, mais je viens de faire ma tournée, je n’ai rien remarqué de plus que ce qu’il y avait déjà, de sorte qu’il me semble que c’est vous qui avez dû encaisser.

– C’est curieux, réplique-t-il, mais moi aussi, j’ai eu soin de faire une tournée partout, ce matin et je n’ai pas vu d’autres dégâts que ceux que je connais bien.

– Alors ! en ce cas, ripostai-je, admettons que nous avons rêvé tous les deux que « ça » bombardait.

– Oh non !, se récriait-il vivement, j’ai eu trop peur. »

Et cela nous a donné l’occasion de nous détendre un peu en riant un bon coup.

Après avoir procédé à une nouvelle visite de l’ensemble de l’immeuble, en fin de journée, je trouvai en effet les traces de ce dernier projectile. Comme il était le dix ou onzième qui était venu exploser dans la maison, il m’était d’abord passé inaperçu, Le voisin de la propriété Polonceaux, était à peu près aussi bien partagé. A la suite de cette révision générale, je connaissais aussi bien que lui, maintenant, « mes » points de chute.

Le soir, en sortant du bureau, je puis suivre des yeux un combat à la mitrailleuse — et de part et d’autre, elles crépitent bien — entre un de nos avions et une saucisse boche désemparée qui va tomber, paraît-il, dans le haut du faubourg Cérès.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Mardi 24 – + 15°. Nuit tranquille près de nous. Combat au loin vers l’est. Coups de canons français. Une saucisse allemande plane au-dessus de la ville vers 6 h. soir. On entend les canons au loin à l’est, à l’ouest ? L’écho empêche de distinguer ; on l’entend plus fort à l’ouest.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mardi 24 juillet

Sur le front de l’Aisne, l’ennemi a violemment canonné nos lignes depuis l’épine de Chevrigny jusqu’au sud de Corbeny. Le bombardement par obus de gros calibre a pris une particulière intensité depuis Hurtebise jusqu’à l’est de Craonne.
Les Allemands ont lancé sur ce front une série de très violentes attaques. A maintes reprises, ils ont été repoussés avec d’énormes pertes, spécialement sur le plateau des Casemates. Finalement, ils ont reussi, après des échecs répétés, à prendre pied dans notre première ligne, sur le plateau de Californie.
Au nord de Bezonvaux, les Allemands ont attaqué en deux points de notre front. Après un vif combat, nous les avons repoussés.
Sur les Hauts-de-Meuse, deux tentatives ennemies pour aborder notre front sont restées vaines. Nous avons fait des prisonniers. Il en a été de même en Alsace, près de Seppois.
Les Anglais ont progressé à l’est de Monchy-le-Preux. L’artillerie allemande a été active dans la région de Lens et d’Armentières.
Un nouveau raid aérien a eu lieu sur l’Angleterre (région de Harwich). Il y a 8 morts et 25 blessés.

Source : La guerre 14-18 au jour le jour