Louis Guédet

Jeudi 14 juin 1917

1006ème et 1004ème jours de bataille et de bombardement

10h matin  Nuit assez agitée, combat violent vers 11h du soir, vers Cornillet, Mont-Haut. C’était un roulement continu. Quelques obus sifflant dans la nuit. Ce matin temps assez frais se couvrant, mais le baromètre remonte. Ce matin canonnade mais sur les batteries. Tout à l’heure à 11h nous allons ; Albert Benoist et moi, examiner les 17 dossiers d’appels (allocations militaires), sauvés de l’incendie de l’Hôtel de Ville. Tout ce que la sous-préfecture y avait laissé a été incendié, comme tout ce qui était à la Mairie. Je suis toujours aussi abattu. Je n’ai un peu de calme c’est quand je repose, je dors et encore les rêves, les cauchemars de tout ce que j’ai vu, passé depuis 34 mois, m’obsèdent et me font encore souffrir. Pas de repos, pas de relâche. Toujours l’obsession de cette vie agonisante, de ce martyre.

11h  Rentré de la Poste. Le courrier n’est pas encore arrivé. Causé avec Honoré à qui j’ai parlé de Triquenot. Il m’a dit que la fermeture de son restaurant venait de ce qu’il recevait la nuit dans une salle du fond des officiers hors des heures réglementaires, et qu’on l’avait dénoncé. Comme moi Honoré estime que la Place a été trop loin, qu’elle entende fermer ce restaurant à la troupe, d’accord, mais pas d’empêcher cet homme de tenir son commerce ouvert aux civils.

L’autorité militaire n’en n’a pas le droit. Du reste, il y a des jugements déjà qui ont jugé contre cet abus de force de la part de l’autorité militaire. Mais on n’en n’est plus à compter leurs gaffes et abus de pouvoirs. Je serais les Triquenot j’ouvrirais et je les attendrais. Attendons la fin de cette histoire qui peut devenir intéressante. Que (rayé).

Je lui ai aussi causé de son changement de service de pompier volontaire devenu simple sauveteur. C’est un conflit entre lui et Geoffroy, capitaine des pompiers, qui ayant fait un ordre du jour où félicitant ses hommes il leur disait qu’ils avaient vaincu durant tous ces derniers bombardements les incendies sans eau. Alors que cela parut dans 3 journaux de Paris, les allemands le lendemain concluant que nous étions sans eau, nous auraient arrosés de bombes incendiaires de belle façon. Honoré lui en fait l’observation comme agent secret de la police de l’Armée, il l’envoie coucher, et celui-ci fait les démarches nécessaires auprès de l’État-major d’Armée pour qu’on interdise cet ordre en réponse aux journaux de Paris, ce qui fut fait. 8 jours après, sous prétexte d’économies, Geoffroy dit à Honoré qu’il le rayait des cadres des pompiers de Reims. Alors le Maire le prit comme sauveteur. Il me disait que Geoffroy et Éloire avaient, depuis que Langlet avait donné un avis défavorable à la proposition du capitaine pour la Légion d’Honneur, fait à Paris démarches sur démarches pour raccrocher l’affaire. Il est d’avis que çà leur fait plutôt du mal que du bien, mon sentiment aussi. Honoré est intelligent (les deux ou trois mots suivants sont illisibles).

7h soir  Eté à la Poste à 2h, courrier fort chargé auquel j’ai répondu en partie. A 11h1/4 séance d’appel des allocations militaires avec Albert Benoist, 17 dossiers à examiner, dont 14 rejetés et 3 accordés. Ce n’est pas surprenant. Comme toujours les appelants sont pour la plupart des exploiteurs et des gens qui estiment qu’on leur doit l’allocation même quand ils avaient plus qu’il ne leur faut pour vivre. C’est dû, pour eux, et ils ne sortent pas de là. Bref on les dresse et on les remet dans le chemin du bon sens et de l’honnêteté.

Après lu mon courrier, reçu visite de Lutta, causé fort longtemps avec lui de M. Giraud (à vérifier), des affaires de la Maison de commerce des Mareschal, etc… Ensuite des événements, alors là, il ne dit plus rien, comme moi, il ne voit aucune issue, aucune solution. Je suis fatigué, du reste il fait très chaud, lourd même, et cela me déprime encore plus, physiquement et moralement. Mon Dieu, que c’est long, et atroce…

Comme nous causions des pillages et de la mentalité de nos officiers, Albert Benoist me racontait que l’autre jour en allant à Paris avec de Bruignac, un galonné avait trouvé le moyen de leur demander une place dans leur auto (ils ont toutes les audaces), et ensuite avaient fait route ensemble jusqu’à Paris. Alors notre galonné, comme un imbécile qu’il était, se mit à charger à fond contre Reims, les Rémois, leur attitude envers les Militaires galonnés, etc… Mais, comme on dit, il est tombé sur un Bec de gaz, sur de Bruignac qui ne s’est pas gêné pour le remiser et lui en servir autant et plus qu’il n’en voulait. Il parait qu’il rageait, car de Bruignac et Benoist ne se sont pas gênés pour lui servir des pillages autant qu’il pouvait en digérer. Celui-là y regardera à 2 fois maintenant pour demander une place dans une auto de…  Rémois !… Cela lui a coûté cher…  d’amour propre. Benoist en riait encore de bon cœur.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

14 juin 1917 – Dès le matin, des obus tombent auprès de la cathédrale.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 14 – + 15°. Nuit tranquille, sauf échanges de coups entre artille­ries adverses. Dès le matin canons français (et allemands ?). Bombes sif­flantes pendant mon action de grâces après ma messe : où ? Une bombe tombe sur la Cathédrale, fenêtre de la Chapelle du Saint-Sacrement.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


jeudi 14 juin

Action intermittente des deux artilleries en Belgique et dans la région de Craonne. Des tirs de destruction exécutés sur les organisations et les voies de communication de l’ennemi en quelques points du front ont été efficaces. Les Anglais récapitulent les gains qu’ils ont faits depuis le 6 juin: 7342 hommes et 145 officiers prisonniers, 47 canons capturés.

Les Belges ont subi un violent bombardement de leurs premières lignes depuis le redan du Passeur jusqu’à Boesinghe. Leur artillerie et leurs lance-bombes ont énergiquement riposté aux tirs ennemis. Journée calme, à part une canonnade sans grande intensité, dans le secteur d’Hetsas.

Sur le front de Macédoine, des attaques locales ennemies exécutées sur Dolozeli, dans la région du lac Doiran, ont été repoussées. Sur la rive droite du Vardar, canonnade intermittente.

Canonnade et fusillade dans la région de Monastir.

L’aviation britannique a bombardé les dépôts ennemis de Bogdani.

Les troupes françaises ont débarqué au Pirée et pris position au nord de cette ville; elles ont occupé Larissa, en Thessalie, après une collision avec les troupes grecques qui leur avaient tendu une embuscade. Constantin 1er est parti pour Tatoi.

Source : La Grande Guerre au jour le jour