Louis Guédet

Jeudi 15 mars 1917

915ème et 913ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Beau temps, froid, les jours allongent. J’écris sans lumière, mis mon retard à jour. Demain je verrai aux quelques actes à faire faire. Pas de nouvelles, si ce n’est la démission du général Lyautey, ministre de la Guerre. Où allons-nous ?? Quelle bande de Brutes que cette Chambre. Je reprends mon voyage à Épernay et St Martin. A Épernay le 7 mars j’ai donc déjeuné chez le Président du Tribunal avec M. Bouvier le Vice-Président, M. Fournier de la Maison Werlé et le nouveau Procureur M. Osmont de Courtisigny, ancien avocat Général à Caen. Il a été charmant avec moi. C’est un homme distingué, un peu froid, tenant ses distances, mais il m’a semblé foncièrement bon. L’apparence est celle d’un vrai Procureur, très froid, mais aussitôt qu’on cause avec lui, c’est la courtoisie même. Il a perdu sa femme récemment et en parait fort triste (leur fils Pierre avait été tué aux Éparges le 22 juin 1915, à l’âge de 20 ans). Il m’a complimenté de mon attitude durant cette Guerre. Le Président et le Vice-Président m’ont couvert de fleurs. Bref j’ai bonne presse. M. Bossu m’a présenté à lui comme un héros…  mettons plutôt, (comme le disait avec humour le bon M. Bouvier, vice-président) un vaillant. A la fin du déjeuner est arrivé le Commandant Lallier, qui était gêné avec moi. Je l’ai tenu à distance ce pierrot-là, en attendant que je lui dise son fait. Il venait chercher une recette de sauce poivrade pour un morceau de cerf que lui avait donné le Président. Il ne pense qu’à son ventre cet imbécile-là. Il nous a appris que son co-aliboron Girardot allait quitter Reims. Il croyait que j’allais marcher, il en a été pour ses frais. Donc j’ai mes sanctions pour mon Affaire de simple police, Colas et Girardot sont débarqués. Quand à Lallier, je m’en charge. Les Gendarmes d’ici exultent et me porteraient en triomphe. Il est vrai que je leur ai tiré une « rude épine du pied. »

Après déjeuner je suis allé voir mon cher Procureur Bossu que j’ai trouvé dans son lit mais très bien, nous avions tous deux les larmes aux yeux en nous revoyant. Causé nécessairement de son successeur, et avec son fin sourire ! il me dit : « Ce n’est pas un Procureur que M. de Courtisigny, c’est un clergyman, il est vrai qu’il est protestant !! »

J’avouais que j’avais eu la même pensée que lui sur son successeur. Nous en avons bien ri. Il m’a causé de lui comme étant un parfait magistrat. Il lui a fait mon éloge et il m’a parlé de ma proposition pour le ruban qui a reçu un avis très favorable d’Herbaux, et transmis au Garde des Sceaux. Il m’a conseillé d’en prévenir le Préfet de la Marne par Dagonet qui m’avait dit que j’étais déjà sur une liste. C’est fait. Je n’ai donc plus qu’à attendre.

En tout cas je serais enchanté d’être promu avant le jugement de Reims, sous les canons de l’Ennemi. Autrement cette décoration n’aurait plus la même valeur pour moi.

Après avoir longuement causé nous nous sommes quittés, et mon cher Procureur a voulu m’embrasser. Nous nous sommes donc donnés une accolade toute fraternelle. Je lui ai demandé d’être mon parrain s’il était encore à Épernay lors de ma nomination, si celle-ci allait vite. Il a accepté…  Nous reverrons-nous ?

Le soir je me suis rencontré à l’Hôtel de l’Europe, où j’étais descendu, avec M. de Courtisigny, qui m’a offert de dîner en face de lui. Nous avons encore causé très longuement de Caen, de Reims, des Rémois, et il m’a appris qu’il était allié aux Krug, bref il a été très aimable et m’a dit qu’il n’hésiterait pas à me mettre à contribution pour tous renseignements, etc…  etc…  J’ai accepté, d’autant qu’ainsi je pourrais rendre bien des services à mes compatriotes et à mes confrères.

Le lendemain matin je quittais Épernay par une neige épouvantable à 5h du matin, et arrivais à St Martin vers 8h. Trouvé ma chère femme bien accablée, amaigrie. Dieu sait ce qu’elle aura souffert cet hiver. Marie-Louise était au lit à la suite d’une chute sur la glace qui lui a provoqué un petit épanchement de synovie. Il n’y avait que Maurice d’à peu près valide. Le pauvre petit a souffert cruellement du froid, il parait qu’il pleurait parfois tellement il souffrait. Mon Père assez souffrant d’une bronchite, d’emphysème…  et de vieillesse, 82 ans demain !! Durant mon séjour Robert, voyant son tour pour aller au front approcher, nous a demandé de l’autoriser à devancer son tour et de partir comme volontaire. C’est fait le pauvre enfant !!! il voulait être affecté à la 42ème Division, ou est le fils de mon confrère Labitte, de Verzy (Lucien Labitte, notaire (1862-1951)), qui est attaché à l’État-major du colonel. Labitte doit le recommander à son fils (Pierre Labitte, polytechnicien (1896-1962)). Robert va sans doute venir pour 7 jours de congé à St Martin avant de partir. Pourrais-je aller l’embrasser une dernière fois ? Je ne sais !! Jean est très fatigué, il se classe 2ème et 3ème de sa brigade, mais il n’a plus que 15 jours à passer à Fontainebleau. Et puis lui aussi partira pour le front !! Deux enfants…  c’est beaucoup. Encore bien des souffrances et des angoisses pour ma pauvre femme !! Quand en verrons-nous la fin ?!!

André qui travaille près d’eux et a de bonnes places est venu passer près de nous la journée de dimanche dernier. Il se plait toujours bien à St Étienne de Châlons (c’était encore son avis plus de 50 ans après). Je suis rentré hier, assez désemparé. Que de tristesses je laisse derrière moi, ma femme, mes enfants…  c’est trop.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Jeudi 15 – Nuit tranquille ; + 4°. Visite à l’ambulance de Sainte-Gene­viève. Aéros allemands : tir contre eux.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Jeudi 15 mars

Au cours de la journée, nous avons continué à progresser à la grenade dans la région de Maisons-de-Champagne, malgré un violent bombardement de l’ennemi qui a fait usage d’obus lacrymogènes.

Sur la rive gauche de la Meuse, l’artillerie française a exécuté des tirs de destruction sur les organisations ennemies. Un observatoire a été détruit près de Montfaucon.

Sur le front belge, violente lutte de bombes dans la région de Steenstraete~Hetsas.

Les Anglais ont avancé leur ligne, au nord de l’Ancre, sur un front de 2500 mètres au sud-ouest et à l’ouest de Bapaume. Une nouvelle progression a été également réalisée sur un front d’environ 2 kilomètres au sud-ouest d’Achiet-Le-Petit. Les troupes britanniques ont pris possession d’environ 1000 mètres de tranchées au sud-ouest des Essarts {nord-ouest de Gommécourt).

Un raid ennemi au nord-est d’Arras n’a pu parvenir jusqu’à leurs lignes.

Nos alliés ont exécuté un coup de main sur les tranchées allemandes à l’est d’Armentières.

Le vapeur américain Algonquin a été torpillé par un sous-marin allemand. L’équipage a été sauvé.

La Chine a proclamé la rupture avec l’Allemagne.

Le général Lyautey, ministre de la Guerre, donne sa démission.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Montfaucon
Montfaucon