Louis Guédet
Samedi 14 octobre 1916
763ème et 761ème jours de bataille et de bombardement
6h1/2 soir Beau temps, mais toujours couvert. Journée agitée. Vu Honoré, comme il me l’avait promis. Il est chargé de faire des rapports confidentiels au Général de la Ve Armée à l’insu des autorités militaires de Reims, même donc de Colas. Il m’a lu plusieurs de ses rapports parfaitement faits, qui sont fort intéressants et amusants au possible. On voit tous les dessous de ces intrigues, compromissions, le jeu de cette police occulte qui se déchire comme un voile. Il m’a recausé de Colas qui ne décolère pas et qui écrit à qui veut l’entendre que j’ai eu la tête lavée par le Commissaire Central, un peu plus il dirait qu’il m’a donné la fessée comme un bébé pas sage qui a manqué de respect à son papa. Imbécile. C’est entendu qu’Honoré va me donner les noms des personnes à qui il a dit cela, et alors j’écrirai au Général de la Ve Armée une lettre qui ne sera pas dans une musette, et Colas en prendra encore pour son rhume (être réprimandé, recevoir des reproches). Il n’a pas fini avec moi le citoyen.
Honoré m’a lu le rapport qu’il a fait sur « Casque d’or », la maitresse dudit Colas, à qui il donnait tous les soirs le mot d’ordre de la Place !! pour permettre à cette fille de sixième ordre de se promener dans Reims. Elle a été expulsée en 5 sec malgré ses menaces d’en référer au susdit Colonel Colas !! Il m’a lu son rapport fait sur ma fameuse audience du 3 octobre. Il avait vraiment touché juste, et il n’hésitait pas à conclure que si je m’étais élevé ainsi contre les abus des gendarmes, c’était pour en finir une bonne fois, et il concluait à dire que je désignais comme les vrais fautifs Colas et Girardot, ce qui était vrai. Il doit encore faire un rapport sur cette affaire, alors je lui ai donné quelques renseignements et il doit conclure au déplacement simple de ces 2 citoyens. La troupe est aussi exaspérée que la population rémoise.
Vu le maire, Raïssac, de Bruignac et Chézel, à qui j’ai raconté toutes ces histoires. Le brave Docteur Langlet s’amusait beaucoup de ce que je disais, je crois vraiment qu’il m’estime et m’aime. Tous du reste m’approuvent haut la main. Ce n’est (rayé) qui ne sont rien (rayé)!!… Enfin nous verrons à le (rayé) un de ces jours !
Rentré chez moi. Et après-midi vu le président Hù au Lion d’or où il déjeunait avec le sous-préfet et 2 journalistes. Nous avons mis au point mes considérants généraux, en particulier du procès du Dr Simon que la Place réclame pour être remis au Général de la Ve Armée. En tout cas ils ne peuvent rien faire contre moi et ils ne peuvent même plus aller en cassation. Ils ont ramené une forte bûche déjà. C’est un colonel de Gendarmerie et un officier d’État-major de Châlons qui sont venus voir M. Mathieu, substitut, pour lui demander de me laver la tête, etc… ce que des galonnards qui n’admettent pas qu’on leur résiste pensent demander et exiger. Ils ont été plutôt reçus fraichement par le brave M. Mathieu qui leur a tout simplement dit, avec son calme imperturbable qu’il n’avait pas d’observations à me faire, et encore bien moins de réprimandes ! Tête des 2 galonnés qui dirent qu’ils allaient alors en référer au Président du Tribunal ! Mathieu bon prince leur a dit qu’ils n’auraient pas plus de succès après du bon papa Hù, et qu’ils feraient mieux de s’abstenir, ce qu’ils ont fait du reste. Le brave Président m’a fait une musique là-dessus ! « Eh bien, je les aurais bien arrangés. J’ai même dit à Mathieu qu’il avait eu tort de les empêcher de venir me voir, ils auraient été bien reçus ! » Bref les pandores et aiguilleteurs ont rentré leurs honneurs dans leurs musettes et sont repartis bredouille à Châlons ! C’était bien la peine de les déranger pour ce joli résultat !!… Mais cela a eu un avantage, c’est qu’ils ont déchargé leur bile et leur colère sur le citoyen capitaine Girardot qui, parait-il, a été arrangé de la belle façon ! C’était déjà cela. En attendant sans doute le reste. Bref, pour une bûche, c’est un vrai bûcher qu’ils ont pris ! Remis à Valot mes attendus, et enfin rentré me reposer un peu. J’en ai besoin. Je suis rompu et fort nerveux. Pourvu que je dorme cette nuit. J’en ai bien besoin. Pas de nouvelles de ma pauvre femme. C’est à peine si j’ai eu le temps de lui écrire 2 mots. Vais-je enfin avoir un peu de bonheur et de réussite ?
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 14 – Nuit tranquille à Reims ; mais violent combat au loin de 10 h. à minuit. Visite de M. Charlier avec sa fille qui apporte des aquarelles de la Cathédrale en feu. A 11 h. 1/2 des bombes sifflent sur batteries. Visite à M. Camuset ; à Mme Rogelet.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Samedi 14 octobre
Au sud de l’Ancre, violent bombardement ennemi au cours de la journée, particulièrement dans les secteurs de Gueudecourt et de Martinpuich et au nord de Courcelette.
Un détachement ennemi qui tentait un coup de main contre les tranchées anglaises, au nord-est de Wulverghen, a été rejeté. Au nord de la Somme, une attaque allemande avec lance-flammes a repris quelques éléments de tranchées à la lisière du bois Saint-Pierre-Vaast.
Activité d’artillerie intermittente de part et d’autre dans la région de Verdun.
Sur la Strouma, l’ennemi tient le front Sérès-Savgak-Barakli-Djousah-Senimah. Les forces britanniques sont en contact. Duel continu d’artillerie au centre et à gauche.
Les Roumains repoussent une série d’attaques austro-allemandes du nord au sud des Alpes transylvaines.
Les Italiens ont à nouveau progressé sur le Carso. Ils ont fait 400 prisonniers.
M. Venizelos organise le gouvernement de Salonique : il y aura un Triumvirat qui prendra la régence, et à côté de lui un ministère responsable.
40 avions français et anglais ont jeté 1340 kilos de projectiles sur la fabrique de fusils d’Oberndorf (Wurtemberg).
Source : La Grande Guerre au jour le jour