Louise Dény Pierson

6 avril 1916

Ce 6 avril 1916, j’ai 13 ans.

Je suis en âge de travailler et la maison de champagne où ma mère est employée a besoin de main d’œuvre pour l’entretien de ses vignes (celles-ci sont situées dans ce qui est maintenant le quartier Wilson).
C’est un vaste triangle compris entre la rue de Chigny, la ligne de chemin de fer, la rue Marlin et terminant rue de Mulhouse.
Le travail consiste à l’entretien permanent des vignes par binage et enlèvement des mauvaises herbes. Quand on a terminé à un bout, il est temps de recommencer à l’autre, tout se faisait à la main et à la raclette.
En été l’horaire est de 6 h du matin à 19 h 30, moins 2 h ½ d’arrêt à midi. Ce sont des journées exténuantes de 10 heures de travail effectif.
C’était dur, mais c’était le lot de tous et on n’y pensait pas.
Heureusement ma mère veillait à ce que je prenne un repos suffisant. Aussitôt revenue du travail elle me faisait asseoir dans un fauteuil, les jambes allongées, les yeux fermés et défense d’en bouger tant que la soupe n’était pas dans les assiettes.
Je bénis mes parents pour tous les soins dont ils m’ont toujours entourée et particulièrement à cette époque là.

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

 Louis Guédet

Jeudi 6 avril 1916

572ème et 570ème jours de bataille et de bombardement

7h soir  Calme, temps gris mais supportable. La végétation progresse d’une façon extraordinaire.

Ce paragraphe a été barré puis les barres rouges ont été gommées. Occupé toute la matinée à discuter et à me disputer avec le principal clerc de Mt Dargent (Raymond Dargent (1866-1929) deviendra le bâtonnier de l’ordre des avocats à Reims), avoué, M. Monteux, pour vaincre ses tatillonnâges ! Il est aussi méticuleux qu’il est pelliculeux !! Tudieu ! en voilà un qui n’a pas pour 2 sous d’initiative… ! Il épluche tout comme si nous étions il y a 2 ans, avec téléphone, électricité, tramways, etc…  tout ce qu’il faut pour solutionner et décider facilement…  il ne se doute pas que nous sommes en guerre à 1800 mètres des allemands et sans moyens rapides en quoi que ce soit. Avec ses analyses à la loupe il manquait de me faire rater mon voyage à Fismes le 10 courant, où je dois suppléer mon confrère Bruneteau, voyage que j’organise depuis 15 jours pour être prêt le 10 avec passeport, chauffeur, voiture, etc…  et tout cela pour une misérable question de fôôôôrme !! Je l’ai sabré de la belle manière, et j’ai ce que je veux mais en assumant la responsabilité de ce manque à la fôôôôrme !! Du diable si jamais je parie un maravédis pour cela !! C’est à en rire plutôt qu’à en pleurer.

Bref j’espère que je pourrai partir le 10 pour rendre service à Bruneteau. Voyez-vous que je n’arrive pas !! Clients, juge de paix, greffiers, notaires, gardien de scellés, etc… convoqués, dérangés…  et je n’avais plus le temps de les faire prévenir de rester chez eux et…  pour la fôôôôrme !!

Après-midi été 12, rue de Fresnes (rue Goussiez depuis 1932), à l’extrémité du faubourg de Laon (302 avenue de Laon) où commence cette rue faire un inventaire. Il y avait au moins 10 mois que je n’avais été aussi loin dans ce quartier ! Quel changement en tristesse, en morne, en bruit, car à partir de St Thomas jusqu’au boulevard Charles-Arnould, extérieurement aucune maison ne semble atteinte, mais pas un chat ! Un quartier si vivant si populeux aussi désert est impressionnant. Toutes les maisons sont closes, les rues pleines d’herbes, les jardins en forêts vierges. Que c’est triste. On a le cœur serré, surtout en voyant cette végétation broussailleuse en pleine sève et bourgeonnante. A la rue de Fresnes nous étions à 2000m des tranchées allemandes, pas un bruit, pas un souffle. C’est lugubre et angoissant quand on se dit : « Ils sont là, on pourrait les voir ! les entendre causer presque !! » Fait mon inventaire, chose pour moi toujours triste et pénible. Je n’ai jamais pu me faire à cela, fouiller, toucher, déranger, bousculer, voir, regarder, toutes ces choses qu’un mort ou une morte aimait, soignait, caressait, conservait avec jalousie, cachait, soustrayait aux yeux étrangers, et moi, indifférent ou tout au moins devant l’être, pénétrant tout cela. Violant tous ces chers secrets des disparus en présence d’épouse, d’enfants, de parents, qui souffrent, j’en suis certain, de me voir agir ainsi et de par la loi sont obligés de me laisser faire. Jamais je n’ai pu procéder à un inventaire sans en souffrir et je me souviens encore il y a près de 25/30 ans de ce que j’ai souffert au premier inventaire auquel j’ai assisté comme clerc débutant à Châlons-sur-Marne, en voyant mon patron et le commissaire présider ainsi comme je fais maintenant. Je vois toujours cet appartement tout propret, tout soigné, d’où la jeune femme venait de disparaître, cambriolé par les hommes de loi…  J’en étais tout tremblant, ému jusqu’aux larmes…  Depuis je me suis cuirassé…  mais j’en ai toujours souffert et cela m’a toujours froissé, choqué. Journée fort occupée en résumé, mais ainsi j’en oublie un peu ma vie de misère et je pense moins à mes chers adorés, ce que je ne puis supporter sans larmes, sans souffrances, sans tortures, en songeant à tous nos malheurs, à leurs souffrances à eux, leurs privations et leurs vies malheureuses.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Paul Hess

6 avril 1916 – Parmi les nouvelles plus ou moins intéressantes servant à remplir les colonnes des journaux, on en trouve une, assez amu­sante aujourd’hui. La voici :

Quand finira la guerre ?

On est prié de répondre à une question que pose l’Enre­gistrement : quand finira la guerre ?

Il ne faudrait pas croire à une plaisanterie ; l’Enregis­trement ne plaisante jamais.

« L’Œuvre » nous dit qu’un commerçant parisien fait une sous-location de son magasin « pour la durée de la guerre ». Rien de plus naturel. La location est constatée sur papier tim­bré et envoyée à l’Enregistrement qui refuse d’enregistrer avec ce motif péremptoire : « Fixer la durée ».

Fixer la durée de la guerre ! L’Enregistrement est bien curieux ; mais s’imagine-t-il qu’une date enregistrée aura une influence sur les événements ?

Enfin, on est prié de renseigner l’Enregistrement. Qui sait ? Peut-être un astrologue ou une tireuse de cartes pour­ront-ils donner satisfaction au sage et prudent Enregistre­ment.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 6 Nuit tranquille ; + 7 ; journée calme. Visite à l’École S. Jo­seph ; rue des Capucins, rue de Venise, rue Brûlée. Donné Lettre Pastorale sur le Pape, demandant prières et communions d’enfants pour le Pape, en union avec la Belgique.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

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Juliette Breyer

Jeudi 6 Avril 1916. Ton parrain a envoyé son portrait chez tes parents et je crois que Juliette va s’en aller. Ils ont trop peur et ils ne veulent plus rester. C’est vrai que le bombardement est journalier. Ils ont raison car ils peuvent s’en aller du côté où le parrain est soldat.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Jeudi 6 avril

En Belgique, tir de destruction sur les tranchées ennemies.
Au nord de l’Aisne, notre artillerie se montre active au sud de Craonne et dans la région de Berry-au-Bac.
En Argonne, lutte à coups de grenades dans le secteur de Bolante. Nous faisons sauter deux mines à la Fille-Morte. Nous canonnons les voies de communication de l’ennemi, dans la région de Montfaucon et des bois de Malancourt.
Nous progressons dans les boyaux au nord du bois de la Caillette ( est de la Meuse). Canonnade dans le secteur Douaumont-Vaux.
Les Allemands jettent des mines dans la Meuse, près de Saint-Mihiel : elles viennent exploser contre nos barrages sans causer de dégâts.
En Lorraine, entre Arracourt et Saint-Martin, l’ennemi lance plusieurs attaques sur nos positions. Il est partout rejeté.
Un sous-marin allemand a été coulé par une escadrille franco-anglaise.
Le général Zupelli est remplacé au ministère de la Guerre italien par le général Marrone.
La Chambre hollandaise a tenu une séance secrète.

Source : La Grande Guerre au jour le jour