Louis Guédet
Vendredi 3 mars 1916
538ème et 536ème jours de bataille et de bombardement
8h1/4 matin Je me suis couché à 11h du soir au bruit de la bataille et me suis endormi vers minuit. A 5h réveillé par la batterie qui se trouve dans les marais derrière l’usine Haenklé (à vérifier). Sommeillé jusqu’à 6h1/2. Je suis fatigué. En me levant et ouvrant mes persiennes je vois à 15 mètres de là un gros trou au pied du mur qui sépare le jardin de mon ami Mareschal où je suis réfugié d’avec celui de M. Ducancel : un homme pourrait y passer. De gros quartiers de la maçonnerie des fondations sont parsemés sur la pelouse. C’est comme si l’obus avait fusé en arrière, le mur est fendu légèrement, mais pas démoli. Victime un fusain coupé. Je verrai tout à l’heure ce que cela a fait chez Ducancel. J’avais très bien entendu le coup sourd qu’il avait fait en tombant, j’en avais déjà entendu chez moi rue de Talleyrand. J’avais encore le bruit dans les oreilles.
Le Brigadier Camboulive vient d’entrer pour voir si nous avions des dégâts comme la police le fait dans chaque maison après leur bombardement. Il me dit en avoir compté 6 obus dans le quartier jusqu’à présent, un ici, 2 chez Houbart à 25 mètres d’ici, un Porte de Paris chez Moreau pharmacien, un vers la rue Clovis et le dernier connu dans le canal, qui a fait de nombreuses victimes et qui a fait la joie des passants qui n’ont eu que la peine de les réveiller pour faire une friture… Il avait tué une 15aine (quinzaine) de livres de poissons. Bref nous étions en plein dans la rafale. Espérons que ce sera la dernière pour nous.
Ce matin calme absolu.
8h soir Le bombardement a recommencé tout à l’heure à 7h pendant 1/2 (heure), mais plutôt vers le centre, l’Hôtel de Ville. Je suis descendu à la cave après avoir un peu mangé, mais je n’avais pas faim. Je suis très fatigué et je suis encore ébranlé des secousses d’hier soir. Je ne suis plus fort ! Je suis d’une nervosité aujourd’hui extraordinaire. J’ai beau vouloir me maîtriser, mais je ne le puis… Je suis affaissé, ébranlé… et en même temps comme fébrile… C’est trop et c’est trop long, il me faudrait bien peu de chose pour que je tombe.
Ce matin j’ai eu mon audience civile, 6 affaires, peu de choses. J’arrive petit à petit à mâter et museler nos agents d’affaires véreux qui sentent maintenant que ce que je veux je le veux bien et qu’ensuite je ne les laisserai pas faire et arriverai à nos fins. Je vois que je les domine, eux qui pensaient se jouer de moi dans le maquis de la procédure ! En tout cas je suis la volonté et heureusement j’ai Landréat pour me seconder pour la procédure, il m’éclaire très bien et ce n’est plus pour moi qu’une question de jugement et de décision nette. J’y réussis. Cet après-midi fait des courses rue Lesage, chez Ravaud, qui est un garçon intelligent et cultivé. Je cause agréablement avec lui, et on y a plaisir. Ravaud est toujours à Châlons et est entré enfin (travailler dans) un hôpital avec Somsour, Bouchette et un de ses parents. Malgré tout je ne désespère pas de le faire revenir ici. Rentré à la maison, fait mon courrier mais sans cœur et sans volonté. J’ai encore bien souffert et été encore bien angoissé à la chute du jour. J’ai pleuré, comme tous les jours. Quand donc ce martyr finira-t-il pour moi et qu’enfin je serai réuni à tous mes chers aimés, père, femme, enfants, et qu’enfin je pourrais voir à tâcher à travailler pour gagner le pain de nos chers aimés, puisque je ne puis songer à leur acquérir une fortune. Ce qui m’est défendu, n’ayant pas la chance, ni l’insolence de pouvoir gagner de l’or à la pelle…
C’est plus fort que moi ! Riche en honneur, pauvre en richesses. Deus honorant pauper divitorum (Dieu honore le pauvre homme). Telle est malgré moi ma devise. Et cependant j’aurais aimé à sentir ma chère femme et mes chers petits à l’abri du besoin et de ce souci… Je ne suis pas assez commerçant ni égoïste pour cela ! Tant pis. J’aime après tout mieux l’Honneur.
8h1/2 C’est le calme, l’aurons-nous pour toute la nuit, pourrais-je enfin me reposer et prendre un peu de forces. Je suis si las si faible. Oh ! Mon Dieu faites donc que mon Martyr, notre martyr cesse bientôt… tout de suite… !!! Et que mes derniers jours de vie soient un peu des jours de bonheur, de tranquillité et d’espoir…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
3 mars 1916 – Des obus sont tombés hier, rue Clovis, rue du Jard 75, chez M. Humbeit, directeur de la voirie, etc. Il y aurait un tué rue de Vesle, à proximité de la porte de Paris.
— Ce soir, à 19 h 3/4, plusieurs projectiles éclatent autour de l’hôtel de ville, rue des Ecrevées, rue Thiers, rue du Marc, impasse du Carrouge et rue de Tambour. M. Lorquinet, commis des PTT, qui sortait de diner au restaurant Triquenot, à l’entrée de la rue Pluche, est tué par des éclats. Il y a des blesses.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Vendredi 3 – Nuit tranquille à partir de 9 h. du soir, et sauf quelques gros coups de canon de temps à autre. Température + 4. Via Crucis in cathedrali. Midi longue canonnade française, 4 ou 5 coups par minute. Dans l’après-midi, surtout de 6 à 9 h. bruyante conversation entre artilleries adverses. Bombes sifflantes allemandes vers 7 h. A partir de 9 h. silence. A 7 h. un obus tua le neveu de M. Compant qui était venu de la rue Cazin à la porte, pour rendre service.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Juliette Breyer
Vendredi 3 Mars 1916. Des victimes, des bombes ! Deux frères, les contremaîtres Duchêne, aux Vieux Anglais ont été tués par la même. Je tremble pour ton papa. Si tu savais comme je l’aime lui aussi. Je lui ai dit que j’avais reçu la note officielle. Il a aussi de l’espoir. Il est heureux quand il voit ses deux petits enfants. Ta fillette le connaît bien. Elle l’appelle Pépère et elle lui tire sa moustache et tout cela nous attriste car tu n’es pas là pour le voir.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Vendredi 3 mars
Tirs de destruction par notre artillerie à l’est de Steenstraete. Nous détruisons un ouvrage ennemi près de Beuvraignes, entre Somme et Oise. Nous abattons un avion à Suippes. Nous concentrons nos feux en Argonne au nord de la Harazée et sur le bois de Cheppy. Au nord de Verdun et en Woëvre, l’activité de l’ennemi s’est de nouveau accrue, spécialement sur le Mort-Homme, la côte du Poivre et la région de Douaumont. Ici, les Allemands ont procédé à des attaques d’infanterie d’une extrême violence que nos feux ont brisées en infligeant à l’ennemi de grosses pertes. Au nord-est de Saint-Mihiel, nous avons bombardé la gare de Vigneulles. Nos avions ont jeté 44 obus sur Chambley, sur la gare de Bensdorf et 9 autres sur les établissements ennemis d’Avricourt. Le président Wilson a demandé au congrès américain de se prononcer sur la politique à suivre vis-à-vis de l’Allemagne. Les colonels suisses Egli et de Wattenwyl ont été mis en disponibilité.