Louis Guédet
Jeudi 2 mars 1916
537ème et 535ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Je remonte de la cave où je suis descendu à 7h50. Une bombe était venue tomber à 20 mètres d’ici rue Boulard chez Houbart Frères (à vérifier), n°18. Dégâts, commencement d’incendie, peu de chose heureusement. Comme je descendais à la cave il en est tombé une 2ème encore tout près, mais je ne sais où. La canonnade toujours depuis 6h1/2 du reste. Ils en ont envoyé un peu partout. Est-ce que les mauvais jours reviendraient ? Mon Dieu ! Je ne pourrais y résister. Je n’en n’ai plus la force. A 11h ils avaient déjà arrosé un peu partout et il en était tombé déjà une (bombe) rue Brûlée, en face de la chapelle de la rue du Couchant. Vont-ils nous laisser tranquille cette nuit ? Une bataille a lieu devant Cernay, on l’entend.
Suite du 2 mars 1916
Mon Dieu, pourvu que nous n’ayons plus rien. Je me croyais plus fort que cela.
10h soir Nous sommes revenus aux mauvais jours. J’avais à peine terminé ces lignes que vers 8h1/4, au moment où je commençais à dîner, un obus m’arrive. Je baisse le dos instinctivement, puis avec un bruit formidable il éclate chez M. Benoist (usine des Capucins) un tas de gravas et de vitres brisées retombent un peu partout. Le temps de prendre quelques papiers (minutes, dossiers), ma pelisse et mon chapeau, je descends, à moitié de l’escalier encore un plus près. « Je crois que çà y est ! » non rien.
Je descends dans la cave où nous nous retrouvons tous les 4 réunis, Jacques, Lise, Adèle et moi, plus 9 voisins ou voisines que je ne connais pas qui étaient arrivés à la première heure et qui étaient restés en cave pendant que nous étions remontés pour dîner… Çà tape fort autour de nous. Enfin à 9h1/2 nous remontons tous les voisins s’en vont chez eux et nous mangeons… (Je mourrai de faim) tout en ayant l’oreille au guet (aux aguets). J’ai fini mon maigre dîner, des choux, pommes de terre carottes et un bout de porc gras et maigre, un peu de fromage et 2 cuillères de confiture de fraises. Pauvres fraises ! Elles ont été cueillies et cuites en juillet 1914 !! Que c’est loin déjà !!… Nous sommes tous un peu bouleversés. La vie de fous recommence ! C’est extraordinaire ce qu’on pense, ce qui nous passe par la tête durant ces moments-là ! On est rompu après de ces secousses, c’est comme si j’avais charrié toute la journée ! Il pleut à torrent. Je vais tâcher de dormir, pourvu que nous ne soyons pas réveillés encore cette nuit. Que Dieu nous protège et nous laisse prendre un peu de repos… Triste anniversaire ! Il y a 1 an c’était le jour de mon incendie. J’avais déjà souffert beaucoup plus. Et cependant on ne s’y fait pas.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
2 mars 1916 – Sifflements nombreux dans la matinée.
A partir de 11 heures, nos pièces ripostent très vigoureusement ; elles tirent jusqu’à 14 h et l’après-midi redevient calme ; mais à 18 h les sifflements recommencent. Notre artillerie entre à nouveau en action, à tel point que venant de quitter l’hôtel de ville, je suis éclairé, le long de mon chemin par les lueurs ininterrompues des départs, aussi bien que par les fusées qui se succèdent en l’air et les projecteurs.
Alors que je me trouve place de la République, les détonations sont devenues assourdissantes ; s’il pleuvait, cela donnerait l’illusion complète d’un orage (165 plus violents. En ce passage toujours très dangereux, un lourd attelage de trois chevaux, que son conducteur presse tant qu’il peut, me gêne considérablement, pour essayer de discerner les arrivées au milieu de l’infernal tapage, auquel se mêle, là, tout près, avec les forts craquements du chariot sous son chargement, le bruit des fers frappant alternativement le pavé. Fallait-il que j’arrive juste à ce moment. Dois-je essayer de dépasser les chevaux attelés en flèche ? Non, car si j’y parviens, le véhicule me suivra a trop faible distance. A regret, je ralentis quand il faudrait au contraire presser le pas, préférant malgré tout le laisser prendre de l’avance et s’éloigner dans l’avenue de Laon et… je gagne enfin la rue Lesage. Peu de temps après que j’y suis engagé, deux obus viennent éclater de l’autre côté des voies du chemin de fer, rues de la Justice et du Champ-de-Mars ; j’entends retomber des matériaux après leurs explosions. D’autres projectiles tombent sans arrêt sur le Port-Sec et ses environs.
En rentrant place Amélie-Doublié, je trouve les voisines de ma sœur et elle-même, occupées à préparer tranquillement leur dîner, comme d’habitude, alors que je m’attendais à les voir sous le coup de l’émotion bien compréhensible des arrivées peu éloignées. Quoique fort surpris, j’aime mieux n’en rien laisser paraitre ; aussi, nous prenons notre repas ensemble et nous nous installons ensuite autour du feu, ainsi que chaque soir pendant que l’arrosage assez copieux continue, que les sifflements se font toujours entendre, mêlés du bruit d’explosions dans les parages.
Le calme ne se rétablit qu’à 21 heures, et, après cette sérieuse séance, nous faisons une excellente nuit.
En somme, journée et surtout soirée très mouvementées pour tout Reims.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Jeudi 2 – Nuit tranquille ; + 4 ; soleil. Aéroplane à 8 h. allemand va observer les canons qui ont tiré hier soir. Pendant toute la matinée conversation à coup de canons entre les batteries. Bombes sifflantes à plusieurs reprises, mais sans doute sur les batteries : rue Clovis, rue du Jard, rue Brûlée, devant la porte de la Chapelle du Couchant, Faubourg de Laon. Visite à l’ambulance Cama (ou je ne fus pas reçu). Visite à l’ambulance russe, génie au Fourneau Économique. 5 h. Canons français en rafales; riposte allemande jusqu’à 9 h. soir. Bombardement sur la ville ; prière du soir interrompue par les bombes sifflantes tombant près de nous. Après, nuit tranquille, sauf quelques coups a longs intervalles.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Jeudi 2 mars
En Belgique, action d’artillerie au sud de Boesinghe. A l’est de Reims, un détachement allemand qui tentait d’aborder notre front, s’est enfui sous notre feu en laissant des morts. Près de Verdun, le bombardement ennemi a continué sur la rive gauche de la Meuse (de Malancourt à Forges), sur la rive droite, vers Vaux et Damloup, et en Woëvre (Fresnes). A l’ouest de Pont-à-Mousson, nous bouleversons les organisations allemandes du bois le Prêtre et bombardons vers Thiaucourt. En Alsace, notre artillerie est active sur la Fecht et la Doller. Les russes progressent près de Dvinsk. Les colonels Egli et de Wattenwyll ont été acquittés par le tribunal de guerre de Zurich.